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02/15/2016
«le ciel retrouvé»
Jacques Lenot : Quatuors 1 à 7

Quatuor Tana: Antoine Maisonhaute, Chikako Hosoda (violon), Maxime Desert (alto), Jeanne Maisonhaute (violoncelle)
Enregistré au Pont-Chrétien-Chabenet (4-14 novembre 2013) – 176’19
Album de trois disques Intrada INTRA057


 Sélectionné par la rédaction





Jacques Lenot : Et il regardait le vent
Raphaël Duchateau (trompette), Quatuor Tana: Antoine Maisonhaute, Pieter Jansen (violon), Maxime Desert (alto), Jeanne Maisonhaute (violoncelle)
Enregistré à Bruxelles (décembre 2014) – 70’21
L’Oiseau Prophète 001





Intrada poursuit une entreprise aussi passionnante que bienvenue, en continuant sa publication de pans entiers de l’œuvre de Jacques Lenot (né en 1945): après la musique de chambre, la musique pour piano, des œuvres concertantes et pour orgue, voici le quatuor à cordes.


Une «intégrale», comme l’indique cette nouvelle parution? Oui, en ce sens qu’y figurent les sept œuvres dont le titre fait explicitement référence au genre. Non, dans la mesure où Bernard Fournier, dans le troisième et dernier volume de sa monumentale Histoire du quatuor à cordes (Fayard, 2010), identifie six autres partitions pour quatuor – les Sette frammenti (1976) – «une suite de crachotis postsériels» et «vrai flop», si l’on en croit le compositeur, qui les a retravaillés dans son Premier Quatuor (1998) –, Trois Liebesliederwalzer et A propos de la grâce – formant deux des cinq tableaux du «caprice» Un déchaînement si prolongé de la grâce (1986) –, Trois Mouvements (demeurés inédits, 1991), Aria «pour violon et trio à cordes» (2002) et Un froissement très loin dans l’air (2005), soit encore plus d’une heure de musique.


Quoi qu’il en soit, les sept Quatuors numérotés ont connu une gestation tardive – le compositeur avait dépassé la cinquantaine lorsqu’il acheva le Premier – mais rapide – les six premiers furent écrits en une décennie et, à l’exception du Deuxième (2001), révisés en 2009. Et lorsque le Quatuor Tana a commandé le Septième (2013), quarante-deux fragments enchaînés inspirés par autant de lettres de la correspondance de Robert Walser, la création des trois précédents n’était pas encore intervenue.


A l’audition de ces trois disques, le parti pris retenu par l’ouvrage de référence de Bernard Fournier apparaît justifié, lui qui, dans le chapitre qu’il consacre à la France, fait figurer Lenot, aux côtés de Bacri, Canat de Chizy, Dusapin, Fénelon, Fraisse, Hersant et Monnet, parmi les huit compositeurs méritant selon lui un commentaire plus détaillé («gros plan»), en raison de leurs «qualités idiomatiques» («sens de l’écriture pour quatuor, aussi bien quant à la conduite des parties, la poétique du son ou l’organisation du discours») et de leurs «qualités expressives».


Le corpus s’inscrit assurément dans la descendance de la seconde Ecole de Vienne – davantage que Schönberg, tantôt la rigueur millimétrée d’un Webern, tantôt le lyrisme dévorant d’un Berg – mais aussi, dans le geste sans doute plus que dans le langage proprement dit, de musiciens aussi différents que Janácek, Chostakovitch ou Messiaen. Lenot use d’une grande liberté formelle – quatre des partitions sont d’un seul tenant, en réalité constitué de multiples fragments, deux en deux mouvements et une en quatre mouvements – mais d’une durée sensiblement équivalente (20 à 25 minutes), à l’exception du Septième (en deux parties), deux fois plus long. Mais son art a sans doute ceci de typiquement français qu’il est un art de la mesure: les procédés, la difficulté technique ne sont pas poussés de façon aussi extrême que chez certains (Carter, Feldman, Ferneyhough, Xenakis – chacun à leur manière).


