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08/14/2014 «C.P.E. Bach Project»
Carl Philipp Emanuel Bach : Concertos pour violoncelle et orchestre en la mineur, Wq. 170, H. 432, et en la majeur, Wq. 172, H. 439 – Sinfonia en si mineur Wq. 182/5, H. 661 – Sonate en trio en ut mineur pour deux violons et basse continue «Sanguineus et Melancholocus», Wq. 161, H. 579 Pulcinella Orchestra, Ophélie Gaillard (violoncelle et direction)
Enregistré en l’église de Bon-Secours, Paris (17-19 septembre et 19 décembre 2013) – 72’
Aparté AP080 – Notice bilingue (français et anglais) de Gilles Cantagrel
«Sur le Véritable art de jouer les instruments à clavier»
Carl Philipp Emanuel Bach : Sonates en ut majeur, Wq. 63/1, H. 70, en ré mineur, Wq. 63/2, H. 71, en la majeur, Wq. 63/3, H. 72, en si mineur, Wq. 63/4, H. 73, mi bémol majeur, Wq. 63/5, H. 74, en fa mineur, Wq. 63/6, H. 75, en sol majeur, Wq. 63/7, H. 292, et en si bémol majeur, Wq. 63/10, H. 295
Cristiano Holtz (clavicorde et clavecin)
Enregistré en l’église britannique de Lisbonne (juillet et septembre 2013) – 77’51
Hortus 107 (distribué par AVM Diffusion) – Notice bilingue (français et anglais) de Marc Vignal et Cristiano Holtz
«Berlin Symphonies»
Carl Philipp Emanuel Bach : Symphonies en mi bémol majeur Wq. 179, H. 654, en fa majeur Wq. 181, H. 656, en ut majeur Wq. 174, H. 649, en fa majeur, Wq. 175, H. 650, et en mi mineur, Wq. 178, H. 653
Kammerorchester Carl Philipp Emanuel Bach, Hartmut Haenchen (direction)
Enregistré en la Christuskirche, Berlin (mars 1985) – 52’54
Brilliant Classics B00I53J3IY
Carl Philipp Emanuel Bach (1714-1788), fils de Johann Sebastian (1685-1750) et de sa cousine Maria Barbara (1684-1720), passe souvent pour être le plus fécond et le plus talentueux des quatre fils Bach qui se sont illustrés dans la musique. Et il est vrai que, son œuvre étant désormais assez largement diffusée et donc connue, Carl Philipp Emanuel a réussi dans presque tous les genres que les trois présentes publications illustrent avec plus ou moins de réussite.
Dans son disque consacré pour l’essentiel (et par facilité de classification) aux concertos, Ophélie Gaillard et son ensemble Pulcinella nous livrent une totale réussite. Les deux concertos pour violoncelle, dont on connaît surtout le troisième mouvement Allegro assai de celui en la majeur, sont en vérité des transcriptions de concertos originellement destinés au clavecin, le premier datant de 1750, le second de 1755. A l’image de la photographie de couverture représentant Ophélie Gaillard qui, altière et tout de rouge vêtue, semble lancer un défi à quelqu’un, le jeu de la violoncelliste est tout en feu et en vigueur. Le petit orchestre, où le pianoforte participe de la basse continue, sonne magnifiquement, la soliste faisant montre d’une vigueur enthousiasmante dans les mouvements rapides. Ainsi, dans le troisième du concerto en la mineur, la progression constante du discours et l’importance donnée aux accents renouvellent de manière significative cette partition qui connaît pourtant de nombreuses enregistrements de référence. Il en va de même pour l’Allegro assai qui conclut le concerto en la majeur, tout aussi entraînant. Ophélie Gaillard sait également prendre son temps lorsque cela s’avère nécessaire et c’est ainsi qu’elle et ses comparses nous livrent un poignant Largo (dans le concerto en la majeur): bénéficiant d’une ample respiration, ce mouvement émeut au plus haut point. La Sinfonia en si mineur jouit également d’une très belle interprétation, notamment son troisième mouvement qui, par ses accents soudains, ses accélérations inopinées et la vie qu’elle dégage, s’avère être le sommet de cette œuvre qui dure pourtant moins de 10 minutes. Quant à la Sonate en trio intitulée par Carl Philipp Emanuel Bach lui-même «Conversation entre un Sanguin et un Mélancolique», elle met surtout en lumière deux violons (Thibault Noally et Nicolas Mazzoleni) dont le professionnalisme, à l’image du disque dans son entier, est enthousiasmant, notamment dans le dernier mouvement (Allegro).
