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05/10/2019 Anton Bruckner : Symphonie n° 7 en mi majeur (version 1885, éd. Haas) [1]
Richard Wagner : Das Liebesmahl der Apostel, WWV 69 [2] Sächsischer Staatsopernchor Dresden, Tschechischer Philharmonischer Chor Brünn, Sinfoniechor Dresden, Tschechischer Nationalchor Prag, MDR Rundfunkchor Leipzig, Philharmonischer Chor Dresden, Dresdner Kammerchor, Staatskapelle Dresden, Christian Thielemann (direction)
Enregistré en public au Semperoper (2 septembre 2012 [1]) et et à la Frauenkirche (18 mai 2013 [2]), Dresde – 99’45
Album de deux disques «Staatskapelle Dresden live» (volume 38) Profil Hänssler PH 15013 – Notice en allemand et en anglais
Anton Bruckner : Symphonie n° 4 «Romantique» en mi bémol majeur (version 1878/1880)
Staatskapelle Dresden, Christian Thielemann (direction)
Enregistré en public au Semperoper, Dresde (17 mai 2015) – 73’06
«Staatskapelle Dresden live» (volume 42) Profil Hänssler PH 16064 – Notice (en allemand et en anglais) de Tobias Niederschlag
Anton Bruckner : Symphonie n° 9 en ré mineur
Chicago Symphony Orchestra, Riccardo Muti (direction)
Enregistré en public à l’Orchestra Hall du Symphony Center de Chicago (24-26 juin 2016) – 62’20
CSOR 901 1701 – Notice en anglais, français et allemand
Richard Strauss : Le Bourgeois gentilhomme (Suite), opus 60
Anton Bruckner : Symphonie n° 2 en ut mineur (éd. Nowak)
Gerhard Oppitz (piano), Wiener Philharmoniker, Riccardo Muti (direction)
Enregistré en concert au Grosses Festspielhaus de Salzbourg (15 août 2016) – 102’32
Album de deux disques «Salzburger Festspiele» Deutsche Grammophon 479 8180 – Notice (en anglais, allemand et français) de Julian Haylock
Sélectionné par la rédaction
Si Riccardo Muti, auquel nous reviendrons, n’est guère familier de Bruckner, on n’en dira évidemment pas de même pour Christian Thielemann, le chef berlinois étant un de ses interprètes actuellement les plus inspirés.
C’est ce que l’on ressent à l’écoute de ces deux symphonies, qui nous procurent néanmoins des impressions quelque peu différentes. Commençons par la célébrissime Septième que Thielemann ne cesse de remettre sur le métier au fil des orchestres qu’il est amené à diriger, qu’il s’agisse du Philharmonique de Munich (comme ce fut le cas en novembre 2006 au Théâtre des Champs-Elysées) ou de la Staatskapelle de Dresde (voir ici). En l’espèce, c’est Dresde de nouveau: quel orchestre! – le répètera-t-on jamais assez? Dès le premier mouvement, on est pris par des cordes d’un soyeux légendaire (par ailleurs, écoutez la pulsation presqu’obsédante des contrebasses à partir de 4’43!), par un dialogue entre les bois et les cordes d’un équilibre inouï, sans compter des cuivres qui brillent comme ce vieil or que louait tant Karajan dans cette phalange (le choral de trompettes à partir de 21’56). Même si Thielemann a peut-être un rien tendance à se complaire dans ces sonorités parfois un peu épaisses, il ne sacrifie jamais l’architecture de la symphonie. L’Adagio est tout à fait remarquable, alliant savamment la fragilité de certaines sonorités avec le caractère inexorable d’une partition qui avance sans cesse, vague après vague, rouleau après rouleau... Si le Scherzo peut sembler un rien retenu, le Finale conclut en apothéose une version du plus haut niveau.
