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05/16/2016 «Seiji Ozawa. The Complete Warner Recordings»
Nikolaï Rimski-Korsakov : Shéhérazade, opus 35 [1]
Alexandre Borodine : Le Prince Igor: Danses polovtsiennes [2]
Béla Bartók : Concerto pour orchestre, sz. 116 [3]
Zoltán Kodály : Galántai Táncok [4]
Witold Lutoslawski : Concerto pour orchestre [5]
Leos Janácek : Sinfonietta [6]
Serge Prokofiev : Concerto pour piano n° 3 en ut majeur, opus 26 [7] – Symphonie concertante pour violoncelle en mi mineur, opus 125 [40]
Maurice Ravel : Concerto pour piano en sol majeur [8]
Piotr Ilyitch Tchaïkovski : Symphonies n° 4 en fa mineur, opus 36 [9], et n° 6 «Pathétique» en si mineur, opus 74 [34] – Concerto pour violon en ré majeur, opus 35 [17] – Capriccio italien, opus 45 [18] – Ouverture 1812, opus 49 [30] – Marche slave, opus 31 [31] – Eugène Onéguine, opus 24 : «Polonaise» [32] – Francesca da Rimini [33] – Variations sur un thème rococo, opus 33 [39]
Igor Stravinsky : Capriccio pour piano et orchestre (version révisée de 1949) [10] – Concerto pour orchestre et instruments à vent (version révisée de 1950) [10] – Mouvements pour piano et orchestre [10] – L’Oiseau de feu [16, 22]
Jean Sibelius : Concerto pour violon en ré mineur, opus 47 [11]
Max Bruch : Concerto pour violon n° 1 en sol mineur, opus 26 [12]
Maki Ishii : Sõ-Gu II [13]
Tõru Takemitsu : Cassiopeia [14]
Henryk Wienawski : Concertos pour violon n° 1 en fa dièse mineur, opus 14, et n° 2 en ré mineur, opus 22 [15]
Georges Bizet : Symphonie en ut [19] – Patrie, opus 19 [20] – Jeux d’enfants, opus 22 [20] – Carmen: Suites n° 1 et n° 2 [21] – L’Arlésienne: Suites n° 1 et n° 2 [21]
George Gershwin : Rhapsody in Blue [23] – Variations on «I got Rhythm» [24] – Catfish Row, symphonic suite from «Porgy and Bess» [25]
Earl Kim : Concerto pour violon [26]
Robert Starer : Concerto pour violon [27]
Edouard Lalo : Symphonie espagnole, opus 21 [28]
Pablo de Sarasate : Zigeunerweisen, opus 20 [29]
Camille Saint-Saëns : Symphonie n° 3 en ut mineur avec orgue, opus 78 [35] – Phaéton, opus 39 [36] – Le Rouet d’Omphale, opus 31 [37]
Antonin Dvorák : Concerto pour violoncelle n° 2 en si mineur, opus 104 [38]
Dimitri Chostakovitch : Concerto pour violoncelle n° 1 en mi bémol majeur, opus 107 [41]
Leonard Bernstein : Sérénade pour violon, harpe, percussions et cordes [42]
Samuel Barber : Concerto pour violon, opus 14 [43]
Lukas Foss : Three American Pieces pour violon et orchestre [44]
Renaud Gagneux : Triptyque pour violoncelle et orchestre [45]
Rodion Chédrine : Sotto voce pour violoncelle et orchestre [46]
Henri Dutilleux : The Shadows of Time [47] Joel Esher, Rachel Plotkin, Jordan Swaim (voix) [47], Karl Leister [24] (clarinette), Anne-Sophie Mutter [28, 29], Itzhak Perlman [15, 26, 27, 42, 43, 44], Vladimir Spivakov [17], Masuko Ushioda [11, 12] (violon), Mstislav Rostropovitch [38 à 41, 45, 46], Hugh Seenan [41] (violoncelle), Michel Béroff [10], Elaine Donohoe [25], Alexis Weissenberg [7, 8, 23, 24] (piano), Philippe Lefèbvre (orgue) [35], Stomu Yamashita (percussion) [14], Gagaku Ensemble [13], Chicago Symphony Orchestra [1 à 6], Orchestre de Paris [7 à 10, 16], Japan Philharmonic Symphony Orchestra [11 à 14], London Philharmonic Orchestra [15], Philharmonia Orchestra [17], Orchestre national de France [19 à 21, 28, 29, 35 à 37], Boston Symphony Orchestra [22, 26, 27, 34, 38, 39, 42, 43, 44, 47], Berliner Philharmoniker [23, 24, 25, 30 à 33], London Symphony Orchestra [40, 41, 45, 46], Seiji Ozawa (direction)
