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05/03/2014 Europakonzert 1994
Ludwig van Beethoven : Concerto pour piano et orchestre n° 5 en mi bémol majeur, «L’Empereur», opus 73
Johannes Brahms : Symphonie n° 2 en ré majeur, opus 73 Daniel Barenboim (piano), Berliner Philharmoniker, Claudio Abbado (direction), Brian Large (réalisation)
Enregistré eu public au Théâtre de Meiningen (1er mai 1994) – 86’
Blu-ray EuroArts 2011694 – Notice (anglais, allemand et français) de Nata Metskhovrishvili – Son PCM Stereo – Format NTSC 16:9 – Region Code 0
Sélectionné par la rédaction
Johannes Brahms : Symphonie n° 2 en ré majeur, opus 73
Leos Janácek : Msa glagolskaja
Tatiana Monogarova (soprano), Marina Prudenskaja (mezzo-soprano), Ludovit Ludha (ténor), Peter Mikulás (basse), Iveta Apkalna (orgue), Chor des Bayerischen Rundfunks, Peter Dijkstra (chef de chœur), Symphonieorchester des Bayerischen Rundfunks, Mariss Jansons (direction), Michael Beyer (réalisation)
Enregistré en public au KKL de Lucerne (31 mars 2012) – 88’
Arthaus Musik 101 684 (ou Blu-ray 108080) – Notice trilingue (anglais, français et allemand) de Peter Uehling – Son PCM Stereo – Format NTSC 16:9 – Region Code 0
Comme on le sait, l’Orchestre philharmonique de Berlin a été fondé le 1er mai 1882; depuis 1991, il a souhaité célébrer cet anniversaire en donnant chaque année un concert de prestige dans une grande ville européenne: au fil du temps, il aura notamment été dirigé par Bernard Haitink (à Londres en 1993 et à Cracovie en 1999), Daniel Barenboim (à Versailles en 1997 puis à Prague en 2006), Riccardo Muti (à Naples en 2009) et Sir Simon Rattle à Berlin (à Moscou en 2008 et de nouveau à Prague en 2013). En 1994, c’était Claudio Abbado (1933-2014), alors chef titulaire du Philharmonique, qui était à la baguette après avoir dirigé un premier «Europakonzert» à Prague en 1991.
En dépit d’un grain qui est quelque peu dépassé par la netteté absolue des concerts filmés aujourd’hui, ce concert, qui eut lieu dans ce magnifique écrin qu’est le Théâtre de Meiningen, fut un excellent cru en raison d’une Deuxième Symphonie de Brahms absolument éblouissante. La première partie du spectacle était consacrée au célébrissime Empereur de Beethoven avec Daniel Barenboim au piano. Si la prestation du pianiste argentin est globalement très bonne, celui-ci ne peut tout de même s’empêcher d’avoir un toucher assez dur en plusieurs occasions (dans le premier mouvement Allegro à 7’55 ou à 12’ par exemple, ou en abordant le Rondo finale) et suscite, par ses intempestives variations de tempo, quelques décalages avec l’orchestre (principalement dans le deuxième mouvement). Côté orchestre en revanche, on est aux anges. Les grandes figures de Berlin sont toutes présentes: Daniel Stabrawa est le konzertmeister du jour, Kolja Blacher est à sa gauche, Wolfram Christ conduisait les altos tandis que Georg Faust occupait le poste de violoncelle solo, Rainer Zepperitz et Klaus Stoll menaient le pupitre de contrebasses, le hautboïste Hansjörg Schellenberger côtoyait le tout jeune Emmanuel Pahud à la flûte... Toute une époque, autant dire, sous la houlette de Claudio Abbado, dont la direction aérienne est toujours aussi belle à regarder – quelle manière de conduire les phrases jusqu’à leur point culminant comme dans le premier mouvement à 4’20! Si les caméras de Brian Large n’offrent guère de point de vue original (soliste, chef, pupitres de l’orchestre), certains plans sont particulièrement beaux, comme ces détails du visage de Daniel Barenboim lorsqu’il écoute le tapis sonore s’installer au début du deuxième mouvement.
Mais le clou du concert était à venir. Claudio Abbado et les Berliner Philharmoniker ont enregistré une très belle intégrale des symphonies de Brahms au début des années 1990 (Deutsche Grammophon): la pratique de ces œuvres, à laquelle il faut ajouter une connaissance mutuelle assez intime entre le chef et l’orchestre au bout de presque cinq ans de collaboration quasi exclusive (Abbado ayant pris en mains la destinée du Philharmonique fin 1989), donnent un résultat tout à fait incroyable. Claudio Abbado, comme à son habitude, laisse l’orchestre jouer et ne reprend la main que lorsque c’est nécessaire comme dans cette magistrale fin de premier mouvement (Allegro non troppo). A 74’39, il faut voir également comment, par une simple petite impulsion du poignet, le chef milanais lance ses musiciens: du très grand art! En outre, l’interprétation de cette symphonie est sublimée par un Philharmonique de Berlin au mieux de sa forme. Là encore, quel plaisir visuel que ce pupitre de contrebasses qui forme une houle énorme que rien ne semble pouvoir arrêter (dans le premier mouvement à 47’28 ou 55’ ou dans le deuxième mouvement à 63’45), les musiciens ne cessant de se jeter quelques regards complices, illustrant le plaisir qu’ils ont de faire de la musique ensemble ce soir-là. Sans nul doute, nous tenons là l’un des meilleurs «Europakonzert» actuellement disponibles en vidéo.
