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11/19/2015 «Under Stalin’s Shadow»
Dimitri Chostakovitch : Lady Macbeth de Mtsensk, opus 29: Passacaille – Symphonie n° 10 en mi mineur, opus 93 Boston Symphony Orchestra, Andris Nelsons (direction)
Enregistré en public au Symphony Hall de Boston (2-4 avril 2015) – 64’50
Deutsche Grammophon 479 5059 (distribué par Universal)
Must de ConcertoNet
Andris Nelsons dirige très souvent la musique de Dimitri Chostakovitch. On a ainsi récemment pu l’entendre à Paris à deux reprises dans cette Dixième Symphonie, cœur de cet enregistrement, d’abord avec le Concertgebouw d’Amsterdam et plus récemment avec l’Orchestre symphonique de Boston. Le chef letton a finalement choisi d’enregistrer cette symphonie avec l’orchestre américain, un ensemble dont il a pris la direction en septembre 2014. Cet enregistrement réalisé pour DGG est aussi le premier qui scelle la collaboration de ce chef et de ce prestigieux orchestre très longtemps dirigé par Seiji Ozawa. Le moins que l’on puisse dire est que pour un coup d’essai c’est un coup de maître.
En effet, cet enregistrement est au même niveau, à savoir exceptionnel, que les deux concerts parisiens. En outre, il permet d’entendre la Passacaille extraite de Lady Macbeth de Mtsensk, une pièce rarement donnée isolément et dans laquelle règne une ambiance maléfique finalement assez proche de l’esprit de la Dixième Symphonie, ce qui justifie certainement ce couplage «sous l’ombre de Staline». Ce climat oppressant et morbide est parfaitement rendu, notamment dès un magistral premier accord qui plante le décor. Cet extrait de l’opéra est ici magnifié par une interprétation à la fois concentrée et d’une incroyable précision. L’Orchestre symphonique de Boston, décidément une phalange hors pair, brille de mille feux et la lisibilité de chaque partie comme la conduite de la ligne de l’ensemble sont vraiment saisissants.
Le constat est le même pour la Dixième Symphonie. Cette œuvre, qui n’est pas la plus connue des symphonies du maître russe, est contemporaine à quelques mois près de la disparition de Staline et fut composée près de dix ans après la symphonie précédente. Malgré le pessimisme dans lequel elle baigne, sa création fut un vrai succès public. Si Andris Nelsons et ses musiciens en offrent une lecture manifestement déconnectée du contexte historique, cette interprétation n’est pas moins passionnée et fébrile. Dès le long et changeant Moderato initial, ils parviennent à créer une atmosphère transparente, pour ce qui est de la réalisation orchestrale, mais aussi d’une impressionnante sévérité pour ce qui est du climat. Le court et puissant Allegro, mené dans un tempo juste avec une maîtrise orchestrale millimétrée et dans un impressionnant déchaînement de tous les pupitres, réussit à traduire une sensation d’oppression confinant à la violence. Les puissants coups de timbales répétés deviennent presque angoissants et les impeccables et stridents accords des cuivres tétanisent. Dans l’Allegretto, véritable concerto pour orchestre, chaque instrumentiste successivement sollicité démontre une musicalité hors norme, que ce soit le magnifique cor solo qui parvient à des pianissimi impeccables, la clarinette qui émeut à chacune de ses interventions ou le hautbois dont l’impressionnant legato et les nuances ravissent. La valse triste et morbide qui termine ce mouvement dans une ambiance presque fantomatique semble finalement s’évaporer dans le néant. Quant à l’Andante-Allegro final, d’abord désolation absolue, il devient ensuite renaissance jubilatoire dans un enchaînement de couleurs, de rythme et de thèmes parmi lesquels on reconnaît, comme dans l’Allegretto, le motif «DSCH» (ré, mi bémol, do, si), signature musicale de l’auteur.
Un enregistrement magistral qui augure magnifiquement de la collaboration entre l’un des meilleurs orchestres du monde et l’un des chefs les plus doués de sa génération et dont le niveau musical et interprétatif impressionne lorsque l’on pense qu’il s’agit de prises de concert. Cet enregistrement étant le premier d’une série intitulée «Shostakovich Under Stalin’s Shadow» et consacrée aux difficultés rencontrées par le compositeur avec Staline et le régime soviétique, on attend donc maintenant avec impatience les autres enregistrements programmés, à savoir les Cinquième à Neuvième Symphonies.
Gilles Lesur
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