Enregistré au Medinah Temple, Chicago (juin et juillet 1969 [1 à 4], 26 et 29 juin 1970 [5, 6]), à la salle Wagram, Paris (27-28 mai et 9-10 octobre [7, 8], 22-23 octobre [9] 1970, octobre 1971 [10], avril 1972 [16], 2, 3 et 5 avril 1982 [19, 20], 25 et 26 juin 1983 [21], 29 et 30 mai 1984 [28, 29], 1er et 2 juin et 18 novembre 1985 [35 à 37]), au Suginami Koukaidou, Tokyo (20-21 [11, 12], 22 et 24 [13, 14] juin 1971), aux studios d’Abbey Road (1er-2 novembre 1971 [15], avril 1981 [17, 18], novembre 1994 [45, 46]) et au Henry Wood Hall (novembre 1987 [40, 41]), Londres, au Symphony Hall, Boston (28-29 [26, 27], 30 [22] avril 1983, décembre 1985 [38, 39], 26 avril 1986 [34], 1er, 3 et 4 octobre 1994 [42, 43, 44], en public 13-14 mars 1998 [47]) et à la Philharmonie de Berlin (8, 11 et 12 juin 1983 [23 à 25], 20-21 juin 1984 [30 à 33]) – 1265’44
Coffret de 25 disques Warner Classics 0825646139514 – Notice (en anglais, français et allemand) de Rémy Louis
Le 1er septembre 2015 a marqué les quatre-vingts ans de Seiji Ozawa. Dans cette perspective, plusieurs éditeurs ont réuni dans de riches ensembles de nombreux disques enregistrés par le chef japonais (Decca a fait paraître il y a quelque temps un ensemble de onze disques intitulé «Seiji Ozawa Anniversary», sans compter toujours chez le même éditeur un coffret de seulement cinq disques mais spécifique pour le Japon, onze disques en partie repris dans le très volumineux coffret «The Philips Years» qui en compte pour sa part cinquante!). En attendant Deutsche Grammophon qui devrait sans nul doute apporter sa pierre à l’édifice (n’oublions pas non plus Telarc et bien évidemment Sony qui dispose d’enregistrements remarquables), voici Warner qui, reprenant pour l’essentiel les fonds EMI et Erato, publie à son tour un coffret de vingt-cinq disques, représentant plus de vingt heures de musique.
Avant de nous arrêter aux qualités strictement musicales de ces enregistrements, ce qui frappe d’emblée, c’est paradoxalement à la fois l’éclectisme et la permanence des répertoires dirigés par Ozawa. Eclectisme: c’est une évidence, même si les compositeurs à l’honneur ici ont tous écrit à partir de la seconde moitié du XIXe siècle! Peu nombreux sont en effet les chefs qui dirigent aussi bien Tchaïkovski que Bernstein, Dvorák que Gershwin, Lalo que Foss, Prokofiev que Starer... Permanence: c’est tout aussi frappant car, depuis ses premiers enregistrements, Ozawa a toujours beaucoup dirigé de musique française (Bizet, Lalo, Ravel...) et de musique de son temps, enregistrant ici en première mondiale Dutilleux, Kim ou Gagneux, sans oublier son compatriote Tõru Takemitsu dont il reste un inlassable défenseur. Enfonçons-nous vite maintenant dans le panorama d’un chef des plus originaux!
