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05/26/2017 Rolf Riehm : Shifting [#] – Archipel Remix Guy Braunstein [#] (violon), WDR Sinfonieorchester Köln, Dennis Russell Davies [#], Peter Rundel (direction)
Enregistré à la Philharmonie de Cologne (3-4 mars 1995 [#] et 28 janvier 2000) – 72’39
Wergo WER 7357 2 (distribué par Distrart) – Notice en allemand et en anglais
Sélectionné par la rédaction
Compositeur et hautboïste à l’instar de Heinz Holliger, l’Allemand Rolf Riehm (né en 1937) étudie la composition avec Wolfgang Fortner à Fribourg avant de faire ses débuts au Festival de Darmstadt 1966 en créant au hautbois sa pièce Ungebräuchlische. Mais son engagement politique (il voue une vive admiration à Hanns Eisler) lui fait emprunter un chemin de traverse par rapport à l’académisme sériel alors en vigueur. Ouvertement éclectique quand elle n’est pas puissamment néoromantique, sa manière n’est pas sans rappeler celle de son quasi-homonyme Rihm (Wolfgang).
Shifting (1994) est composé pour violon et grand orchestre: «pour» et jamais «contre», c’est-à-dire que l’écriture comme l’orchestration opulente de Riehm s’inscrivent dans la grande tradition germanique qui, de Strauss et Mahler via Hartmann et Henze, aboutit à Rihm. «Pour moi, cette immense mélodie agit telle une rivière qui essaye de tracer son chemin en dépit des difficultés, des blessures et de l’aliénation», déclare le compositeur dans une lettre adressée au soliste Guy Braunstein, lequel trouve la juste équation entre climat tourmenté et langueur des coups d’archet à même d’éployer ces lignes qui doivent autant à la mélodie infinie de Wagner qu’à la Klangfarbenmelodie («mélodie de timbres») des Viennois (Schoenberg, Berg et Webern).
L’hédoniste Dennis Russell Davies passe la baguette au tranchant Peter Rundel pour ce qui constitue la pièce maîtresse du programme, le monumental (50 minutes) Archipel Remix (1999), pour grand orchestre et électronique. A l’instar du cycle emblématique d’André Boucourechliev (1925-1997), c’est la métaphore de l’archipel qui est choisie afin de rendre compte de la forme où coexistent plusieurs îles, îlots et l’eau qui les sépare. Moins outranciers que chez Schnittke, Berio ou le dernier Zimmermann, les collages (Chopin, Froberger) tissent çà et là ce dialogue persistant avec le passé auquel l’électronique confère une aura singulière. La pièce dégage dans l’ensemble une épaisseur poisseuse, tout juste ajourée ici par un solo de violoncelle, ailleurs par un solo de guitare entre deux déflagrations des percussions et fanfares de cuivres. Ambitieuse (trop?), d’une noirceur plombée voire d’un propos qu’on pourra juger confus, Archipel Remix gagne à être réécoutée.
Enregistrées en première mondiale «en présence du compositeur», ces deux pièces bénéficient non seulement d’une interprétation au-dessus de tout soupçon, mais aussi d’une remarquable prise de son.
Jérémie Bigorie
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