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07/15/2015
Serge Rachmaninov : Concertos pour piano et orchestre n° 2, opus 18, et n° 3, opus 30
Stewart Goodyear (piano), Ceský národní symfonický orchestr, Heiko Mathias Förster (direction)
Enregistré au CNSO Studio n° 1, Prague (15-18 octobre 2014) – 76’06
Steinway & Sons 30047 – Notice en anglais


Sélectionné par la rédaction





Serge Rachmaninov : Concerto pour piano et orchestre n° 2, opus 18
Gabriela Montero : Ex Patria, opus 1 «In Memoriam» – Improvisations pour piano n° 1, n° 2 et n° 3

Gabriela Montero (piano), YOA Orchestra of the Americas, Carlos Miguel Prieto (direction)
Enregistré en public au Teatro Nacional de Costa Rica (juillet 2013) – 64’29
Orchid Classics ORC100047 – Notice en français, allemand, anglais et espagnol





Serge Rachmaninov : Concerto pour piano et orchestre n° 2, opus 18 [1] – Sonate pour violoncelle et piano, opus 19 [2]
Anna Fedorova (piano), Benedict Kloeckner (violoncelle), Nordwestdeutsche Philharmonie, Laércio Diniz (direction)
Enregistré à Herford (20-21 juin 2014) [1] et à la Westvest Church, Schiedam (31 octobre 2014) [2] – 73’19
Piano Classics PCL0081 – Notice en anglais





Depuis sa création en 1901, le succès – auprès du public comme des interprètes – du Deuxième Concerto pour piano de Serge Rachmaninov (1873-1943) ne s’est jamais démenti. Depuis longtemps pourtant, les Kapell, Janis, Richter ou autres Bolet et Ashkenazy semblent dormir tranquillement au sommet d’une discographie riche et aisément accessible, qui n’est que rarement bouleversée (lire, par exemple, ici). Ces trois nouvelles parutions, qui – avec des pianistes nés à Caracas, Kiev et Toronto et des chefs mexicain, brésilien et allemand – font un peu faire le tour du monde, confirment globalement ce constat.


Gabriela Montero (née en 1970) joue la carte de la «fièvre romantique», quitte à frôler l’hystérie dans le dernier mouvement – saccadé comme des tirs de mitraillette, presque ridicule parfois. Le premier mouvement s’appuie certes sur une charpente claire, mais les accents du deuxième manquent de mystère et de fêlures, trop carrés et trop appuyés à la fois. Ce Rachmaninov dégoulinant de passion et de décibels a ses adeptes – et l’on reconnaît (dans ce qui est annoncé comme un live) les qualités techniques de la pianiste vénézuélienne, à commencer par un doigté précis et des poignets solides. Mais le résultat est assez pâteux. Emmené par Carlos Miguel Prieto, l’Orchestre YOA des Amériques s’empare pleinement du texte musical, dans un style un peu pompier par moments et sans dissimuler la pauvreté des textures instrumentales (les cordes notamment) que cette formation de jeunes musiciens d’Amérique du sud, du nord et centrale (fondée en 2001) doit encore éradiquer.


Cependant, le concerto de Rachmaninov ne constitue que l’appât de cet album dont l’intérêt réside dans l’enregistrement inédit de l’Opus 1 de Gabriela Montero, compositeur. En opposition déclarée au régime d’Hugo Chávez, la native de Caracas – qui se refuse à remettre les pieds dans son pays – voit dans son Ex Patria (2011) pour grand orchestre un cri de protestation collectif de millions de Vénézuéliens («Sentant profondément la perte de mon pays natal à la violence et à la corruption, atteignant des niveaux sans précédent, j’écrivis Ex Patria, dédiée aux 19336 victimes d’assassinat en 2011. C’est un poème musical polémique, un regard sans apologie sur le déclin civique accéléré et la déchéance morale du Venezuela, manifestés par un surcroît de 21692 meurtres en 2012 et 24763 en 2013»). Les rythmes toniques (exaltés avec conviction par le chef mexicain) reflètent la répression militaire et les menaces de la violence («le coup de feu quotidien auquel les Vénézuéliens se sont habitués»): ils contrastent avec les thèmes joués au piano et au cor, évoquant l’innocence perdue comme la complainte et l’anéantissement. Une partition qui respire parfois l’Amérique latine (dans le traitement des percussions surtout), mais parfois aussi une sorte de «troisième pression» de Michael Nyman par le romantisme extraverti des mélodies (jusqu’à flirter avec la mièvrerie).