Contrairement à celle d’Ophélie Gaillard, la photographie de Cristiano Holtz distille un vrai sentiment de réserve, teintée au surplus d’un air légèrement hautain. Pourtant, le claveciniste et pianofortiste brésilien aurait de quoi s’enthousiasmer tant Carl Philipp Emanuel Bach a composé d’œuvres pour le clavier, s’affirmant même comme un théoricien de tout premier ordre lorsqu’il écrivit son fameux Versuch (Traité) en 1753 qui, complété en 1762 par une seconde partie, traite de l’art de jouer du clavier, pendant au non moins fameux Traité de Quantz sur l’art de jouer de la flûte (1752). Et comme l’écrit Marc Vignal dans la notice du disque, reprenant ainsi les propos qu’il tenait déjà dans son livre fondamental sur Les Fils Bach (Fayard, page 120), « Pour ne pas séparer la théorie de la pratique, Carl Philipp Emanuel Bach publie en annexe de la première partie de son Versuch une série de pièces pour clavier, Achtzehn Probe - Stücke in sechs Sonaten ("Dix-huit Leçons en six sonates"»)»: tels sont les morceaux interprétés ici par Cristiano Holtz. Ayant recours au clavicorde pour trois d’entre elles (63/1, 63/2 et 63/10), au clavecin pour les autres, Holtz manque à notre sens totalement son but en réduisant ces pièces à de simples exercices. En effet, C.P.E. Bach a toujours insisté sur l’interprétation et l’improvisation, la fantaisie étant pour lui un élément central de la bonne musique. Or, le jeu de Cristiano Holtz frappe surtout par son ennui (le deuxième mouvement de la Sonate Wq. 63/1) et par son manque d’imagination (le premier mouvement de la Sonate Wq. 63/3), le passage du clavicorde au clavecin ne changeant d’ailleurs rien à l’affaire. Alors que certains mouvements sont à eux seuls de petits bijoux, Holtz réussit la prouesse de leur conférer des couleurs ternes et de les jouer avec une platitude qui suscite l’accablement chez l’auditeur. Ainsi, comment accepter que ce si bel Adagio affetuoso e sostenuto tiré de la Sonate Wq. 63/6 soit joué de façon aussi mécanique, aussi prosaïque alors que la mélancolie de la partition justifierait quelque passion, voire emportement?
Enfin, le disque consacré aux Symphonies berlinoises dirigé par Hartmut Haenchen n’est pas inconnu: l’enregistrement, réalisé en mars 1985, avait été publié à l’époque chez Berlin Classics (0010962 BC). Les cinq symphonies présentées ici témoignent du travail réalisé par Carl Philipp Emanuel Bach alors qu’il était en poste à Berlin de 1738 à 1768 et pour lequel il a acquis une réputation on ne peut plus flatteuse à travers toute l’Europe. Même si plusieurs enregistrements ont été effectués depuis par des ensembles aussi aguerris que l’Académie de musique ancienne de Berlin, le présent disque conserve toute son actualité. La verve du premier mouvement de la Symphonie Wq. 179, plein de surprises, ou de son troisième mouvement (les cors!) augurait déjà bien du résultat. La suite mêle adroitement finesse orchestrale (le deuxième mouvement de la Symphonie Wq. 181, agrémenté par la douceur exquise de deux flûtes) et vivacité orchestrale, qu’il s’agisse par exemple de l’Allegro conclusif de la Symphonie Wq. 174 ou du climat véritablement frénétique du premier mouvement de la Symphonie Wq. 178, la plus riche du point de vue orchestral. Un excellent complément aux autres disques de symphonies réalisés par les mêmes artistes chez Capriccio (pour les six Symphonies Wq. 182 destinées à un orchestre à cordes et Wq. 183), disques tous deux réédités en 2011 chez Phoenix.
Le site de l’ensemble Pulcinella
Le blog de Cristiano Holtz
Le site de l’Orchestre de chambre Carl Philipp Emanuel Bach
Sébastien Gauthier
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