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11/04/2018
Antonio Salieri: Les Horaces
Judith van Wanroij (Camille), Cyrille Dubois (Curiace), Julien Dran (le jeune Horace), Jean-Sébastien Bou (Le vieil Horace), Philippe-Nicolas Martin (L’Oracle, Un Albain, Valère, Un Romain), Andrew Foster-Williams (Le Grand Prêtre, Le Grand Sacrificateur), Eugénie Lefebvre (Une suivante de Camille)
Les Chantres du Centre de musique baroque de Versailles, Olivier Schneebeli (chef de chœur), Les Talens Lyriques, Christophe Rousset (direction)
Enregistré en public à l’Opéra royal de Versailles (15 octobre 2016) – 85’43
Alblum de deux disques Aparté AP 185 – Notice (en français et en anglais) de Benoît Dratwicki


Sélectionné par la rédaction





Avec Les Horaces, Antonio Salieri (1750-1825) a sans doute connu l’un de ses plus grands échecs musicaux. Alors partagé entre Vienne (où il créa coup sur coup, à la demande de l’Empereur Joseph II, deux opéras, Eraclio et Demetrio en 1785 et La Grotta di Trofonio un an plus tard) et Paris (où il va connaître deux réels succès avec Les Danaïdes en 1784 puis Tarare en 1787), c’est un opéra marqué par les canons de la musique française qu’il compose en 1786 sur la base de la tragédie de Corneille, revue par le librettiste Guillard. Après un accueil frais par la Cour, les critiques négatives se multiplièrent, rejetant il est vrai une bonne partie de l’échec à un livret assez insipide: comme le résuma fort bien Le Mercure de France au détour d’un article, «on a trouvé dans la musique peu de chants, d’effets, d’intentions».


Le sujet de l’opéra est connu: le conflit politique et militaire entre les villes de Rome et d’Albe se double d’un drame amoureux entre la jeune Romaine Camille, dont le père n’est autre que le vieil Horace, et l’Albain Curiace. Afin d’éviter une guerre totale, le roi Tulle propose de n’opposer en combat singulier que trois combattants de chaque camp tandis que, côté romance, Horace consent à ce que Camille épouse Curiace. Or, le jeune Horace est tiré au sort chez les Romains tandis que Curiace fait également partie, mais pour son propre camp, des trois guerriers désignés pour aller affronter les ennemis. Après des combats lancés puis stoppés par les armées elles-mêmes, ne souhaitant pas voir six héros ainsi tués, la lutte entre les trois Romains et les trois Albains reprend dans une certaine confusion. Le jeune Horace, que l’on croyait avoir lâchement fui, a, en fait, pris ses trois adversaires à revers avant de tous les tuer: porté en triomphe, il ne peut, dans le même temps, que pardonner à Camille, sa sœur, qui blasphème Rome pour la douleur que lui a causé la mort de Curiace, celui qu’elle a toujours aimé.


Enregistrée en concert à l’Opéra royal de Versailles, voici une résurrection qui, à défaut de convaincre sur le fond, est irréprochable sur la forme. Il faut dire que Guillard a non seulement réduit le nombre de protagonistes (Sabine est absente, l’action met en scène un seul Curiace alors qu’il en faudrait trois, deux Horace alors qu’il en faudrait quatre...) mais également simplifié les caractères, les personnages étant assez lisses et ne possédant pas de caractère psychologique très fouillé à une exception près, et non des moindres: Camille! Car c’est elle, et à travers elle Judith van Wanroij, qui fait en grande partie tout le sel de cette gravure discographique. Dotée d’une excellente prononciation (compliment qui peut d’ailleurs être adressé à chaque chanteur ainsi qu’au chœur: que c’est agréable de comprendre un opéra français sans avoir besoin de lire le texte en parallèle!), Judith van Wanroij sait parfaitement exprimer cette ambivalence du personnage, entre sa fierté d’être romaine et ses élans amoureux à l’égard de Curiace, capable de la plus noble assurance et du plus sombre désespoir. Dès son premier récit chanté «J’ai déjà prévu leur réponse», la voix frappe par sa plénitude et sa caractérisation (l’héroïsme qui ressort de son «oui, mon bonheur est assuré» à la fin de la scène 1 du premier acte); dommage que le librettiste Guillard ait supprimé la scène de son suicide, «affadissant [ainsi] les derniers instants de l’action» pour reprendre les termes de Benoît Dratwicki dans la notice très complète accompagnant les disques, et contribuant ainsi à juxtaposer deux scènes (le dépit empli de colère de Camille et le chœur louant la grandeur de Rome) qui n’ont pas grand-chose à faire l’une à côté de l’autre.