Changement de cadre avec le concert dirigé presque dix-huit ans plus tard par le chef letton Mariss Jansons, au Palais de la culture et des congrès de Lucerne. Ce ne sont pas les Berliner Philharmoniker qui sont présents mais l’excellent Orchestre symphonique de la Radio bavaroise, dont Jansons est le chef titulaire depuis 2003. Là encore, le résultat de cette Deuxième Symphonie de Brahms est techniquement excellent mais souffre à nos yeux d’un sérieux manque d’inspiration. Dès le premier mouvement, les tonalités apparaissent moins sombres que chez Abbado, Jansons usant moins du legato que son illustre confrère au prix d’une interprétation peut-être plus contrastée mais où le travail effectué en amont par les musiciens apparaît de façon plus flagrante. Si les violons sont excellents, les violoncelles n’ont pas la profondeur ni la rondeur des Berlinois; quant aux vents, tout spécialement les bois, ils témoignent en revanche d’une finesse exceptionnelle dans le troisième mouvement (Allegretto grazioso - Presto ma non assai), en dépit d’un hautbois (Stefan Schilli) moins séduisant que Schellenberger. Voir Mariss Jansons diriger est là aussi un spectacle à soi seul, le chef faisant fréquemment passer sa baguette à la main gauche afin de mieux diriger des bras (dans le premier mouvement à 14’50 par exemple) ou de sa seule main droite. On s’enthousiasmera ainsi à l’image du chef dans le dernier mouvement (à 31’45) qui, malheureusement, s’alourdit quelque peu (surtout à partir de 37’35) quand Abbado poussait au contraire à fond la dynamique orchestrale. Les caméras de Michael Beyer sont en revanche plus attrayantes que celles de Brian Large, offrant au téléspectateur une plus grande variété de plans, usant d’une manière de filmer plus dynamique, d’aucuns diront plus moderne...
Le complément s’avère donc à notre sens plus intéressant que la première partie du concert puisque la Messe Glagolitique n’existait jusqu’alors que dans un seul concert filmé, édité chez Supraphon et dirigé par Sir Charles Mackerras. Le résultat obtenu par Mariss Jansons est impressionnant grâce, en premier lieu, à un chœur de la Radio bavaroise tout à fait superlatif, particulièrement dans «Gospodi pomiluj» et dans un «Agnece Bozij» aux sonorités angoissantes. L’orchestre s’avère également très impliqué dans cette vaste fresque où les tutti – on soulignera la prestation cette fois-ci très convaincante des violoncelles – laissent une assez grande place aux solistes à commencer par le charismatique Raymond Curfs aux timbales. Mariss Jansons, ovationné par le public et les artistes à la fin du concert, dirige l’ensemble avec une implication de chaque instant, arborant comme souvent un visage extrêmement expressif (au début du «Slava»!). De ce point de vue, le jeu des caméras permet de profiter pleinement de cette relation entre le chef et ses troupes, la diversité des plans et la profondeur de champ nous faisant apprécier au mieux le spectacle.
Tout en étant collectivement très bons, les solistes vocaux appellent néanmoins quelques réserves. Le quatuor est à notre sens dominé par la soprano Tatiana Monogarova au chant très théâtral comme il convient dans cette œuvre (à noter qu’elle est placée près du chef, en deuxième position, et non en premier comme y conduit généralement l’ordre «habituel» des chanteurs), Peter Mikulás assurant parfaitement sa partie grâce à un métier qui n’a plus rien à prouver. La participation fort brève de Marina Prudenskaja n’appelle pas de commentaire spécifique, le ténor Ludovit Ludha forçant en revanche assez fréquemment sa voix pour que sa prestation ne mérite guère d’être retenue. Néanmoins, l’ensemble, auquel participe activement l’organiste Iveta Apkalna dont le solo empreint de folie précède le dernier tutti orchestral, emporte sans difficulté la conviction.
La page de l’Orchestre philharmonique de Berlin consacrée aux «Europakonzert»
Le site de Marina Prudenskaja
Le site de Ludovit Ludha
Le site de l’Orchestre symphonique de la Radio bavaroise
Sébastien Gauthier
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