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08/15/2014 «Salzburg Festival: Ouverture spirituelle»
Joseph Haydn : Die Jahreszeiten, Hob.XXI:3
Nikolaus Harnoncourt in Rehearsal at the Salzburg Festival (*) Dorothea Röschmann (Hanne), Michael Schade (Lukas), Florian Boesch (Simon), Konzertvereinigung Wiener Staatsopernchor, Ernst Raffelsberger (chef de chœur), Stefan Gottfried (pianoforte), Wiener Philharmoniker, Nikolaus Harnoncourt (direction), Michael Beyer, Eric Schulz (*) (réalisation)
Enregistré en concert au Grosses Festspielhaus de Salzbourg (juillet 2013) – 150’ (+ documentaire 25’)
Blu-ray Unitel Classica/Salzburger Festspiele/EuroArts 2072674 (ou DVD 2072678) – Son PCM Stereo – Format NTSC 4:3 – Region Code 0 – Notice trilingue (anglais, allemand et français) de Christoph Witte
Le grand oratorio Les Saisons de Joseph Haydn (1732-1809) n’a guère été joué au festival de Salzbourg. La première fois, ce fut le 19 août 1981 sous la baguette de James Levine, qui dirigeait déjà les Wiener Philharmoniker, puis il a fallu attendre le 31 août 2009 pour que l’on puisse de nouveau l’entendre, cette fois-ci sous la direction de Sir Simon Rattle à la tête des Berliner Philharmoniker. Et voici donc le tour de Nikolaus Harnoncourt, grand interprète de ce répertoire et de cette œuvre en particulier: est-ce justement pour cette raison que l’on ressort de cette écoute déçu alors que les attentes étaient particulièrement fortes?
Harnoncourt passe pour être l’enfant terrible d’une grande partie du répertoire classique qu’il a sérieusement contribué à sinon dépoussiérer, du moins remettre en question. Or, l’interprétation qu’il dirige ici des Saisons frappe par son conformisme, sa sagesse et, finalement, le profond ennui qu’elle suscite. Pourtant, Harnoncourt montre qu’il souhaite alléger le discours puisqu’il ne fait là appel qu’à cinquante musiciens (où l’on reconnaît les visages de Rainer Honeck en Konzertmeister, du vénérable Heinrich Koll à l’alto, de Dieter Flury à la flûte ou de Clemens Horak au hautbois) et soixante choristes; en voyant les seulement huit premiers violons, quatre violoncelles et quatre contrebasses, on se dit que l’ensemble va être léger et doté d’une belle vivacité. On en sera pour ses frais dès l’Ouverture, qui manque singulièrement de nerf. L’interprétation ne se départira finalement jamais de ce sérieux qui est à mille lieues de ce que décrit la musique de Haydn. Qu’il s’agisse de l’air «Schon eilet froh der Ackermann» de Simon ou de l’orchestre à 27’20 dans le chœur «O wie lieblich ist der Anblick» dans «Le Printemps», on ne perçoit aucune joie, aucune espièglerie: tout cela est bien trop sérieux. De même, dans les appogiatures des bois à 59’05 (à la fin de «L’Eté») ou dans le jeu des cors en accompagnement du chœur des chasseurs («Hört, hört, das laute Getön») dans «L’Automne», il n’y a ni débordement ni fantaisie: tout est certes bien fait mais la vie est visiblement ailleurs. Il faut dire que les musiciens, pas davantage que les choristes d’ailleurs, ne semblent aucunement s’amuser et affichent au contraire une mine trahissant un ennui profond; seule l’attitude du Konzertmeister Rainer Honeck ou, enfin, un premier sourire du flûtiste solo Dieter Flury lors du chœur «Knurre, schnurre, knurre» (au sein de «L’Hiver») changent quelque peu la perception que l’on a des musiciens mais, visiblement, cet oratorio de Haydn ne les motive guère.
Côté solistes, comme dans le récent et magnifique enregistrement dirigé par Philippe Herreweghe, c’est sans aucun doute Florian Boesch, de nouveau dans le rôle de Simon, qui domine ses deux partenaires. Excellent tout au long de l’oratorio, il est au surplus le seul à adopter une certaine théâtralité dans son chant, s’amusant lorsque cela est dicté par la partition, sachant également être sentencieux comme il convient aux sages. Au contraire, dans le rôle de Hanne, Dorothea Röschmann reste trop sur la réserve, ne minaudant par exemple pas assez dans l’air «Ein Mädchen, das auf Ehre hielt» où elle devrait pourtant être un tant soit peu espiègle, n’adoptant pas un ton suffisamment jeune et frais dans son duo avec Lukas («Ihr Schönen aus der Stadt», dans «L’Automne»), où elle incarne une femme trop réfléchie, trop éloignée là aussi de la paysanne un tant soit peu ingénue que Haydn a voulu peindre. Quant à Michael Schade, il ne se révèle pas non plus un Lukas très convaincant, faute d’en avoir le caractère.
Nikolaus Harnoncourt dirige l’ensemble de façon assez mécanique, économe en gestes (à 1’17’00), ayant parfois le nez dans une partition qu’il doit pourtant connaître par cœur depuis le temps qu’il la dirige. Là aussi, on est assez surpris par l’attitude du grand chef, qui semble parfois trop extérieur à l’œuvre. En fin de compte, un bon concert, que saluent des applaudissements plus polis que véritablement enthousiastes, qu’il s’agisse d’Alice Harnoncourt, de Marc Minkowski ou de Dominique Meyer comme nous les montrent les caméras, mais qui ne surnage guère au regard des réussites dont on peut disposer au disque, à commencer par les enregistrements dirigés par Nikolaus Harnoncourt lui-même. Quant à la réalisation de Michael Beyer, elle est à l’image de l’interprétation: assez sage, sans grande imagination, les caméras alternant de façon classique entre les solistes (vocaux et instrumentaux), le chef ou l’orchestre.
Le résultat musical est d’autant plus étonnant que le documentaire de 25 minutes offert en bonus, sobrement intitulé Nikolaus Harnoncourt en répétition au festival de Salzbourg, nous donne à entendre un Harnoncourt autrement plus inventif et volontariste. N’est-ce pas lui qui dit, face à la caméra, que «sécurité et beauté sont incompatibles»? N’est-ce pas lui encore qui reproche aux Wiener Philharmoniker de jouer de manière «trop symphonique» ou «trop confortable»? On ne peut que regretter la brièveté de ce film, qui est extrêmement intéressant sur la manière que peut avoir un grand chef d’aborder une telle œuvre. Comme quoi, même à ce niveau, il y a parfois un grand pas à effectuer pour franchir le passage entre la théorie et la pratique... Enfin, on regrettera quelques erreurs de sous-titrage dans le documentaire ainsi que quelques anicroches dans la notice: entre autres, Harnoncourt a été violoncelliste chez les Wiener Symphoniker et non chez les Philharmoniker – les notices en anglais et allemand sont correctes mais c’est la traduction française qui commet l’erreur – et l’air «Im grauen Schleier» ouvrant «L’Eté» n’est pas chanté par Simon mais par Lukas.
Le site de Nikolaus Harnoncourt
Le site de Dorothea Röschmann
Sébastien Gauthier
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