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11/12/2014 Alexandre Borodine : Le Prince Igor Ildar Abdrazakov (Prince Igor), Oksana Dyka (Yaroslavna), Sergey Semiskhur (Vladimir), Mikhail Petrenko (Prince Galitzky), Stefan Kocan (Khan Konchak), Anita Rachvelishvili (Konchakovna), Vladimir Ognovenko (Skula), The Metropolitan Opera Orchestra, Chorus and Ballet, Gianandrea Noseda (direction musicale), Dimitri Tcherniakov (mise en scène, décors), Elena Zaitseva (costumes), Itzik Galili (chorégraphie), Gary Halvorson (réalisation)
Enregistré en public au Metropolitan Opera, New York (1er mars 2014) – 192’ (+ bonus 10’)
Album de deux DVD Deutsche Grammophon 0735146 (ou Blu-ray 0735149) (distribué par Universal) – Format 16:9/NTSC, Son Stéréo PCM Surround: DTS 5.1 – Sous-titres en allemand, anglais, chinois, coréen, espagnol et français
Must de ConcertoNet
Les représentations du Prince Igor, l’unique opéra de Borodine, au Metropolitan Opera de New York, dans la mise en scène de Dmitri Tcherniakov et placées sous la direction de Gianandrea Noseda, l’événement-phare de la saison 2013-2014, marquaient le retour au répertoire sur cette scène prestigieuse après presque cent ans d’absence. Le présent enregistrement vidéo est celui de la diffusion mondiale dans les cinémas en mars 2014. Ce n’était pas le seul événement, car Tcherniakov, très fêté et controversé en Russie comme en Europe, faisait ici sa première mise en scène en Amérique et Noseda, dont le travail sur le répertoire russe est très apprécié au Théâtre Mariinsky de Saint-Pétersbourg et au Metropolitan Opera, avait réalisé à la demande de ce théâtre un véritable travail musicologique sur la partition fragmentaire du Prince Igor, très inachevée et complétée successivement par Glazounov et Rimski-Korsakov.
Le travail de Noseda, aidé des musicologues moscovites Elena et Tatiana Vereschagina, a consisté à replacer dans l’œuvre des fragments de Borodine redécouverts qui avaient étés rejetés par Glazounov et Rimski-Korsakov, et de supprimer beaucoup d’ajouts de ces deux compositeurs. Ainsi, l’Ouverture de la plume de Glazounov a été supprimée et des extraits du ballet Mlada ont été interpolés. Tcherniakov a fondé son travail sur le voyage intérieur d’Igor lorsqu’il revient dans son pays après l’exil. Il a interverti l’acte polovtsien (qui devient le premier) et celui de Putivl (dont la correspondance géographique avec l’actuelle Ukraine ajoute au trouble) et, bouleversant l’ordre des scènes, a remodelé les quatre actes en trois.
Le résultat est saisissant! On sait désormais que Tcherniakov, capable du meilleur comme du pire, réussit formidablement ce qu’il touche du répertoire russe comme dans l’Eugène Onéguine de ses débuts à Moscou puis Paris (dans lequel le pire préfigure en filigrane), puis La Khovantchina (Munich), Le Joueur (Berlin) et Kitège (Amsterdam, Barcelone). Il réussit grâce à une vraie réflexion politique, au traitement habile du personnage principal et au charisme de son interprète, Ildar Abdrazakov, à donner une grande unité, à la manière d’une fresque, à la succession de fragments, plus qu’un véritable opéra, qu’est Le Prince Igor. L’action est transposée au début du XXe siècle et dépouillée du kitsch de son orientalisme de pacotille. L’acte polovtsien est splendide, avec ses personnages immergés dans un chant de pavots géants sur fond de ciel bleu immaculé, et la très sensuelle chorégraphie de l’Israélien Itzik Galili dansée par le corps de ballet du Met. Un grand usage est fait de la vidéo, notamment des projections de films en noir et blanc à la Eisenstein. La direction d’acteur est, comme toujours avec Tcherniakov, extrêmement soignée.
Musicalement, l’oreille est aussi à la fête. Avec Ildar Abdrazakov (Igor), on tient l’adéquation entre une voix de baryton-basse au sommet de sa forme et d’un état psychologique mélange de vulnérabilité et d’héroïsme blasé. Oksana Dyka (Yaroslana) est à la fois brillante et très intériorisée. Sergey Semishkur (Vladimir Igorevich), Stefan Kocan (Konchak) et surtout Mikhail Petrenko (Prince Galitsky) complètent avec beaucoup de relief cette distribution russe de tout premier ordre. Très rigoureuse, la direction de Gianandrea Noseda, directeur musical du Teatro Regio de Turin, est exemplaire et, plus étonnant, les chœurs sont superlatifs comme s’ils étaient les plus familiers du monde avec cette musique. S’agissant d’une coproduction avec le Nederlandse Opera, le public européen aura la chance de la voir à Amsterdam pendant la saison prochaine.
Olivier Brunel
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