Face à elle, Cyrille Dubois confère une certaine noblesse à Curiace qui, avouons-le, est plutôt emprunté tout au long de l’intrigue, ne sachant pas choisir entre l’amour et la gloire militaire, semblant toujours céder aux dires de son dernier interlocuteur sans jamais avoir lui-même de vraies convictions. Rompu à ce répertoire, Cyrille Dubois est excellent et offre notamment de très beaux duos avec Camille (scène 5 de l’acte II), la maladresse du personnage se muant finalement en une certaine fragilité que le jeune chanteur incarne avec une grande justesse. Si la prestation de Julien Dran n’appelle guère de remarque particulière (il a toute la flamme du jeune héros qu’est Horace, notamment dans le très bel ensemble de la scène 7 à l’acte II), on saluera, parmi les personnages plus secondaires, Jean-Sébastien Bou, qui personnifie avec beaucoup de conviction le vieil Horace. Au premier acte (scène 3), il brille dans l’air «Déjà les deux armées, d’une égale fureur», alternant avec une grande cohérence la sagesse de l’Ancien et l’obsession un peu têtue qu’il manifeste pour la gloire militaire de Rome. Aux côtés du très bon Philippe-Nicolas Martin (qui s’affirme avant tout dans le rôle de Valère), soulignons enfin l’excellent Andrew Foster-Williams qui, que ce soit dans le rôle du Grand Prêtre ou du Grand Sacrificateur, complète une équipe de très haute tenue.


Mais, côté voix, ne sont-ce pas en fin de compte Les Chantres du Centre de musique baroque de Versailles, parfaitement préparés par Olivier Schneebeli, qui remportent la palme? Omniprésents, que ce soit sous la forme des seules voix féminines ou d’un chœur mixte, chacune de leurs interventions est magnifique: les échanges avec Camille dans le passage «Déesse secourable» (acte I, scène 1), la fin de la scène 3 du même premier acte ou le chœur conclusif de l’opéra sont autant de superbes moments où prononciation et musicalité sont omniprésentes. Idem bien entendu pour la partie orchestrale de l’opéra, Salieri n’étant peut-être pas un génie mais sachant tout de même livrer une partition de très bon niveau. L’Ouverture, dirigée avec vivacité par Christophe Rousset, met immédiatement les anches doubles en valeur, fortement sollicitées tout au long de l’opéra: hautbois et bassons s’en donnent à cœur joie! La musique fait parfois de l’œil à Mozart, comme dans ces cordes extrêmement vives qui accompagnent le dernier air de Camille à la scène 1 du premier acte: la Reine de la Nuit n’est pas si loin que cela! On pourra néanmoins parfois trouver cette musique un peu scolaire comme ces trompettes requises évidemment pour un triomphe (acte II, scène 2) ou ces accents douloureux lorsque le vieil Horace se lamente.


Qu’importe car voilà une superbe résurrection, servie par une équipe convaincue de la première à la dernière note, qui, après Les Danaïdes et en attendant prochainement Tarare (aussi bien à l’Opéra royal du Château de Versailles qu’à la Cité de la musique), enrichit notre connaissance d’un répertoire encore à découvrir.


Le site des Talens Lyriques et de Christophe Rousset
Le site de Cyrille Dubois
Le site de Jean-Sébastien Bou
Le site de Philippe-Nicolas Martin
Le site d’Andrew Foster-Williams
Le site d’Eugénie Lefebvre


Sébastien Gauthier

 

 

 

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