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04/23/2016 Alberto Ginastera : Obertura para el Fausto Criollo, opus 9 – Variaciones concertantes, opus 23 – Ollantay, tres movimentos sinfónicos, opus 17 – Música de Bomarzo, opus 34a
María Isabel Degarra (soprano), Christiane Palmen (flûte), Vicente Castello Sansaloni (hautbois), Julius Kircher (clarinette), Ulrich Freund (basson), Cong Gu (cor), Klaus Wendt (trompette), Jürgen Schaal (trombone), Beate Anton (harpe), Nikolaus Boewer (violon), Jacques Mayencour (alto), Florian Barak (violoncelle), Joachim Stever (contrebasse), Deutsche Staatsphilharmonie Rheinland-Pfalz, Karl-Heinz Steffens (direction)
Enregistré à Ludwigshafen (13 juin 2015) – 82’29
Capriccio, collection moderntimes C5244 – Notice en allemand et en anglais de Christian Heindl
A la suite de trois volumes de la collection «moderntimes» consacrés à Bernd Alois Zimmermann, à Luigi Dallapiccola et à Henri Dutilleux, Karl-Heinz Steffens destine un quatrième à Alberto Ginastera (1916-1983) dont la parution à point nommé en novembre 2015 fournit un excellent moyen de célébrer le centenaire du compositeur argentin, né en avril 1916, bien que le chef allemand n’ait pas exprimé cette intention. Les œuvres de son programme assez original touchent aux trois grandes périodes de la production de Ginastera. Son «nationalisme objectif», période des célèbres ballets Panambi et Estancia, est associé ici à l’Ouverture pour un Faust créole (1943) et Ollantay (1947), son «nationalisme subjectif» illustré par les Variations concertantes (1953) et son «néo-expressionnisme» par la Musique de Bomarzo (1967-1970). Les termes sont du compositeur. A la tête de la Philharmonie d’Etat allemande de Rhénanie-Palatinat, Steffens, attentif à l’expressivité dramatique, travaille les dynamiques et le relief orchestral avec beaucoup de soin et tient la cadence diabolique des rythmes pulsés tout comme il maintient l’intensité des passages plus statiques.
Le Faust créole est un conte satirique d’Estanislao del Campo qui «écoute» un gaucho racontant le Faust de Gounod. Ginastera, dans, son Ouverture, satirique à son tour, manie l’irrévérence tout autant envers Faust qu’envers le gaucho. Le résultat, c’est une alternance aux transitions savoureuses entre des passages de style européen aux cordes dominantes, dignement, pesante et saupoudrés de citations de Faust, et des passages fringants hauts en couleur aux rythmes argentins directement populaires, où dominent les vents et la percussion. Le sentiment national est carrément ancestral pour Ollantay, poème symphonique épique en trois parties qui s’inspire du texte maya, le Popul Vuh, pour tracer le conflit guerrier entre Ollantay et Inka, héros légendaires. Ginastera s’imprègne de modes anciens et de rythmes trépidants mayas et latins pour créer le statisme inquiet et les élans en avant irrépressibles qui tracent les péripéties du poème. Les trois volets sous tension proposent des textures orchestrales de plus en plus denses, les cordes nobles, vitales, inquiétantes, les bois délicats, les cuivres puissants, sonnant à l’occasion comme des carnyx, et la percussion, sourde ou orageuse, toujours péremptoire.
Les Variations concertantes mettent en valeur tour à tour les pupitres solistes de l’orchestre avec deux interludes en deuxième et en dixième position qui sont confiés aux deux grands groupes instrumentaux, cordes et vents respectivement, la percussion, partout très présente, réduite aux seules timbales, sans la «couleur locale» évidente d’instruments de type latino-américain. L’interprétation rhénane, peut-être légèrement distanciée, a beaucoup de tenue, Steffens ne cherchant nullement à accentuer les fragrances argentines qui sous-tendent subtilement l’ensemble, toujours sans emprunt direct bien que le rythme de malambo, le véloce ostinato trépidant de notes répétées que Ginastera affectionne particulièrement, revive à sa manière dans les volets plus vifs. Le violoncelle et la harpe énoncent le beau thème nostalgique qui, avant le finale, sera repris, comme en ombre projetée, par la contrebasse et la harpe. Les variations lentes sont confiées à un alto dramatique, au clair-obscur mélancolique d’un hautbois et d’un basson en duo et à un cor «pastoral» qui évoque l’Arcadie. Tout autant soutenues d’un orchestre délicat ou exubérant, riche ou discret, les variations vives reviennent aux envolées de la flûte, aux souples arabesques d’une clarinette allègre, aux sonorités étonnantes d’une trompette en duo avec un trombone, au mouvement perpétuel d’un violon ensorcelant et aux rythmes obsédants du tutti pour la sémillante variation finale.
La subjectivité argentine du compositeur encore indirectement perceptible dans le Premier Concerto pour piano de la même époque, n’a plus cours lors de la saisissante Musique de Bomarzo, suite expressionniste tirée de l’opéra éponyme (1966-1967) qui dessine par flash-back successifs la vie noire, violente et angoissée du Duc de Bomarzo (c. 1523-1585), bossu, chétif, cruel et mal aimé. Sans jamais perdre de vue une expressivité brûlante et directe, la partition microtonale met en œuvre une atonalité libre, des techniques sérielles, des rythmes aléatoires et des clusters sous forme de nébulosités orchestrales ou de fracassants éclats. C’est une œuvre extraordinaire, originale, et innovatrice aux sonorités recherchées. L’orchestre se suspend et s’agite dans l’aigu ou avance inexorablement telle une lave rougeoyante et noire ou déferle avec force, sans concession ni compassion, la percussion transformant les passages plus hésitants et angoissés en agitation cauchemardesque. Le seul bref moment de quiétude revient à la soprano et la douce voix satinée de María Isabel Degarra.
La phalange rhénane, puissante et efficace, semble se sentir ici sur un terrain plus familier et leur prestation met en œuvre avec succès les qualités nécessaires à une exécution de la Lulu-Suite de Berg, par exemple, et tout à fait appropriées à la Musique de Ginastera. L’ensemble du programme révèle des aspects peut-être moins connus de l’œuvre du compositeur argentin et ne peut que capter l’attention des mélomanes convaincus ou à convaincre.
Le site de Karl-Heinz Steffens
Le site de la Philharmonie d’Etat allemande de Rhénanie-Palatinat
Christine Labroche
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