Et, chauvinisme aidant, commençons par la musique française représentée ici par pas moins de six disques. La Symphonie en ut de Bizet est tout bonnement remarquable, servie par un Orchestre national de France en grande forme salle Wagram (évidemment, mention spéciale au hautboïste solo d’alors, Michel Croquenoy, dans le deuxième mouvement), la suite des Jeux d’enfants étant également marquée par une délicatesse si chère au chef japonais. Dans le disque consacré aux extraits de Carmen et de L’Arlésienne, Ozawa insuffle à un orchestre chauffé à blanc une énergie communicative (la «Danse bohème»!) dont on ressort quelque peu étourdi. On avait gardé un meilleur souvenir de cette Symphonie espagnole de Lalo jouée par Anne-Sophie Mutter, une soliste avec laquelle Ozawa n’a cessé de collaborer: légère déception face à un violon parfois artificiel (premier mouvement) ou aux effets pas toujours du meilleur goût (dans le troisième mouvement, à partir de 4’05), d’autant que l’accompagnement est très beau. De même, alors qu’on a à l’esprit l’image d’un Ozawa bondissant sur scène, on a le sentiment que la Troisième Symphonie de Saint-Saëns manque parfois de dynamisme au profit d’une plus grande attention portée aux équilibres, tout spécialement dans le troisième mouvement; pour autant, une belle version, surtout accompagnée par deux compléments, dont Le Rouet d’Omphale, tout à fait remarquables. Excellente redécouverte de la version du Concerto en sol de Ravel avec un Alexis Weissenberg parfaitement impliqué, au diapason d’un chef qui aime cette partition; le Troisième de Prokofiev qui accompagne cette première œuvre pourrait être encore plus rageur mais le résultat est des plus convaincants. On sait que Seiji Ozawa fut très proche de Dutilleux dont, en dernier lieu, il créa la version intégrale de la pièce Le Temps l’horloge lors d’un concert mémorable donné à la tête du National. Le 9 octobre 1997, Ozawa avait également assuré à Boston la création de The Shadows of Time dont voici le premier enregistrement mondial, réalisé en concert: réussite totale et disque devenu presque légendaire, qui confirme les affinités d’Ozawa avec la musique de son temps.
Un deuxième pan de ce coffret peut être rassemblé sous le vocable, un peu rapide certes, de «grand répertoire» de la fin du XIXe siècle et du XXe. De façon quelque peu étonnante, Ozawa n’est pas reconnu comme un des grands interprètes de la musique de Tchaïkovski alors que, les faits le démontrent tant au disque qu’au concert, le compositeur russe a toujours fait partie de son répertoire. Les deux symphonies présentées ici (une Quatrième à la tête de l’Orchestre de Paris, une Pathétique avec Boston) ne convainquent qu’à moitié, comme cela avait d’ailleurs été le cas avec sa Cinquième berlinoise (Deutsche Grammophon). Dans la Quatrième, on passera rapidement sur les sonorités des bois assez laides dans le premier mouvement pour se concentrer davantage sur l’élan de même mouvement (à partir de 7’58 grâce à des cuivres somptueux pour le coup), sur le legato imposé dans le deuxième mais qui conduit ensuite à un Scherzo bien fait mais trop sage à notre goût. Même ressenti avec une Sixième où l’on s’enivre certes des sonorités bostoniennes – quel troisième mouvement! – mais où la ligne générale souffre parfois de quelques baisses de tension. Le disque le plus convaincant consacré au compositeur russe est donc, de loin, celui consacré à divers morceaux de bravoure avec un panache incroyable dans l’Ouverture 1812, une Marche slave que l’on peut trouver un rien pesante mais dotée cette fois-ci des sonorités berlinoises: difficile de ne pas succomber! Quant à Francesca da Rimini, Ozawa est flamboyant comme on l’aime, conduisant notamment des cordes aux envolées dignes de Wagner... Tchaïkovski toujours, avec les Variations Rococo sous l’archet de Mstislav Rostropovitch: une des grandes versions de l’œuvre mais, comme ce n’est que le complément, allons surtout vers la célèbre version que Rostro et Ozawa donnent du Concerto de Dvorák. Une merveille à chaque écoute, une entente évidente, un Symphonique de Boston à l’attention palpable à l’égard du soliste (le deuxième mouvement): une des grandes versions de l’œuvre qui s’impose depuis plus de trente ans maintenant! Tchaïkovski enfin, avec le Concerto pour violon joué par Vladimir Spivakov: une version à oublier (les aigus échappent un peu au soliste dans le premier mouvement et le troisième s’avère trop démonstratif), le Capriccio italien s’avérant pour sa part satisfaisant. De bonne facture dans le répertoire concertant pour violon, les concertos de Sibelius et de Bruch avec Masuko Ushioda: l’accompagnement est excellent et la soliste très intéressante même si, pour qui souhaiterait une autre version du Concerto de Sibelius sous la direction d’Ozawa, celle avec Mullova s’impose nettement (Philips).