Mais, ce qui fait tout l’intérêt de ce double disque, c’est sans doute la rarissime Cène des Apôtres, cantate écrite par Wagner en 1843. Composée pour trois chœurs masculins et orchestre, cette œuvre bénéficie ici d’une interprétation exceptionnelle. Magnifiquement enregistrée grâce à des micros parfaitement placés (un peu près du deuxième chœur néanmoins dans le passage «Macht Sie uns stark») qui rendent bien compte de la spatialisation des interprètes, cette cantate met en valeur des voix dont l’écoute nous comble. Peut-être est-ce la relative proximité de sa création dresdoise deux ans plus tard mais le passage «Seid uns gegrüsst» (deuxième partie) n’est pas sans rappeler le chœur des pèlerins de Tannhäuser. Thielemann, chef toujours très attentif aux voix, conduit l’ensemble avec un parfait respect du texte tout en en gommant les aspects strictement techniques: écoutez à ce titre le très beau passage «Allmächt’ger Vater», dont la métrique complexe s’accommode de nuances nombreuses (les crescendos ne cessant de succéder aux decrescendos) et de traits subtils (les accentuations). La cinquième partie («Welch Brausen er füllt») permet à l’orchestre de faire une assez brève apparition finalement mais Dresde reste Dresde et, une fois de plus, on admire aussi bien la souplesse des cordes à 4’35 (lorsque cors et cordes doublent les voix de façon quasi surnaturelle) que l’assurance des cuivres. Applaudissements mérités pour l’ensemble des interprètes dans une pièce qui trouve là sa version de référence.
Dans la Quatrième Symphonie de Bruckner, Christian Thielemann et son orchestre gagnent encore en sérénité, sûrs de leur fait et de leurs moyens sans limite. Car tout ici n’est qu’évidence, tant dans le tempo que dans les dynamiques orchestrales, l’auditeur ne se posant jamais la question de l’équilibre, celui-ci frappant par son naturel. Dans le premier mouvement, on entend un véritable «calme olympien» comme dans ce formidable passage où, à 9’25, les trémolos de cordes succèdent avec bonheur à des pupitres de cuivres souverains. La coda est impeccable même si, avouons-le, Böhm (avec Vienne) imposait davantage de grandeur encore. Le deuxième mouvement s’avère sans nul doute le plus abouti. Chef et orchestre s’entendent merveilleusement pour jouer avec les nuances (parfois extrêmes comme ces pianissimi à 3’56) avec un tempo qui avance de façon irrésistible, le chef allemand ne s’alanguissant jamais alors qu’il a parfois pu le faire par le passé, de façon même parfois complaisante. Quant au quatrième et dernier mouvement, il est excellent, concluant la symphonie dans une grandeur majestueuse à l’effet dévastateur.
S’il est un compositeur allemand que l’on n’associe guère à Riccardo Muti, c’est bien Bruckner! Et ce ne sont pas les essais jadis publiés chez EMI (une Quatrième et une Sixième enregistrées en 1986 et 1988 à la tête du Philharmonique de Berlin) qui établissent de fortes affinités entre les deux... Et pourtant... Et pourtant voici deux nouveaux enregistrements dont l’un au moins mérite de réviser en partie cette appréciation.
Le premier disque est consacré à la Neuvième Symphonie, que Muti dirigea à la tête de l’Orchestre symphonique de Chicago les 24, 25 et 26 juin 2016, le programme ayant à chaque fois été suivi par le Te Deum, non repris ici. La perception qui ressort de cet enregistrement réalisé sur le vif est mitigée. Evidemment, les sortilèges du CSO (Chicago Symphony Orchestra) jouent pleinement chez un tel compositeur: des cordes d’une plénitude évidente (au début de l’Adagio), des pupitres de cuivres bien sûr qui rougeoient à qui mieux mieux (les trompettes dans la coda concluant le premier mouvement). Bref, côté plastique, rien à dire! Mais c’est la conception globale qui fait ici défaut ou, pour être plus exact, l’absence de conception. Car Muti se laisse enivrer par ce beau son et en oublie à notre sens l’architecture générale. Le premier mouvement (Feierlich, misterioso) est appréhendé de façon extrêmement hiératique (le crescendo conduisant à 2’36) et le côté parfois affecté de l’orchestre (notamment chez les cordes comme l’illustre par exemple cette montée de violoncelles à partir de 6’07, certaines phrases de cordes étirées à l’extrême ou la coda conclusive à la fois spectaculaire et pesante) perd en cohésion ce qu’il gagne, certes, en détails orchestraux (la clarinette à 4’40 ou la flûte à 8’50). A la fin de ces presque 27 minutes, on a certes entendu de belles choses mais où le chef veut-il nous emmener? Le Scherzo est très réussi: prenant, implacable comme il se doit (les timbales!), il offre un bel écrin au Trio savamment conduit, avec légèreté et entrain, ce qui convient parfaitement ici. Malheureusement, l’Adagio nous ennuie bien vite. Si les cordes de Chicago sont de nouveau à se damner, on en ressort néanmoins avec une vision très lisse, sujette à certains alanguissements (à partir de 9’40 par exemple), qui est à mille lieux de la religiosité plus ou moins revendiquée d’un Celibidache, Giulini (notamment avec Chicago, chez Deutsche Grammophon) ou Karajan, pour ne prendre que trois sommets d’une discographie qui ne se retrouve donc nullement bouleversée par ce nouvel arrivant. Attendons de voir ce que donnera, si elle est publiée, la Romantique dirigée par Muti avec Chicago à la fin du mois de septembre 2017 en ces mêmes lieux.