Enfin, même si l’ombre de Bach plane sur les trois Improvisations pour piano de Gabriela Montero qui concluent le disque, c’est Rachmaninov qui semble encore inspirer ces partitions agréables à entendre et bien balancées. La Dernière parvient, par la subtilité du toucher, à coller au plus près à l’atmosphère du nocturne.


Par contraste, l’approche d’Anna Fedorova (née en 1990) dans le Concerto en do mineur se veut plus apaisée, ce qui bénéficie surtout aux climats de l’Adagio sostenuto et à son émotivité – souvent dynamitée par un sentimentalisme excessif (un écueil heureusement évité ici). La recherche de la mesure rend, en revanche, l’interprétation plus ordinaire, mettant en évidence quelques chutes de tension qui sont principalement le fait de l’accompagnement orchestral. Le chef brésilien Laércio Diniz offre, en effet, une baguette tout-terrain (assez anonyme quoique sans faute de goût) à la tête de la Nordwestdeutsche Philharmonie.


La pianiste ukrainienne a l’excellente idée de compléter l’album avec la Sonate pour violoncelle et piano, exactement contemporaine et reflétant – comme l’opus précédent – la période de composition qui suivit immédiatement, chez Rachmaninov, la sortie de la dépression. Elle a également la bonne idée de convier le talentueux Benedict Kloeckner (né en 1989) à l’accompagner. En résulte une Sonate en sol mineur où le piano exprime une personnalité puissante. Anna Fedorova n’hésite pas à faire rugir le pédalier et faire tonner les basses de son instrument. A ses côtés, le violoncelle déploie une sonorité qui magnifie les lignes mélodiques entremêlées et presque lascives souhaitées par Rachmaninov. Le résultat manque peut-être de corps et d’épaisseur pour prendre complètement à la gorge dans le premier mouvement – mais pas dans l’Allegro scherzando, rempli d’effets fantomatiques. L’Andante dégage la chaleur attendue et c’est dans l’Allegro mosso que Benedict Kloeckner fait sonner son Francesco Rugeri de 1680 avec la passion la plus fiévreuse. Un bien beau duo.


Le pianiste canadien Stewart Goodyear (né en 1978) trouve la bonne distance entre la fougue – plutôt débridée – de la version Montero et la mesure – plutôt timide – de la version Fedorova. Sa vision à la fois percussive et sensible du Deuxième Concerto est une vraie réussite, reposant sur des fondamentaux sains et refusant les grosses ficelles – au profit d’une exécution intègre et convaincue. Les tempos, quoique sans surprise, se justifient toujours, jusqu’à déployer un «motorisme» qui rapproche, dans un geste plutôt séduisant, Rachmaninov de Prokofiev. Au jeu de cette écoute comparée, l’Orchestre symphonique national tchèque est sans conteste le meilleur des trois. Sans posséder la qualité d’effectif des formations les plus prestigieuses, l’épaisseur instrumentale de l’ensemble praguois, la densité des cordes et la chaleur de ses sonorités font ressortir la musique de Rachmaninov avec beaucoup de maturité, sous la baguette experte de Heiko Mathias Förster.


Le plaisir grandit encore à l’écoute du Troisième Concerto. Bien que l’orchestre y soit un tantinet moins à l’aise rythmiquement, Stewart Goodyear démontre à quel point il sait où il va. Une gourmandise dans la frappe, une manière jouissive de retenir le plaisir dans l’Allegro ma non troppo, donnent à cet Opus 30 une indéniable personnalité. Beaucoup d’originalité aussi, à entendre l’Intermezzo – débordant de fantaisie et d’humour. Quant au Finale, il réussit la gageure de concilier lisibilité et enthousiasme, avec une espièglerie permanente et une constante réussite technique. Une version à mille lieues de la folie dionysiaque d’un Horowitz, sans la torche d’une Argerich mais avec l’éclairage solidement chevillé au front (et l’aide précieuse d’une prise de son admirable de clarté), presque aussi tenue qu’avec Lugansky, mais avec davantage de liberté. Chapeau!


Le site de Stewart Goodyear
Le site de Gabriela Montero
Le site d’Anna Fedorova


Gilles d’Heyres

 

 

 

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