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11/08/2014 Ludwig van Beethoven : Les neuf Symphonies Gundula Janowitz (soprano), Hilde Rössel-Majdan (contralto), Waldemar Kmentt (ténor), Walter Berry (basse), Wiener Singverein, Reinhold Schmid (chef de chœur), Berliner Philharmoniker, Herbert von Karajan (direction)
Enregistré à la Jesus-Christe Kirche, Berlin (décembre 1961 [Première], janvier [Deuxième et Huitième], février [Sixième], mars [Cinquième et Septième], octobre et novembre 1962 ([Troisième, Quatrième et Neuvième]) – 332’45
Coffret de cinq disques et d’un Blu-ray Deutsche Grammophon 479 3442 – Notice trilingue (anglais, allemand et français) de Richard Osborne
Que n’a-t-on écrit, que n’a-t-on dit, que n’a-t-on même imaginé à propos de ce coffret qui fait peut-être figure à ce jour du plus célèbre enregistrement de la musique classique? Car, depuis sa réalisation, cette première intégrale des Symphonies de Ludwig van Beethoven (1770-1827) par Herbert von Karajan (1908-1989) et l’Orchestre philharmonique de Berlin fait figure de mètre-étalon au point que même Furtwängler ou Toscanini, dont Karajan s’est voulu la synthèse, se sont fréquemment vus relégués dans le cœur des mélomanes du monde entier.
Après une première intégrale réalisée avec l’Orchestre Philharmonia de 1951 à 1954 et en attendant deux autres intégrales berlinoises réalisées dans les années 1970 puis au début des années 1980, Karajan, qui avait pris les commandes de l’Orchestre philharmonique de Berlin à la fin de l’année 1954, s’engageait là dans une série de disques qui devaient donc marquer durablement l’histoire aussi bien du chef que de l’orchestre, autant que celle de la firme Deutsche Grammophon et, pour tout dire, de celle du disque de musique classique lui-même. Sous la houlette de la grande productrice Elsa Schiller (1897-1974), qui fut une des âmes de Deutsche Grammophon pendant les années 1950 et 1960, le coffret des Symphonies de Beethoven put à l’époque être acquis par voie de souscription (une première!) pour un montant de 118 marks de l’époque, et sa commercialisation donna lieu à quelques photographies mémorables comme celles montrant Sviatoslav Richter, en blouse d’ouvrier, décharger à Paris des dizaines de coffrets pour être conditionnés et ensuite distribués aux quatre coins du monde...
Voici donc, pour célébrer les vingt-cinq ans de la disparition du célèbre chef d’orchestre, un nouvel habillage de cette intégrale qui a connu, depuis sa sortie, diverses éditions comme celle de 1989 avec la couverture originelle (dans le cadre de la célébration des quatre-vingts ans du maestro) ou la récente édition parue en cinq disques dans la série des «Collectors edition» distribuée par la petite étiquette jaune. En l’espèce, on lira avec intérêt la notice de l’indispensable Richard Osborne et on regardera avec une certaine émotion les photographies montrant notamment les fiches administratives de Deutsche Grammophon relatives aux protocoles d’enregistrement des diverses symphonies.
Musicalement, rien de neuf en revanche si ce n’est que le résultat est évidemment toujours aussi somptueux; pour autant, tout n’est pas tout à fait du même niveau, Karajan ayant notamment eu l’occasion de se surpasser lui-même dans des enregistrements ultérieurs. De façon quelque peu étrange, ce sont tout d’abord les symphonies «mineures» qui étonnent par leurs qualités et une interprétation tout en finesse qu’on avait peut-être eu tendance à oublier quelque peu. Le premier mouvement de la Première développe ainsi une énergie et une palette de couleurs incroyables, l’ensemble dégageant une dimension dionysiaque que l’on ne retrouve pas, par exemple, dans l’Héroïque. Le dernier mouvement de la Première nous plonge encore dans le monde de Haydn tandis que, dès l’Allegro con brio de la Deuxième, on est sans aucun doute chez Beethoven: quel orchestre à partir de 3’10, quelle fluidité dans le mouvement conclusif, quelle finesse des bois dans le Larghetto! La Quatrième est également du plus haut niveau grâce, notamment, à un Allegro vivace final de folie que surpassera pourtant à notre sens l’ultime gravure des années 1980. Et que dire de la Huitième, symphonie que Karajan a toujours réussie? Là aussi, on est gagné par cette formidable énergie qui se manifeste notamment dans un premier mouvement tout à fait exemplaire.
Autres réussites incontestables: les Cinquième, Sixième et Neuvième. La plus impressionnante est certainement la Cinquième, qui bénéficie en premier lieu d’un pupitre de cors superlatifs (la fin de l’Allegro con brio est proprement hallucinante) qui éclipseraient presque les cordes – et pourtant, quels violoncelles au début du deuxième mouvement! Dans la Pastorale, les bois sont d’une finesse absolue (à partir de 6’10) qui confèrent à cette version, contrairement par exemple à ce que fera vingt ans plus tard Carlos Kleiber dans son génial enregistrement paru chez Orfeo, plus d’élégance (le deuxième mouvement ou le hautbois dans le troisième) que de spontanéité. Dans la Neuvième, en revanche, tout est grand. L’orchestre brille de bout en bout: on admire sans réserve la progression de l’Allegro ma non troppo initial tout autant que la beauté aérienne de l’Adagio e molto cantabile, Karajan conduisant l’ensemble avec sans nul doute une idée précise du début à la fin, qui confère à cette version sa très grande cohérence. En parfait ordre de bataille, les chœurs du Wiener Singverein et un excellent quatuor de solistes (Walter Berry...) couronnent cette interprétation qui s’est toujours hissée parmi les trois ou quatre références incontestables de l’œuvre.
Et c’est donc avec un certain étonnement que l’on jugera un peu en deçà des précédentes symphonies les Troisième et Septième. Ce qui étonne dans l’Héroïque, notamment dans l’Allegro con brio inaugural, c’est cette très grande clarté qui, de temps à autre, confine presque à l’hésitation (les vents à 3’26): on est loin des deux autres intégrales berlinoises où le Philharmonique de Berlin fait figure de rouleau compresseur que rien ne peut arrêter, inexorable machine qui vous prend à la gorge de la première à la dernière note. Tout en étant d’une très grande profondeur et d’une tout aussi évidente beauté, la Marcia funebre trahit une emphase et, parfois, une certaine lourdeur qui étonnent de la part de Karajan, lui qui, dans son intégrale avec le Philharmonia, avait plutôt évité cet écueil. Néanmoins, quelle tenue dans la ligne mélodique (tout spécialement à partir de 7’58)! Dans la Septième, c’est le troisième mouvement qui est assez rédhibitoire: trop compassé, trop lourd. Si les basses à la fin du premier mouvement sont extraordinaires, on recommandera une nouvelle fois à qui souhaiterait une Septième par le duo Karajan-Berlin les fulgurances du concert du 28 janvier 1978 publié chez Palexa: immense!
En complément des cinq disques audio, le présent coffret compte un Blu-ray qui permet non seulement d’écouter l’intégrale des Symphonies mais qui compte aussi trois pistes nous permettant d’entendre Karajan et les Berliner Philharmoniker répéter trois mouvements de la Neuvième. On perçoit une nouvelle fois les exigences incroyables du chef qui veille notamment à ce que les diminuendo soient parfaitement respectés, qui fait répéter séparément cordes et cuivres dans le premier mouvement et qui conclut les répétions du quatrième par un «Aufnahme!»: «on enregistre!».
Sébastien Gauthier
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