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08/11/2016 Jean Sibelius : Symphonies n° 1 en mi mineur, opus 39 [1], n° 2 en ré majeur, opus 43 [2], n° 5 en mi bémol majeur, opus 82 [3], et n° 7 en ut majeur, opus 105 [4] Wiener Philharmoniker, Leonard Bernstein (direction), Humphrey Burton (réalisation)
Enregistré en public au Musikverein (4 et 6 octobre 1986 [2], 1er et 4 octobre 1988 [4], 20 et 24 février 1990 [1]) et au Konzerthaus (1er et 2 septembre 1987 [3]), Vienne – 166’
Blu-ray C Major/Unitel Classica 732404 – Format NTSC 16:9 ou 4:3 – Region code 0 – Son PCM Stereo – Notice (en anglais, allemand et français) de Harald Reiter
Le hasard veut que, dans les années 1960, alors que Leonard Bernstein (1918-1990) réalisait un excellent cycle Sibelius à la tête du Philharmonique de New York (Sony), c’est sous la direction de Lorin Maazel que le Philharmonique de Vienne enregistrait au même moment une tout aussi impressionnante intégrale des Symphonies du compositeur finlandais (Decca). Les deux étaient évidemment faits pour se rencontrer et pour jouer ensemble l’œuvre de Jean Sibelius pour lequel Bernstein nourrissait une vraie passion: les quatre symphonies présentées ici témoignent de cette extraordinaire alchimie.
Car, reflet des disques parus à la même époque chez Deutsche Grammophon, ces quatre symphonies enregistrées en concert au Musikverein pour seulement trois d’entre elles (et non pour la totalité comme l’indique par erreur la deuxième page du livret intérieur) et déjà parues sur un album de deux DVD en 2010 chez le même éditeur (référence 702208) mettent en évidence la relation particulière que Bernstein entretenait avec le Philharmonique de Vienne et surtout l’approche extrêmement personnelle qu’avait le chef américain de ces œuvres.
La direction de «Lenny» est à elle seule un spectacle! Pas toujours aussi exubérant qu’on se plaît à parfois bien vouloir le dire, le chef américain impressionne non par la qualité de sa gestique (encore que la manière dont il attaque le troisième mouvement de la Cinquième soit géniale) mais bien davantage par son visage qui vit la musique à chaque instant comme, par exemple, dans le premier mouvement de la Première Symphonie (à 10’50) ou dans la première partie de la Septième (à 144’30), ses traits respirant à l’occasion la bonté à l’égard de musiciens qu’il aime de manière visible et passionnée (dans l’Andante de la Première). Pour s’en convaincre, il faut seulement le voir sauter sur son estrade (dans la Première, à 37’15!) ou empoigner le Konzertmeister (Gerhard Hetzel dans le premier concert, Erich Binder dans le deuxième, Rainer Küchl dans les deux derniers) à la fin de chaque représentation pour l’embrasser et l’étreindre, n’hésitant pas non plus dans la foulée à faire un baisemain au violoncelliste solo Robert Scheiwein... L’appréhension des symphonies de Sibelius par Bernstein est parfois un petit peu spectaculaire (les silences entre les derniers accords à la fin de la Cinquième!), parfois étonnamment sobre (la conduite de l’immense coda concluant la Deuxième) mais toujours intéressante, sachant jouer sur les détails (le deuxième mouvement de la Première étant un modèle de poésie, aux accents souvent proches de Tchaïkovski) et les contrechants sans jamais perdre l’architecture générale comme en témoigne la conduite du Tempo andante, ma rubato dans la Deuxième, Bernstein veillant à ce que l’orchestre tienne ses phrases jusqu’à la dernière limite possible.
Il faut dire qu’avec Vienne, Bernstein bénéficie là d’un outil de toute première catégorie pour interpréter ces œuvres. Les solistes sont tous incroyables, qu’il s’agisse du clarinettiste Peter Schmidl dans l’introduction de la Première ou de son confrère Norbert Taübl (dans la Cinquième), des interventions de Gottfried Boisits (un des hautboïstes solo des Wiener pendant vingt-six ans!) ou du flûtiste Wolfgang Schulz dans la Deuxième. Et que dire des cordes, et peut-être plus encore des cuivres dont la brillance éclate au grand jour dans la Cinquième en particulier, fortement représentés il est vrai par entre autres sept trompettes et huit cors (quelle vue d’ensemble à 109’40 ou dans cette enfilade de cors à 127’45 !).
Aux manettes des diverses caméras, le toujours professionnel Humphrey Burton. Si l’image n’est pas toujours d’excellente qualité et si quelques plans sont un peu saccadés ou quelques caméras bougent un peu, l’ensemble se regarde avec plaisir. Visiblement, et même si rien ne le dit, certaines prises ont été effectuées en studio car on voit mal comment les opérateurs auraient pu capter certains gros plans ou certaines rangées de musiciens qui n’existent pas sur les vues d’ensemble de l’orchestre. Les raccords sont peu visibles hormis, pour l’anecdote, le violoncelliste Friedrich Dolezal qui, dans le même troisième mouvement de la Cinquième, arbore tantôt une barbe, tantôt un visage parfaitement glabre… Les vues sont assez conventionnelles et, même si quelques gros plans sont les bienvenus, on regrette en plus d’une occasion de ne pas voir Bernstein conduire certaines phrases dans leur ensemble, la forte impression du départ étant malheureusement brisée par un plan soudain sur les musiciens ou sur un soliste qui met fin à l’incroyable impression initiale. Usant d’un procédé auquel il recourt à plusieurs reprises, Burton parvient par ailleurs sans peine à nous transmettre la frénésie qui innerve l’orchestre en multipliant des plans différents sur un laps de temps très court, l’emballement des caméras illustrant celui de l’orchestre (le dernier mouvement de la Première symphonie).
En dépit donc de quelques imperfections essentiellement d’ordre visuel, voici sans conteste un témoignage de la plus grande valeur sur un chef qui aura durablement marqué son époque et dont l’énergie ne pourra que frapper le spectateur.
Sébastien Gauthier
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