Rien à voir avec les deux Concertos de Wieniawski où l’entente et la compréhension entre Ozawa et Itzhak Perlman, soliste particulièrement bien représenté dans cette anthologie, est évidente. Le Rondo du Premier Concerto est d’un charme fou, les deuxième et troisième mouvements du Second sont géniaux: un disque superbe. Pour ce qui doit être un de ses tout premiers disques, si ce n’est le premier (c’est à vérifier...), Ozawa avait choisi Shéhérazade de Rimski-Korsakov, dont il donne une très belle version (l’orchestre dans le premier mouvement, l’accélération dans le quatrième à partir de 6’30) mais qui, à notre sens, se situe un cran au-dessous de la géniale version qu’Ozawa a donnée, qui plus est en concert, à la tête du Philharmonique de Vienne (Philips). Les «Danses polovtsiennes» de Borodine en complément sont en revanche totalement enivrantes: il faut dire que l’Orchestre de Chicago possède tous les atouts et toutes les couleurs pour donner son lustre à ce type de partitions. Trois disques sont consacrés à Stravinsky dont deux versions de L’Oiseau de feu (l’une d’elles étant la version originale du ballet de 1910): deux disques brillants (Orchestre de Paris dans l’un, Boston dans l’autre, onze ans plus tard) où le ciselage de la partition est parfaitement rendu. Avouons un faible pour la version bostonienne, peut-être plus naturelle dans l’enchaînement et où l’on sent qu’Ozawa dirige moins qu’il ne suggère à son orchestre. Disque assez original que celui consacré à plusieurs œuvres pour piano et orchestre du compositeur russe qui bénéficie en particulier d’un très beau Capriccio: Michel Béroff s’y montre particulièrement à son aise. A la tête de l’Orchestre de Chicago de nouveau, Ozawa signe une version des plus séduisantes du Concerto pour orchestre de Bartók: tout y est, couleurs, contrastes, rythmes rageurs, élan... On sent surtout une grande spontanéité dans l’approche qui culmine dans un Finale chauffé à blanc: mais ça passe comme on a pu personnellement le vivre dans un concert salzbourgeois resté dans nos mémoires! Il en va de même dans le Concerto pour orchestre de Lutoslawski enregistré à la fin juin 1970: maîtrise totale de la part du chef et de l’orchestre dans l’une des premières gravures de l’œuvre au disque. Enfin, deux disques enthousiasmants de la première à la dernière note. Un premier où l’on retrouve Rostropovitch au violoncelle pour deux œuvres-phares de son répertoire signées Prokofiev et Chostakovitch. La Symphonie concertante de Prokofiev est une réussite totale avec notamment un étourdissant Allegro giusto central. Quant au Premier Concerto de Chostakovitch, c’est une démonstration idéale où les passages grinçants alternent idéalement avec ceux où la mélodie prend le dessus, l’orchestre étant pour sa part formidable. Le Philharmonique de Berlin dans Gershwin: il fallait bien Ozawa pour le conduire dans ces affres et le résultat est excellent, Weissenberg jouant la Rhapsody in Blue avec une nonchalance des plus élégantes, Catfish Row bénéficiant de toute la palette des couleurs berlinoises pour le plus grand bonheur de nos oreilles.
Enfin, quelques disques attestent l’esprit de découverte d’Ozawa qui, au-delà des barrières sonores et géographiques, prouve qu’il sait à peu près tout interpréter. Disque-hommage au mentor «Lenny» avec un florilège de musique américaine commençant par la belle Sérénade de Bernstein avec Perlman de nouveau au violon, qu’on entend également dans une remarquable version du Concerto de Barber. Et écoutons également ce disque réunissant les rarissimes Concertos pour violon d’Earl Kim (1920-1988) et de Robert Starer (1924-2001): une fois encore, l’entente Ozawa-Perlman est sans fausse note, le Concerto de Kim variant les atmosphères jusqu’à cette fin abrupte et surprenante, la technique de Perlman s’exprimant pleinement dans le Concerto de Starer au troisième mouvement redoutable. Et que dire de ce disque où, retrouvant Rostropovitch, Ozawa dirige des œuvres de Gagneux et de Chédrine? Là aussi, deux pièces concertantes pour violoncelle et orchestre à (re)découvrir, qui témoignent de l’immensité du répertoire pour cet instrument. On ne pouvait avoir d’«anthologie Ozawa» sans œuvre de Takemitsu: voilà donc le dernier disque, consacré à deux compositeurs japonais, Maki Ishii (1936-2003) et Tõru Takemitsu. Jeu de sonorités (la pièce d’Ishii associant à un orchestre symphonique un gagaku, sorte de gamelan japonais aux instruments les plus improbables) assez original, l’œuvre d’Ishii passant de la finesse presque silencieuse à d’incroyables explosions sonores (à 15’05, prenez garde!). La pièce de Takemitsu est également des plus déconcertantes mais, sans quelqu’un comme Ozawa, qui la dirigerait?
On le voit bien: ce coffret est un véritable condensé de ce qu’Ozawa aura dirigé toute sa vie durant et, même si plusieurs références font défaut ici puisque gravées chez un autre éditeur, il ravira tous les admirateurs de cet immense chef.
Sébastien Gauthier
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