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02/15/2017 Anton Bruckner : Symphonie n° 8 en ut mineur (version originale de 1887) Philharmonia Zürich, Fabio Luisi (direction)
Enregistré au Kultur Casino, Berne (octobre 2015) – 92’18
Album de deux disques Philharmonia Records PHR 0105 – Entretien (en allemand, anglais et français) avec Fabio Luisi réalisé par Claus Spahn
Anton Bruckner : Symphonie n° 8 en ut mineur (éd. Carragan)
Otto Kitzler sr. & jr. : Trauermusik “Dem Andenken Anton Bruckners” (réorchestration Schaller)
Philharmonie Festiva, Gerd Schaller (direction)
Enregistré en public à Ebrach (juillet 2012) – 99’29
Album de deux disques Profil Hänssler PH 13027 – Notice (en allemand et en anglais) d’Andrea Braun
Anton Bruckner : Symphonie n° 8 en ut mineur (version 1887/1890, éd. Haas)
WDR Sinfonieorchester Köln, Jukka-Pekka Saraste
Enregistré en public à Cologne (2 et 5 novembre 2010) – 74’38
Profil Hänssler PH 16061
Voici sans aucun doute un «match», comme ConcertoNet a l’habitude d’en proposer chaque mois, un peu original puisqu’il confronte plusieurs versions d’une même œuvre, mais qui plus est dans des éditions différentes.
La Huitième Symphonie constitua le plus grand triomphe jamais remporté par Anton Bruckner (1824-1896) lors de sa création le 18 décembre 1892. Objet de multiples enregistrements, voici trois nouvelles versions qui, comme nous allons le voir, poursuivent notamment le débat sur la version qu’il convient de choisir. Car, comme souvent, Bruckner a remis sa symphonie cent fois sur le métier et plusieurs éditions sont aujourd’hui disponibles.
Commençons par la version originelle de 1887, choisie par exemple par Simone Young, Eliahu Inbal ou Michael Gielen, et ici défendue par Fabio Luisi. On sait que les différences avec la version éditée par Robert Haas (ajouts de sa part à la version révisée de 1890) sont multiples et expliquent en grande partie certaines maladresses ainsi que la longueur de l’œuvre, qui dépasse alors allégrement l’heure et demie. Que ce soit dans le premier mouvement (absence de la clarinette à 0’15, différences concernant les arpèges des cordes à 4’50, effets dynamiques à partir de 9’, phrases confiées aux cuivres à partir de 14’50, la fin surtout, très différente à compter de 16’50...), dans le Scherzo (les effets grandiloquents à partir de 0’35, les bois à 1’45, les tutti de cordes à 5’, l’absence de montées de harpes à 7’35), dans l’Adagio (les cuivres à partir de 11’, les sonorités étrangement mêlées entre les harpes et les bois à 14’, les tutti à partir de 22’) ou dans le Finale (les traits des altos et des violoncelles à 6’50 par exemple), cette version originale est très, vraiment très différente des éditions habituelles établies principalement par Haas et Nowak. Fabio Luisi, chef très au fait du grand répertoire germanique, dirige un orchestre de premier ordre dont les cuivres, notamment, sont d’une souveraine beauté – reconnaissons d’ailleurs dès à présent que les trois orchestres représentés dans cette confrontation sont excellents! Pour autant, mais c’est peut-être le fait de l’édition choisie, l’appréhension de l’œuvre par Luisi ne nous emporte pas toujours. Le premier mouvement manque de mystère et l’orchestre confine parfois au statisme, alors que les deux mouvements centraux sont en revanche beaucoup plus réussis.
L’édition établie par William Carragan se fonde en grande partie sur l’édition originale de 1887 mais comporte elle aussi d’évidentes différences. Pour s’en tenir au seul premier mouvement, qui dure ici près de 18’, on n’entend pas non plus de clarinette à 0’15, le hautbois est étrange à 1’15, les tutti (de cuivres à 3’20, de l’ensemble de l’orchestre à 5’15) sont très différents des autres éditions, la fin du mouvement optant pour la grandiloquence qu’abandonnera fort heureusement à notre sens Bruckner dans la profonde révision de la partition qu’il fit en 1890. Gerd Schaller, qui poursuit avec cette Huitième son intégrale des Symphonies de Bruckner (voir ici et ici), dirige un très bel orchestre et, contrairement par exemple à sa Sixième, trouve plutôt le ton juste pour aborder la Huitième. L’Adagio, notamment, est très réussi, de même que le Scherzo en dépit de trompettes empreintes plus de brillance que de noirceur (à 10’04). Le premier mouvement, quoique parfois un peu long, ne souffre guère de baisses de tension (contrairement au Finale), Schaller s’affirmant comme un très bon brucknérien tout au long de la symphonie. On passera rapidement sur le complément, dû au professeur de composition de Bruckner à Linz, Otto Kitzler père (1834-1915) – peut-être aidé par son fils dans cette œuvre – qui, en plus d’une occasion, nous fait davantage penser à de la musique anglaise digne d’Edward Elgar qu’à un hommage à la musique plus profonde de Bruckner.
Dans la version de 1887/1890, établie par Robert Haas, Jukka-Pekka Saraste ne nous avait pas convaincu lorsque, remplaçant au pied levé Yannick Nézet-Séguin, il avait dirigé la Huitième à la tête de l’Orchestre philharmonique de Rotterdam en avril 2016. Cet enregistrement ne nous fera guère changer d’avis. On adressera à Saraste les mêmes reproches que lors de son concert parisien: une précipitation rédhibitoire alors que la musique de Bruckner demande au contraire, surtout dans cette œuvre, de prendre son temps (dans l’Allegro moderato à 1’15 ou à la fin du mouvement, Saraste réussissant néanmoins à faire poindre cette implacable grandeur, ou dans l’Adagio), un manque de soyeux et de profondeur (que cet Adagio reste à la surface des choses! Avec en outre un non-respect des silences à 19’35 et un rubato inutile à la fin...) et un sentiment général de ne pas exploiter pleinement les richesses de la partition. C’est dommage car, là aussi, l’orchestre est excellent, ayant notamment été dirigé dans cette symphonie par Günter Wand mais, bien évidemment, pour un tout autre résultat...
En conclusion, le résultat du match est donc clair: à notre sens, la grande gagnante est l’édition Haas (1887/1890) et nos interprètes de prédilection demeurent Karajan (avec Vienne chez Deutsche Grammophon), Wand (avec l’Orchestre de la NDR de Hambourg ou avec Berlin, son dernier disque, tous deux chez RCA) et Haitink avec Dresde (une fabuleuse version, comme on a déjà eu l’occasion de le souligner à maintes reprises). Et n’oublions pas non plus Jochum (avec Berlin) ou Thielemann (avec Dresde lui aussi)! Pour qui préfèrerait la version Nowak (1890), allons sans hésiter chez Böhm (avec la Tonhalle de Zurich chez Palexa), Giulini (le live berlinois de 1984 édité chez Testament) ou Haitink (avec Amsterdam cette fois-ci, chez Philips) pour ne citer que trois références parmi les dizaines de versions qui existent et qui méritent l’attention.
Le site de Fabio Luisi
Le site du Philharmonia de Zurich
Le site de Gerd Schaller
Le site de Jukka-Pekka Saraste
Le site de l’Orchestre symphonique de la WDR
Sébastien Gauthier
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