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10/18/2015 Damien Luce : La Fille de Debussy. Chouchou ou l’enfant muse Editions Héloïse d’Ormesson – 160 pages – 10 €
La volumineuse Correspondance (Gallimard) de Claude Debussy entre 1872 et 1918 fut une source d’inspiration pour Damien Luce (né en 1978) qui conjugue, apparemment avec aise, les professions de pianiste, compositeur, romancier, dramaturge et comédien. Parallèlement à son spectacle Debussy seul sur scène écrit, réalisé et porté à la scène en 2013-2014, lui-même dans le rôle de Debussy et au piano, Luce écrivit semaine après semaine l’agenda imaginaire de Claude-Emma Debussy (1905-1919), tenu entre le décès de son père en mars 1918 et, atteinte de diphtérie, sa propre mort en juillet un an plus tard. Au travers des lettres du père directement à sa fille Chouchou ou indirectement à son propos, filtre le portrait d’une enfant pleine de vie et d’entrain, mutine, romantique, mélancolique et déterminée, que Luce recrée à son idée au fil de son ouvrage.
Le fil rouge, c’est la musique de Debussy. Au début du mois d’avril 1918, la Chouchou imaginée fait le pacte de déchiffrer par ordre chronologique toutes les pièces pour le piano de son père, des Arabesques de 1888 à la Berceuse héroïque (1914) qu’elle joue après les douze Etudes (1915). L’esprit s’emplit ainsi de musique tout au long de la lecture malgré le trouble que l’on peut ressentir en constatant que le nombre de morceaux correspond presque exactement au nombre de semaines entre les deux disparitions. Chouchou évoque en quelques mots chaque nouvelle pièce abordée, sa nature, son caractère ou encore les joies et contrariétés éprouvées et l’on peut penser que, sur ce point, Luce tire sur sa propre expérience d’enfant et d’adulte.
Comme les touches maternelles au quotidien, la présence de Debussy est permanente, sa fille de fiction trouvant mille raisons de faire référence à lui et à leur relation ou de citer ses paroles. Les détails pour la plupart puisés dans la correspondance, c’est un fil de vérité non négligeable auquel s’ajoutent les références obliques aux événements maintenant historiques et les interventions sous de différentes formes de personnages connus tels Fauré, Ducasse, Ravel, Caplet, Cras ou Stravinsky, noms que Chouchou manie comme ceux d’amis et de connaissances et non d’hommes célèbres. Le récit s’ancre ainsi dans le réel et y puise une part non négligeable de sa substance.
Les thèmes abordés pour mettre en lumière la vie et la pensée d’une jeune adolescente, à la fois grave et sérieuse, rêveuse et imprévisible, peuvent toucher le lecteur comme manifestement Damien Luce en est touché. Ils comprennent les traits de l’enfance de la candeur à la gravité, les enthousiasmes de la jeunesse entre idéalisme et intransigeance, le monde adulte vu par le prisme de l’enfance et, peut-être plus important, le regard jeune sur la vie et la mort. Luce y va par petites touches au travers du style limpide et sans frein de la jeune fille imaginée qui confie à son journal son intimité, ses amours, ses frustrations, ses joies et ses peines.
Une note de fantaisie noire, rocambolesque mais in fine sinistre, ponctue de loin en loin les récits et les réflexions de la jeune fille. S’imaginant plus tard active dans le monde du cinéma, elle prête à un personnage de film muet de son invention le nom de Xantho, le chien autrefois fidèle à son maître Debussy. C’est une série de camées à variations sur les méthodes, échecs à la clef, de Xantho, naufragé, qui tente d’envoyer un appel à l’aide en lançant une bouteille à la mer. Cette pointe quasi surréaliste ne peut être que lucéenne.
Il ne faut y chercher ni thèse ni étude. C’est un roman agréable à lire, pénétré de musique pour qui veut l’entendre, qui peut fournir fugitivement l’impression que l’on détient quelques bribes du mystère de l’homme qu’était ce grand musicien Debussy et de sa fille Chouchou, qui allait selon son père «distribuant le charme et la tyrannie dans de rigoureuses proportions. Elle scandalise sa grand-mère avec joie!». Pour le non-mélomane et le jeune public, c’est un livre de découverte, un récit frais et spontané dans un style clair et aéré qui peut être le portail qui ouvre sur la musique et sur un monde inconnu à explorer.
Le site de Damien Luce
Christine Labroche
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