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10/30/2016 Dead Dreams of Monochrome Men [1] Lloyd Newson (chorégraphie), Sally Herbert (musique), James Dillon (décors), David Hinton (réalisation)
Lloyd Newson, Nigel Charnock, Russell Maliphant, Douglas Wright (danseurs)
Strange Fish [2]
Lloyd Newson (chorégraphie), Jocelyn Pook, Adrian Johnston (musique), Natalie Duerinckx, Scott Crolla (costumes), Michael Howells (décors), Roger Thomas (construction), David Hinton (réalisation)
Kate Champion, Nigel Charnock, Jordi Cortes Molina, Wendy Houstoun, Diana Payne-Myers, Lauren Potter, Dale Tanner (danseurs), Melanie Pappenheim (voix)
Enter Achilles [3]
Lloyd Newson (chorégraphie), Adrian Johnston (musique), Christopher Oram, Claire Anderson, Fiona Chilcott (costumes), Michael Howells (décors), Clara van Gool (réalisation)
Gabriel Castillo, Jordi Cortes Molina, David Emanuel, Ross Hounslow, Jeremy James, Juan Kruz Diaz de Garaio Esnaola, Liam Steel, Robert Tannion (danseurs)
Réalisé en 1989 [1], 1992 [2] et 1995 [3] – 158’
Arthaus Music Blu-ray 109254 (ou DVD 109253) – Son PCM Stéréo – Format 4:3 – Region: free
Sélectionné par la rédaction
Ce précieux document réunit trois pièces filmées du chorégraphe australien Lloyd Newson par sa troupe DV8 Physical Theater, dont deux n’ont jamais été présentées en France.
Lloyd Newson a, dans les années 1980, créé un genre tout à fait nouveau qui a quelque peu bousculé la danse contemporaine qui somnolait au Royaume Uni. Comme le nom de sa troupe l’indique, DV8 est à la fois un jeu de mot sur deviate (déviation par rapport à la norme de la danse classique et même moderne) et Dance and Video 8, référence au format vidéo de l’époque (super 8) utilisé pour filmer facilement et économiquement le travail d’élaboration d’une chorégraphie. Et Physical Theater, qui se distingue très nettement du «théâtre danse» des écoles belge et allemande de l’époque, avec une danse beaucoup plus musclée et engagée. L’Australien a, dès sa première pièce, abordé avec une danse radicale des thèmes sociétaux et a notamment beaucoup exploité ceux du sida et de l’homosexualité masculine. Plutôt que d’envisager de se faire connaître en accomplissant comme c’est l’usage d’épuisantes tournées mondiales, il a très tôt envisagé de faire filmer ses pièces et ce sont trois films qu’offre ce nouveau DVD/Blu-ray-disc de trois pièces emblématiques de sa production. Tous ces films ont eu un rayonnement immense et ont été récompensés à de nombreuses reprises notamment par deux Prix Italia et un International Emmy.
La première, la plus longue, plus ancienne (créée à Glasgow en 1988 et filmée un an plus tard en un somptueux noir et blanc par David Hinton), Dead Dreams of Monochrome Men reste la plus emblématique du travail de Newson. Elle aurait pu être sous-titrée «If it sounds shocking, it is», selon le titre de l’article du Guardian suivant sa création. Cet éloge désespéré de l’amour homosexuel s’inspire assez librement de l’histoire d’un serial killer, Dennis Nilsen ayant, à la fin des années 1970, assassiné quinze hommes dans le milieu homosexuel londonien. La pièce est violente, érotique, éloquente et propre à ramener subtilement chacun à ses propres préjugés sur la question. Le travail physique, plus gymnique que dansé, mais toujours extrêmement mesuré des quatre interprètes (dont Lloyd Newson et aussi le jeune Canadien Russell Maliphant, alors fraîchement émoulu du London Royal Ballet et qui est aujourd’hui avec Akram Khan l’un des deux partenaires privilégiés de la carrière tardive de danseuse contemporaine de l’étoile Sylvie Guillem) est admirable. C’est certainement des trois pièces celle qui se prête davantage à être filmée et le travail de David Hinton autant sur la façon de filmer les corps que d’offrir des camaïeux infinis de gris dans des décors très inquiétants de James Dillon est admirable. La pièce s’achève tragiquement menée par magnifique une musique de Sally Herbert sur une chanson de Dusty Springfield emblématique de l’époque.
Strange Fish, commande de l’Expo 92 de Séville mais créé au festival Spring Dance d’Utrecht est également filmé, en couleur, par David Hinton. C’est des trois celui dont la musique est la plus riche, composée pour la partie vocale par Jocelyn Pool et instrumentale par Adrian Johnston. Selon Newson, la pièce «explore l’idée qu’il est meilleur de croire en quelqu’un ou quelque chose qu’en rien» Il est plus clair que les personnages (sept danseurs, dont les extraordinaires Wendy Houstoun et Nigel Charnock, disparu en 2012 et qui était un des trois danseurs à l’origine du projet DV8), sont à la recherche de l’impossible amour ou amitié. Le film se disperse dans de nombreux lieux, y compris une pièce d’eau, et l’on imagine aisément que l’action devait être plus ramassée et puissante sur une scène... Mais les gros plans sur les visages et les personnages lancés dans de nombreuses situations excessives lui donnent une dimension cinématographique. Néanmoins, la dimension théâtrale est différente de l’action cinématographique et l’équilibre dans ce film semble difficile à trouver.
Ce n’est pas le cas du troisième, le très célèbre Enter Achilles, filmé pour la BBC par Clara van Gool en couleur dans un pub avec des scènes extérieures très convaincantes. Ayant vu cette pièce, très grande coproduction de la période de gloire de DV8 qui avait été présentée par le festival d’Automne à la MC93 de Bobigny en novembre 1997, on mesure beaucoup plus facilement ce que la caméra apporte dans une action qui est beaucoup plus chorégraphique et une chorégraphie de groupe plus que d’individus. La pièce décrypte avec une superbe diversité de moyens la violence du machisme, pas forcément celui d’homme à femme mais plutôt celui des hommes entre eux. Masculinité et virilité sont deux choses différentes nous est-il rappelé tout au long de cette soirée dans un pub à la dynamique exclusivement masculine (on est clairement dans une Angleterre thatchérienne), dans lequel arrive un individu étranger et dérangeant, mi-ange, mi-Batman, qui ne se plie jamais aux rites et aux codes dictés par ce groupe de chômeurs sous l’emprise de la bière et d’un désir sexuel plus qu’ambigu.
C’est de toutes les pièces de Newson que nous avons vues celle qui réalise au mieux l’équilibre entre théâtre et danse, avec la clarté du message politico-social diluée dans un univers d’alcool, nicotine et testostérone et le film réalisé par Clara van Gool traduit et améliore considérablement l’original. C’est avec cette pièce que s’est développé le succès mondial de DV8 et osons le dire, Newson n’a jamais fait mieux après. Sa dernière pièce, John, présentée à Paris par le Théâtre de la Ville à La Villette n’avait plus la force à laquelle il nous a habitués. Est-ce pour cela qu’il a mis sa compagnie en pause («on hold») depuis près d’un an et, comme l’a révélé le quotidien The Australian (16 juin 2016), pour une période indéterminée peut être un an ou deux «pour réfléchir et penser au futur»?
Olivier Brunel
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