On trouvera peut-être les quatuor impairs, au déroulement plus éclaté, d’un accès moins aisé que les pairs, mais l’écoute, dans l’instant comme dans la durée, si elle exige de l’auditeur une forte concentration – comme tout grand quatuor écrit depuis Haydn, au demeurant –, n’en est pas moins fortement récompensée. Tantôt chaque instrument semble vivre sa vie, ou se détacher face aux trois autres, mais n’en contribue pas moins à un tout où le chant semble imperméable aux éléments perturbateurs qui l’entourent, tantôt les tuilages conflictuels laissent aussi la place à un discours plus concerté dans l’aigu. Chaque œuvre possède son propre caractère: à l’énigmatique Troisième (2003), sous-titré «Donner corps à la beauté mélancolique de la disparition» (une expression tirée d’une critique du film Mon voyage d’hiver de Vincent Dieutre), succède ainsi le Quatrième (2004), réussite totale, dominé par l’alto et montant progressivement vers le suraigu. Et que dire de ce Sixième (2008), léger et rêveur – peut-être à destination de ce «ciel retrouvé» qu’évoque le titre de ce triple album?


Fondé en 2004, le Quatuor Tana a enregistré en onze jours seulement ces près de trois heures de musique aux fortes exigences techniques et esthétiques. Voilà des interprètes, dédicataires du Septième Quatuor en forme de remerciement pour le projet d’enregistrement des six premiers, qui ont de quoi faire rêver bon nombre de compositeurs.


Avec Et il regardait le vent (2014) pour trompette et quatuor à cordes, tout change et rien ne change. C’est toujours le Quatuor Tana, mais entre-temps, Pieter Jansen a pris la place de Chikako Hosoda au second violon (il a à son tour été remplacé depuis par Ivan Lebrun), et Lenot quitte Intrada pour devenir son propre éditeur. Ici aussi, la collaboration étroite avec un musicien se révèle décisive: le trompettiste Raphaël Duchateau (né en 1983) est associé à pas moins de quatre œuvres apparues entre 2011 et 2015 – outre celle-ci, Isis & Osiris (pour septuor à vent), D’autres murmures (avec orchestre) et Reliquien (avec piano).


Quant à la musique, elle prolonge bien sûr les tendances à l’œuvre dans les Quatuors, s’orientant vers une décantation toujours plus poussée. Le temps semble s’écouler de plus en plus lentement, ne serait-ce qu’au travers de la durée de la partition, qui, bien qu’écrite en à peine deux mois, dépasse largement l’heure. Formée, à l’image du Septième Quatuor, de courts fragments enchaînés (soixante-deux) d’environ une minute chacun, elle n’est nullement fragmentaire pour autant: lenteur, statisme, on pense de plus en plus à Feldman dans ces pages dont le titre est tiré d’une phrase de Salammbô et dont l’inspiration vient du récit mythologique des amours de Héro et Léandre. La trompette en serait l’aède, «dans un récit et hors du temps» – c’est le vent, précisément, qui éteint la torche allumée par Héro pour guider Léandre lorsqu’il traverse le détroit. La formation est éminemment originale – souvent associé à un instrument à cordes (second alto ou violoncelle), le quatuor l’est aussi parfois à d’autres familles (piano, clarinette, cor) mais on aura peine à trouver d’autres exemples de quintette avec trompette. Cela étant, les cordes sont assez souvent seules et malgré l’«héroïsme» revendiqué, c’est le lyrisme qui prédomine, avec parfois même le côté cosmique de The Unanswered Question d’Ives. Trompette oblige, Lenot ne nie pas avoir été «imprégné» du son de Miles Davis et de Chet Baker, même s’il dit aussi ne plus le craindre: de fait, malgré sa longueur, l’œuvre n’est pas d’un abord aussi difficile que certains des quatuors, mais se pose néanmoins la question de savoir si leur concision ne lui manque pas.


Le site de Jacques Lenot
Le site du Quatuor Tana


Simon Corley

 

 

 

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