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03/06/2015
Edward Elgar : The Apostles, opus 49
Alison Hargan (The Blessed Virgin, The Angel Gabriel), Alfreda Hodgson (Mary Magadalene), David Rendall (St John), Bryn Terfel (St Peter), Stephen Roberts (Jesus), Robert Lloyd (Judas), Roderick Elms (orgue), London Symphony Chorus, London Symphony Orchestra, Richard Hickox (direction)
Enregistré en l’église de St-Jude-on-the-Hill, Londres (26-29 mars 1990) – 126’55
Double album Chandos collection «Hickox Legacy» CHAN 241-49 – Notice (en anglais) de Keith Elcombe et textes inclus





Richard Hickox (1948-2008), trop tôt disparu, laisse plus de deux cents enregistrements chez Chandos, qui, depuis 2012, réédite petit à petit, dans une version remastérisée, un certain nombre de ses prestations dans le cadre de sa collection le «Legs Hickox». La plus récente attire de nouveau l’attention sur Les Apôtres (1903), de Sir Edward Elgar (1857-1934), oratorio peu présent à la scène comme au disque, sans doute en partie à cause de l’importance de l’effectif requis. La composition fait appel à six solistes dont trois basses, un double chœur avec deux semi-chorus, orgue et un très grand orchestre avec une percussion fournie. Excellent orchestrateur, Elgar n’a recours au tutti qu’avec modération, cependant, son objectif n’étant pas un dramatisme rhétorique mais plutôt une détermination de climats d’une grande mobilité harmonique et texturale qui permettent de tracer les événements exaltants, tragiques ou mystiques de la vie du Christ au travers de la spiritualité méditative qui inspire l’œuvre.


Le fait que les apôtres soient des hommes simples, sans prétention, touchait le compositeur dès son jeune âge et il en fait ici les témoins d’un récit qu’il établit lui-même en prélevant les phrases qui lui convenaient des deux testaments de la Bible et des apocryphes. Après le prélude attribué au chœur, l’œuvre présente sept épisodes-clefs subdivisés et enchaînés sans pause autre que celle, brève, qui sépare la première partie, optimiste et presque euphorique, de la seconde, fortement intériorisée, consacrée à la trahison de Judas, la Passion, la résurrection et l’Ascension. Les deux premiers épisodes peuvent paraître plus extérieurs mais ils expriment la joie rayonnante des apôtres élus par le Christ parmi ses disciples et témoins de la marche sur les eaux et des enseignements de Jésus par les béatitudes. Le troisième volet, après la repentance de Marie-Madeleine et son pardon, ouvre une voie d’espoir aux opprimés.


De nombreux fragments thématiques fonctionnent tels des leitmotivs pour remettre en mémoire les différents aspects des événements et des notions spirituelles du livret. L’orchestre, évocateur plus que descriptif, joue un rôle primordial puisqu’il transmet non seulement la profondeur des sentiments, de la joie à la désolation et à la quiétude finale, mais la violence ou la douceur des climats naturels. On peut apprécier en particulier les deux nocturnes, la tempête sur la mer de Galilée et une aube naissante saluée par les accents primitifs du chofar selon le rituel israélite, ou encore le sentiment d’abandon à Golgotha ou l’aura séraphique du finale. Hickox mène bien les forces de l’Orchestre symphonique de Londres sans jamais le laisser dominer le chant. L’intensité de la prestation imprègne les textures pleines ou étiolées et exalte les couleurs fines ou rutilantes des groupes instrumentaux et des mariages de timbres.


Elgar traite le chant soliste et choral dans un style entre le récitatif et l’arioso, l’expressivité de l’orchestre dépassant le rôle de simple accompagnateur. Dans ces conditions, le choix des solistes s’avère de première importance puisque c’est leur qualité de voix qui caractérise au plus fort les personnages qu’ils incarnent. La voix claire de la soprano Alison Hargan souligne le lointain éthéré de l’Ange Gabriel puis la douceur et la grande pureté de Marie tandis que la voix fruitée d’Alfreda Hodgson ajoute une note tragique au rôle de Marie-Madeleine. Le puissant ténor de David Rendall accuse la splendide ferveur de saint Jean. Deux des trois basses sont en fait des barytons-basses différenciés par le registre requis. Jésus, moins souvent participant que récitant calme et contemplatif, bénéficie du baryton ferme mais léger et sans aspérité de Stephen Roberts. Vient en contraste la voix plus grave d’un jeune Bryn Terfel qui campe un saint Pierre impulsif et juvénile. La riche voix de basse sombre de Robert Lloyd convient parfaitement au Judas d’Elgar, qui ne trahit que pour mieux servir son maître selon la théorie de Whately, son échec provoquant son déchirant remords. On peut préférer tel ou tel soliste des versions d’Adrian Boult ou de Mark Elder mais l’équilibre entre les six solistes de Hickox, sans maillon faible, est un atout certain.


En plus de son rôle principal de chœur antique, le Chœur symphonique de Londres, entier ou par groupes, les quatre pupitres souvent divisés sinon séparés en chœur de voix d’hommes ou de femmes, assume avec flamme tous les rôles de figurants, de simples spectateurs au distant chœur mystique final qui entrecoupe les différentes interventions des voix principales par des «Alléluia» repris en antienne envoûtante mais discrète. Hickox préserve une clarté admirable à la puissance de ce complexe contrepoint final auquel le chœur contribue par trois de ses rôles mêlés aux rôles principaux et à l’orchestre.


A l’origine le premier volet d’une trilogie inachevée qui devait traiter de la vie du Christ (Les Apôtres), des enseignements christiques des apôtres de par le monde (Le Royaume, opus 50) et du jugement dernier (jamais écrit) pour le festival triennal de musique de Birmingham, l’œuvre est peut-être inégale mais elle contient des passages qui, telle la splendeur contenue du finale, sont pleinement représentatifs du talent d’Elgar à son sommet. Cette prestation londonienne la défend avec conviction.


Christine Labroche

 

 

 

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