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04/09/2016
Gilles Cantagrel : La Rencontre de Lubeck. Bach et Buxtehude
Desclée de Brouwer – 192 pages – 17,90 euros





Gilles Cantagrel est évidemment connu comme étant l’un des plus fins connaisseurs au monde de Johann Sebastian Bach, de l’homme et de son œuvre; spécialiste de la musique baroque allemande en général, on oublie peut-être qu’il a également, entre autres ouvrages, écrit une somme consacrée à Dietrich Buxtehude (Fayard, octobre 2006, 512 pages). Qui donc mieux que lui pouvait donc nous raconter la rencontre qui a eu lieu à Lubeck entre les deux grands compositeurs, du 30 octobre 1705 au 25 janvier 1706?


Car cette rencontre a bel et bien eu lieu, un mot très laconique de Carl Philipp Emanuel Bach en témoigne sans que l’on sache ce qu’ils se sont dit ni ce que Johann Sebastien y a exactement fait... Il fallait donc combler ce vide et, grâce à ses connaissances encyclopédiques, c’est ce qu’a choisi de faire Gilles Cantagrel avec toutes les précautions d’usage puisque, comme il le signale lui-même dans la postface, «il ne fallait évidemment pas omettre de dégager l’Histoire de la gangue d’éléments légendaires controuvés peu à peu agglutinés à la réalité», avouant par ailleurs que «bien peu de ce qui est narré ici n’a existé [même si] pourtant tout a pu se produire» (page 192). S’appuyant sur les œuvres et sur les sources manuscrites auxquelles il a pu avoir accès, Cantagrel tisse le lien évident qui unit Buxtehude à Bach, le premier ayant presque servi de père spirituel à celui qui devait plus tard le dépasser tant son génie ne demandait qu’à éclater. Le sens du Verbe («Garde fidélité au Livre» lui lance-t-il à la page 182), l’importance à accorder à la basse avant de laisser le contrepoint s’exprimer pleinement et les ressources de l’orgue font indéniablement partie du legs de Buxtehude.


Au travers de cette rencontre et des discussions qui ont pu avoir lieu entre le maître et son jeune disciple assoiffé de savoir, Gilles Cantagrel use du «prétexte du récit» (page 191) pour nous brosser un panorama à la fois culturel et historique de la musique à cette époque, nous permettant de faire connaissance avec la famille de Buxtehude (page 34), de croiser les noms des compositeurs Johann Jacob Pagendarm ou Nikolaus Bruhns, des facteurs d’orgues Friedrich Stellwagen, Andreas Werckmeister, Arp Snitger ou Joachim Richborn, de bénéficier d’une visite de la ville de Lubeck (page 55) ou de la description minutieuse de certains de ses attraits les plus connus, qu’il s’agisse en l’église Sainte-Marie de son horloge astronomique (pages 151 sq.) ou de la fresque de la Danse macabre peinte par Notke et Wortmann (pages 136 sq.), de connaître certaines techniques relatives à la confection des orgues de l’époque (page 129)... Autant d’éléments (auxquels s’ajoutent nombre d’illustrations) qui certes enrichissent le récit de Gilles Cantagrel mais qui, également, l’alourdissent et le rendent parfois besogneux, le musicologue usant ici à plein du prétexte pour livrer au lecteur des connaissances qui sont périphériques aux rapports potentiellement entretenus entre les deux héros du livre que sont Buxtehude et Bach.


De même, on ne peut que regretter que Gilles Cantagrel n’ait pas adjoint un petit glossaire en fin d’ouvrage pour expliquer au lecteur certains termes musicaux particulièrement techniques (sans qu’il ait ensuite ou au fil de la lecture à aller chercher à droite ou à gauche les explications manquantes). Car, sauf à être un spécialiste de l’orgue, qui peut comprendre cette phrase sibylline: «Aux parties intermédiaires, il réserve les jeux doux du positif de dos, tandis que la mélodie du cantique migre dans des coloris changeants, ceux de la Trompette du grand orgue mêlée à l’Octave et au Nasard, du Krummhorn du positif de poitrine; au pédalier, elle reparaît en filigrane de la polyphonie sur la Schalmei 4’ et le Kornett 2’, puis à la basse, en majesté, sur la batterie d’anches, Posaune et Dulcian 16’, Trompete 8’, Schalmei et Kornett» (page 50)? De même, en quoi consiste exactement le fait de «faire de menues réparations pour arrêter un cornement ou retendre une vergette» (page 66)? Enfin, pourquoi, puisqu’il fait référence à des compositions précises dans le corps du texte, n’avoir pas indiqué en conclusion quelques jalons discographiques qui permettraient ainsi au lecteur de confronter sa propre écoute avec les indications musicologiques données dans le cadre de ce livre?


Contrairement à ce qu’on aurait pu penser en commençant La Rencontre de Lubeck, voilà un ouvrage, édité pour la première fois en 2003, qu’il ne faut pas mettre entre toutes les mains car seules de solides connaissances ou une certaine abnégation au fil de la lecture permettent d’en saisir toute la saveur. Sans aucun doute, un livre pour initiés.


Sébastien Gauthier

 

 

 

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