Mais Riccardo Muti sait nous réserver quelques surprises... Et quand il dirige son orchestre préféré, le Philharmonique de Vienne, il se métamorphose. S’il a, ces dernières années, touché à plusieurs symphonies de Bruckner (notamment la Sixième dans laquelle il a dirigé les Viennois en juillet 1986 mais aussi, et chaque fois à trois reprises, en août 2001 et août 2014 au Festival de Salzbourg), c’est sans doute la Deuxième qui lui convient le mieux. Peut-être inspiré par un autre Italien, Carlo Maria Giulini (imbattable dans cette œuvre, qu’il a gravée deux fois à la tête des Wiener Symphoniker), Muti parvient à allier la grandeur impressionnante de Bruckner avec le caractère printanier, solaire pourrait-on dire, de ses deux mouvements centraux. C’est ce qui ressort de ce superbe concert donné à Salzbourg à l’été 2016. Les Wiener Philharmoniker sont fidèles à leur réputation, qui plus est dans ce répertoire: comment ne pas chavirer en écoutant, dans le premier mouvement (Moderato), les violoncelles à partir de 2’20, la finesse des bois à 5’44, ou l’ensemble du deuxième mouvement, un Andante à l’équilibre souverain ? Ce qui manquait dans la Neuvième est ici évident: une vision, une allure constamment maintenue, l’absence de tout nombrilisme (même si, à la fin du premier mouvement, on peut ne pas être totalement convaincu par un ralenti un brin excessif à 18’37 qui donne certes à la fin une accélération d’autant plus soudaine) et une fluidité du discours qui s’avère totalement habité. Le deuxième mouvement est assez illustratif à cet égard: bien que contemplatif à plusieurs reprises, Muti sait y instiller les quelques inflexions (notamment au niveau des nuances) chez le hautbois ou dans le choral de cuivres qui retiennent toute l’attention de l’auditeur. Les deux derniers mouvements sont également de très haute tenue et, même si l’on perçoit un décalage (voire un certain embrouillamini) dans l’orchestre aux environs de 13’, Muti et Vienne remportent tous les suffrages, comme l’illustrent les ovations et applaudissements de plus de 5 minutes concluant ce premier disque.
En complément, le second disque nous offre une interprétation tout en couleurs viennoises de la suite du Bourgeois gentilhomme (1911-1917). Suite dédiée à Max Reinhardt, elle évoque de loin l’œuvre-phare de Molière, agrémentée de quelques clins d’œil à Lully. Les musiciens du Philharmonique de Vienne (à commencer par le Konzertmeister Rainer Küchl, qui faisait ses adieux à l’orchestre à l’occasion de ce concert après 45 ans de bons et loyaux services) prennent un évident plaisir à jouer cette musique néoclassique, mâtinée d’accents viennois (bien que parfois un peu faux, étincelant jeu du premier violon avec le reste de l’orchestre, notamment le hautbois dans «Entrée et danse des couturiers»). La finesse de la partition explose à chaque mesure, comme ce superbe «Intermezzo à l’acte II» où l’ensemble des bois des Wiener Philharmoniker peuvent briller, Gerhard Oppitz offrant une participation de luxe à une interprétation de grande classe.
Le site de la Staatskapelle de Dresde
Le site de l’Orchestre philharmonique de Vienne
Le site de Riccardo Muti
Sébastien Gauthier
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