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08/13/2017 «British Tone Poems, Vol. 1»
Frederic Austin : Spring. Symphonic Rhapsody
William Alwyn : Blackdown. A tone poem from the Surrey Hills
Granville Bantock : The Witch of Atlas (after Shelley). Tone Poem n° 5 for orchestra
Ivor Gurney : A Gloucestershire Rhapsody for orchestra
Henry Balfour Gardiner : A Berkshire Idyll, for small orchestra
Ralph Vaughan Williams : The Solent. Impression for orchestra BBC National Orchestra of Wales, Rumon Gamba (direction)
Enregistré à Cardiff (14-16 septembre, 2016) – 76’45
Chandos CHAN 10939 – Notice (en anglais, allemand et français) de Lewis Foreman
Dans le cadre de sa collaboration régulière avec les orchestres de la BBC, Rumon Gamba s’associe à un projet de la BBC destiné à tirer de l’ombre des œuvres, voire des compositeurs britanniques oubliés ou trop peu souvent à l’affiche tout autant outre-Manche qu’ailleurs. A la suite de deux volumes consacrés à l’ouverture, Gamba et les musiciens de l’Orchestre national gallois de la BBC proposent un premier programme dédié au poème symphonique. Actifs principalement dans la première moitié du siècle dernier, les six compositeurs innovent peu mais les six pièces impressionnistes, composées entre 1902 et 1926, ont en commun une facture solide et une riche science orchestrale. A l’exception de The Witch of Atlas, leur inspiration reste proche de la nature ou de paysages chers, chacun dans un esprit très différent. Malgré une certaine tendance idyllique selon les œuvres, aucune ne relève pleinement de l’image de l’aquarelle bucolique parfois attachée à la musique anglaise de cette époque. Gamba et son orchestre restent attentifs au relief orchestral et en soignent les fines variations de couleur.
Directeur musical d’orchestres à Liverpool puis à Birmingham, Granville Bantock (1868-1946) cherchait déjà en son temps à promouvoir la musique de compositeurs peu connus, souvent ses contemporains, et il fut un des premiers à reconnaître la valeur de Jean Sibelius (qui lui dédia sa Troisième Symphonie). Compositeur prolifique, imaginatif et enthousiaste, il avait le goût d’un certain exotisme comme en témoignent ses inspirations musicales et littéraires, dont son oratorio Omar Khayyám (1906), par exemple, et La Sorcière de l’Atlas (1902) ici présent, qui évoque avec éclat huit passages précis du poème fantasque de Percy Bysshe Shelley. Les choix harmoniques, les opulences orchestrales, les belles ampleurs mélodiques et le son d’un violon solo suggèrent une écriture influencée peut-être par ses aînés russes, Rimski-Korsakov et Tchaïkovski en tête. La phalange galloise la met en valeur avec un plaisir évident.
Entre 1910 et 1920, Henry Balfour Gardiner (1877-1950) – grand-oncle de John Eliot – œuvrait aussi à la promotion de ses compatriotes en organisant des concerts où figuraient systématiquement des pièces de jeunes compositeurs ou des œuvres nouvelles. Il contribua ainsi au succès du très rhapsodique Spring (1902-1907), impression exaltée de renaissance verte et ensoleillée de son contemporain Frederic Austin (1872-1952), baryton coté à l’opéra comme à l’église qui, malgré ses pages symphoniques et chorales, reste dans les mémoires surtout grâce à sa restauration de l’Opéra des gueux (Pepusch, 1728) mise en scène en 1920. Exigeant envers lui-même, Gardiner n’y programma jamais A Berkshire Idyll (1913), dont les quatre volets nostalgiques épicés de solos et de changeantes couleurs instrumentales peuvent faire penser au style de son ami Delius. La création de son poème à la respiration ample n’a eu lieu qu’en 1955.
La célébrité de Ralph Vaughan Williams (1872-1958) est beaucoup plus solide, mais The Solent (1902-1903), écrite avant ses fructueuses rencontres avec Ravel entre 1907 et 1908, n’a été rendu public qu’en 2008, en toute légalité cinquante ans après la mort du compositeur qui en avait interdit l’exécution de son vivant. Assez solennelle mais non dénuée de qualités, la composition s’inspire de ses impressions du Solent (bras de mer séparant l’île de Wight de la côte anglaise) qui reflètent les quelques vers mis en exergue du poète Philip Marston qui trouvait à «la voix de la mer profonde, un puissant mystère attristant tous les vents». Le thème principal retravaillé réapparaît dans la Première Symphonie (A Sea Symphony) et la Neuvième.
Le bref Blackdown (1926) de William Alwyn (1905-1985), relégué au tiroir également, n’a été remis sur les pupitres qu’en 2009. Construite en arche, cette évocation romantique de la région natale du jeune Alwyn ne manque pas d’intérêt en particulier lors de l’épisode central houleux et fortement coloré qui, enrichi par son thème chromatique, laisse pressentir les talents d’orchestrateur du compositeur qui seront affirmés dans ses partitions postérieures pour le cinéma et dans ses œuvres plus tardives d’un tout autre style.
La vie tragique d’Ivor Gurney (1890-1937), jeune poète et mélodiste marqué à perdre la raison par la Première Guerre mondiale, nuance d’une touche élégiaque les fougueux élans de A Gloucestershire Rhapsody (1919-1921), créée seulement en 2010 après le travail éditorial de Philip Lancaster et d’Ian Venables sur une partition estimée injouable en l’état. C’est une partition d’envergure, émouvante et belle. Les cinq volets puissants et exaltés évoquent fugitivement l’influence possible d’un Edward Elgar à son plus noble mais aussi à son plus délicat.
Gamba et la BBC avaient donc de solides raisons d’attirer l’attention sur ces compositeurs précisément ou, dans le cas de Vaughan Williams et d’Alwyn, sur une œuvre «perdue» dont la réapparition ne peut que susciter un certain intérêt. A l’exception de A Berkshire Idyll, il ne s’agit pas de tout premiers enregistrements, mais, quelle que soit la valeur des rares versions existantes, la présente version vaut par la conception du programme et par l’interprétation luxueusement engagée de l’Orchestre national du Pays de Galles sous la fine direction de Rumon Gamba. Le son Chandos est un plus.
Christine Labroche
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