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05/09/2016 Aribert Reimann : Spiralat halom – Eingedunkelt – Neun Stücke Tim Severloh (contre-ténor), NDR Sinfonieorchester, Christoph Eschenbach (direction)
Enregistré à la Laeiszhalle et au Rolf-Liebermann-Studio de Hambourg (2001-2004) – 61’10
Wergo WER 7337 2 (distribué par Distrart) – Notice (en allemand et en anglais) sous forme d’entretien avec le compositeur
Must de ConcertoNet
Lauréat du prestigieux prix Ernst von Siemens (l’équivalent du Nobel pour la musique) en 2011, Aribert Reimann (né en 1936) nous est davantage connu comme accompagnateur de Lieder – il fut le partenaire privilégié de Dietrich Fischer-Dieskau et de Brigitte Fassbaender – que comme compositeur. Si Lear va être enfin donné dans sa langue originale à l’Opéra de Paris (la première en 1982 eut lieu en français), ses six autres œuvres scéniques attendent toujours leur création de ce côté-ci du Rhin. Heureusement, le disque est là pour pallier le manque de curiosité des programmateurs: enregistrée il y a plus de dix ans, cette nouveauté Wergo donne à entendre en premières mondiales le cycle Eingedunkelt pour voix seule et deux pièces pour orchestre remarquablement dirigées par Christoph Eschenbach.
Eingedunkelt (1992) fut écrit à l’origine pour voix de mezzo-soprano (l’amie Brigitte Fassbaender) et orchestre. Durant la composition, Reimann éprouva la nécessité de séparer parties vocale et orchestrale afin de leur octroyer une vie autonome. Ainsi naquirent les Neuf Pièces pour orchestre et les Neuf Poèmes d’après Paul Celan, ici proposés dans leur version pour contre-ténor. On regrette de ne pouvoir disposer des textes afin de goûter pleinement leur mise en musique, d’autant que le grand poète allemand de l’après-guerre demeure l’une de ses principales sources d’inspiration: citons Zyklus (1971), Die Pole sind in uns (1995) et Kumi Ori (1999), trois cycles enregistrés par le baryton Yaron Windmüller, le pianiste Axel Bauni et l’Orchestre symphonique de la Radio de Sarrebruck dirigé par Günther Herbig (Naxos).
Tim Severloh s’approprie la redoutable partie a cappella avec beaucoup de mérite: lignes en dents de scie dans le sillage des Lieder de Webern, tensions dynamiques et largeur de l’ambitus achèvent de nous convaincre de l’extrême difficulté de la partition. Le contre-ténor a-t-il à l’esprit la manière de la dédicataire? A moins que Reimann ne fît explicitement référence à Fassbaender? Toujours est-il que les accents rauques, les passages à la limite du Sprechgesang conjugués à l’absence délibérée de soudure entre les registres renvoient à l’art de la mezzo allemande.
Bien qu’indépendantes du cycle, les Neuf Pièces pour orchestre (1993) intègrent chacune un extrait du Lied qui leur correspond, de manière plus ou moins perceptible à l’oreille. Cette œuvre de 1993 porte la signature de l’auteur de Lear (1978), qu’elle rappelle à maints endroits: un goût marqué pour les clusters, les effets de masses, une orchestration allant à l’encontre de l’uniformisation des pupitres, où les scansions verticales des cuivres se juxtaposent au contrepoint complexe dessiné par les cordes divisées. Aussi la Sixième Pièce rappelle-t-elle la scène de torture de Gloucester, tandis que l’ultime Neuvième renoue avec le climat lunaire qui referme l’opéra.
L’atmosphère de Spiralat halom (2002) n’est guère plus détendue. L’effectif orchestral gigantesque, d’une intensité noire et plombée, se fait l’écho de la guerre en Irak qui hantait alors les nuits du compositeur. Cette coulée de lave d’une vingtaine de minutes s’achève par une montée en puissance du pupitre des vents, telle la matérialisation sonore des victimes, «les mains tendues vers le ciel et chantant à l’unisson».
Espérons que cet apport significatif à la discographie de l’un des compositeurs majeurs de notre époque convaincra Warner de reporter en CD un autre chef-d’œuvre d’Aribert Reimann: le Requiem (1982), enregistré un an après sa création pour EMI par Gerd Albrecht, avec rien de moins que Dietrich Fischer-Dieskau, Julia Varady et Helga Dernesch.
Jérémie Bigorie
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