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05/14/2016 Bedrich Smetana : Ceske tance I & II – Etude de concert «Na brehu morském (Vzpomínka)» Garrick Ohlsson (piano)
Enregistré au Henry Wood Hall, Londres (9-11 janvier 2015) – 62’15
Hyperion CDA68062 (distribué par Distrart) – Excellente notice trilingue
Sélectionné par la rédaction
L’œuvre pour piano de Bedrich Smetana (1824-1884), considérable, touche à tous les genres, même si la polka – nouvelle forme de danse aux origines rurales bohémiennes née vers 1840 – y occupe une place de choix. Au sujet de ses dernières pièces pour piano, le compositeur tchèque écrivit en 1879 à son éditeur: «Je n’aimerais pas que le titre "Polkas" soit remplacé par le terme générique "Danses"! Mon titre, "Polkas", est important, car je m’efforce de l’idéaliser, comme Chopin l’a fait pour la mazurka».
A l’issue de l’écoute, c’est surtout la variété qui ressort de ces deux recueils: variété des métriques, comme dans le «Furiant» (plage 5), «Petite poule» (plage 6), ou «L’Ours» (plage 8), faisant alterner mesures binaires et ternaires. Variété des influences: Chopin, bien sûr, mais aussi Liszt dans l’aspect Leggierezza du «Lancier» (plage 11) et le staccato à fleur de touches de «Trépignement» (plage 10). Variété des danses, enfin: à l’instar des grandes polonaises de Chopin, que le rythme typique d’anapeste n’est pas sans évoquer, les danses de Smetana sont parfois à double fond; aussi entend-on un furiant héberger une valse, comme dans le morceau inaugural du Second Livre.
Garrick Ohlsson s’impose par son aisance technique et la grande fluidité de son jeu. Sans doute la volonté d’intégrer ces pièces à la grande phrase du piano romantique lui fait-elle estomper leur ambiguïté (de ton, de facture) et ce qu’elles peuvent receler de doux-amer. La noblesse cristalline du toucher comme la brillance conquérante de la projection atténuent de leur côté leur généalogie rustique: il est des «Ours» plus grossiers, des staccatos plus véhéments. Mais d’autres passages enchantent sans réserve, tel le thème nimbé de nostalgie du Lento qui referme le Premier Livre, la belle ductilité de la main droite en triolets («La Petite Poule»).
Avec cette nouveauté, le pianiste américain signe une excellente introduction aux danses de Smetana en même temps qu’il enrichit d’un jalon important sa discographie dominée jusque-là par Beethoven, Chopin, Liszt, Brahms et Scriabine. Pour ceux qui placent l’authenticité expressive au premier plan, les témoignages du grand Rudolf Firkusný demeurent incontournables dans ce répertoire.
Jérémie Bigorie
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