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08/25/2018 Nathan Milstein et Solomon Volkov : De la Russie à l’Occident. Mémoires musicaux et autres souvenirs Buchet - Chastel – 384 pages – 23 €
Qui mieux que soi-même pour se pencher sur l’immense carrière musicale de Nathan Milstein (1903-1992)? C’est certainement ce que dû se dire, au soir de sa vie, le violoniste américain d’origine russe, parmi les plus grands au XXe siècle, acclamé dans le monde entier pour ses interprétations admirables, empreintes d’une sûreté technique et d’une noblesse jamais prises en défaut. Pour autant, on déchante vite à la lecture de ce pavé de près de 400 pages, où l’auteur parle finalement très peu de lui pour mieux se concentrer sur les seules grandes figures rencontrées tout au long de sa vie (on notera cependant l’absence malheureuse d’un index des personnes citées). Coécrit avec le musicologue et journaliste russe Salomon Volkov, dont la proximité avec Chostakovitch lui valut d’écrire l’un de ses ouvrages les plus connus et controversés (Témoignage. Les Mémoires de Dimitri Chostakovitch, Albin Michel, 1979), l’ouvrage rassemble une galerie de portraits où Milstein se laisse aller à un ton persifleur et vachard, redoutable pour ses ennemis. Le manteau de la courtoisie mondaine glisse souvent pour faire place à des attaques d’une cruauté assumée, n’hésitant pas à moquer le physique de ses contemporains, comme son illustre rival Jascha Heifetz, expédié en début d’ouvrage comme un «homme laid», sans davantage de détails. Il en sera ainsi pendant 400 pages pour d’autres malheureux (Prokofiev, Stravinski, etc.), sans que l’on sache jamais vraiment si les amitiés ou inimitiés de l’auteur sont fondées sur des arguments sérieux, tant les partis pris et les raccourcis gratuits font office de raisonnement dans ce tableau de chasse caricatural.
On pourra évidemment apprécier ces propos entiers et directs, qui n’échappent cependant jamais à une vision au premier degré, sans hauteur de vue. On est ainsi surpris des nombreuses considérations liées à l’aisance matérielle et financière du personnage, toujours flatté comme un jeune communiant dès lors qu’une attention en ce sens lui est portée. Il laisse ainsi percevoir le traumatisme qu’a représenté, pour sa famille et lui-même, la perte d’un statut social privilégié du fait de l’avènement de la Russie des Soviets, puis les années d’incertitudes matérielles qui ont suivi. Peu compréhensif, il n’hésite pas à dénigrer la pingrerie de ses plus proches amis, tel Vladimir Horowitz, qui a pourtant vécu les mêmes années difficiles avec lui. On aurait préféré davantage de précisions sur les longues tournées effectuées par les deux hommes en Russie, avant l’exil américain. De même, Milstein parle peu de ses goûts musicaux, sauf pour se mettre en avant et rappeler combien il a joué un rôle important pour la réhabilitation complète de Bach dans les concerts comme au disque. S’il préfère la musique de Rachmaninov à Stravinski, n’est-ce pas aussi parce que le premier était plus permissif dans les interprétations de ses œuvres que le second? Là encore, on n’est jamais certain que le goût affiché n’est pas la conséquence de vengeances sournoises, suite à quelque mauvaise expérience de concert. En fin de compte, Milstein dresse un portrait peu flatteur de lui-même, sorte de diva mondaine et superficielle, dotée d’une langue de vipère redoutable. Aussi anecdotique qu’oubliable.
Florent Coudeyrat
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