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07/17/2015 «[R]evolution»
Karlheinz Stockhausen : Klavierstücke I, II, III, IV, V, VII, VIII et IX
Karol Beffa : Suite
Igor Stravinski : Trois Mouvements de «Pétrouchka» Vanessa Benelli Mosell (piano)
Enregistré en Italie (2014) – 57’06
Decca 4811616
Stravinski, Stockhausen, Beffa: l’association est inattendue – originale, bien sûr, mais aussi courageuse: il n’est pas courant que les majors réservent dans une de leurs publications une place exclusive au XXe (et même au XXIe siècle), notamment à une musique – les Klavierstücke de Stockhausen – qui reste encore difficile d’accès pour une grande partie du public. Ainsi qu’elle s’en explique dans l’entretien qu’elle a accordé à ConcertoNet, Vanessa Benelli Mosell (née en 1987) a souhaité compenser ce choix de l’avant-garde la plus radicale en son temps en complétant son disque – le premier chez Decca – avec des œuvres de deux compositeurs plus abordables, au demeurant situés à égale distance chronologique de Stockhausen, l’un né quarante-six ans plus tôt, l’autre né quarante-cinq ans plus tard.
Le projet part donc de Stockhausen, avec lequel la pianiste italienne a eu la possibilité de travailler à la toute fin de sa vie. Elle interprète huit des neuf premiers Klavierstücke (1952-1961), renonçant aux 26 minutes du fameux Sixième, hélas incompatibles avec la durée du disque. De fait, ses affinités avec cet univers hors norme – pas tant le pointillisme et la concision postweberniens des quatre premiers, bien dans l’air du temps, que la dimension cosmique et métaphysique des suivants – ressortent clairement, tant elle l’investit avec une forte volonté expressive, mettant vigoureusement en valeur les contrastes dynamiques mais aussi l’enjeu dramatique. Vanessa Benelli Mosell domine également sans peine les difficultés techniques des Trois Mouvements de «Pétrouchka» (1921) de Stravinski et en livre une interprétation à la fois punchy et très articulée, où la sécheresse et la raideur néoclassiques typiques de ces années-là sont parfois contredites par une tentation décorative, sans pour autant qu’on puisse se départir de l’impression d’une approche trop unidimensionnelle.
Bien que la plus récente des trois partitions au programme de cet album, la Suite pour piano ou clavecin (2008) de Karol Beffa (né en 1973), commande de la Fondation Marcelle et Robert de Lacour pour la musique et la danse, œuvre imposée au concours de clavecin du festival international de musique d’Auvers-sur-Oise, n’est pas loin d’apparaître comme la plus traditionnelle. Non pas parce qu’elle revendique explicitement une ascendance baroque (Couperin) au travers non seulement de l’un de deux instruments auquel elle est destiné mais des titres des trois pièces qui la composent («La Volubile», «La Ténébreuse», «La Déjantée») mais parce que son langage évolue comme si de rien n’était entre Debussy et Ligeti – le génie en moins. Habilement écrit, astucieusement séducteur et bien défendu par Vanessa Benelli Mosell, ce bref triptyque – qui, joué au clavecin, sonne sans doute quasiment comme une autre œuvre – offre toutefois une détente bienvenue entre les deux colosses qui l’encadrent dans ce disque.
Le site de Vanessa Benelli Mosell
Simon Corley
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