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03/15/2014
Franz Schubert : Winterreise, D. 911

Christoph Prégardien (ténor), Michael Gees (piano)
Enregistré à Galaxy Studios, Mol (2-5 septembre 2012) – 70’43
Challenge Classics CC72596 – Notice de présentation en anglais et allemand





Jan Kobow (ténor), Christoph Hammer (pianoforte)
Enregistré au Schloss Seehaus, Markt Nordheim (juillet 2011) – 63’25
ATMA Classique ACD2 2536 – Notice de présentation en français et anglais





Gerald Finley (baryton), Julius Drake (piano)
Enregistré à All Saints’ Church, East Finchley, London (16-18 février 2013) – 74’37
Hyperion CDA68034 (distribué par Abeille Musique) – Notice de présentation en anglais





Ces trois enregistrements du Voyage d’hiver (1827) de Franz Schubert – sur des poèmes de Wilhelm Müller – permettent d’éprouver différentes options interprétatives: baryton ou ténor, piano moderne ou pianoforte. Aucun ne parvient toutefois à marquer une discographie pléthorique, où les références abondent. Le premier disque associe un ténor et un pianiste allemands. Christoph Prégardien (né en 1956) peut sans peine être qualifié de spécialiste de cette partition qu’il a déjà enregistrée en 1996 avec le distingué Andreas Staier (sur pianoforte chez Teldec) et en 2007 dans la fascinante version de chambre arrangée par Normand Forget (pour accordéon et quintette à vents chez ATMA).


Dans le cru 2012 – également disponible en DVD (CC72595) et Blu-Ray (CC72588) chez Challenge –, Michael Gees (né en 1953) l’accompagne sur un piano moderne. Ce dernier présente une voix moins stable qu’autrefois, comme à la fin de «Gefrorne Tränen» (qui bouge beaucoup). Version torturée qu’exprime la douleur extériorisée de «Der Lindenbaum», très tonique par moments. C’est que Christoph Prégardien cherche à exprimer une grande véhémence dans de nombreux lieder, en en modifiant certains accents – dans un geste presque tonitruant – sans parvenir à dissimuler les limites d’un organe parfois à la peine («Die Wetterfahne», «Auf dem Flusse»...). Mais l’émotion extrême que le ténor allemand imprime à «Frühlingstraum», «Einsamkeit» ou «Das Wirtshaus» reste touchante. Face au coup de tonnerre de ses deux précédents enregistrements, celui-ci paraît néanmoins plus timide et convainc davantage dans la seconde partie qui respire la résignation. On goûte toutefois partout le piano attentif et sonore de Michael Gees, celui d’un soliste plus que d’un accompagnateur.


ATMA, l’éditeur canadien du disque de Prégardien précédemment évoqué, publie l’enregistrement d’un autre ténor allemand – guère moins expérimenté puisqu’il a déjà gravé La Belle Meunière et Le Chant du cygne chez le même éditeur. Jan Kobow (né en 1966) présente beaucoup d’atouts pour Le Voyage d’hiver, l’absence de vibrato rehaussant l’urgence de certains passages de ce recueil si fréquenté. Certes, sa voix translucide n’a pas toujours la densité nécessaire, écourtant certains aigus dont il ne parvient pas pleinement à habiter l’épaisseur. Meilleur diseur que chanteur, il escamote certains phrasés et tire lui aussi un peu sur sa voix («Auf dem Flusse», «Die Krähe»), pourtant plus fraîche que celle de Prégardien, mais certainement moins mûre. Cela reste une belle version, nullement passive, où le murmure n’est jamais vide et où le chant peut investir les portées jusqu’à l’obsession («Im Dorfe»).


Et ce, avec – ou malgré (selon les inclinations de chacun) – le choix d’un pianoforte pour accompagner le ténor. L’instrument (un piano à queue du tout début du XIXe siècle, construit par Joseph Brodmann et restauré par Ulrich Weymar) – à la personnalité sonore forte mais inconstante («le soliste et son accompagnateur [...] ont voulu que l’instrument soit accordé selon un tempérament inégal flottant pour mieux faire ressortir les qualités de l’instrument historique provenant de l’atelier de Brodmann au lieu d’utiliser un tempérament "égal" comme c’est habituellement le cas aujourd’hui») – n’offre pas l’écrin idéal à une fusion du clavier et de la voix. On n’en admire pas moins les qualités de Christoph Hammer (né en 1966), dont les coups de patte impressionnent dans «Der Lindenbaum» comme dans la prosodie de «Auf dem Flusse», qui tire le meilleur de son instrument dans «Rückblick» ou «Die Post», pour exalter – au pas de charge (l’ensemble de cette version dure d’ailleurs à peine plus d’une heure) – une légèreté virtuose et prenante. Beaucoup pourront toutefois estimer que ce pianoforte sonne parfois comme une casserole (le début de «Die Wetterfahne») et déplorer la sécheresse («Gefrorne Tränen») et le manque de précision («Mut!») de l’ensemble. Il faut dire que la grande résonnance de la prise de son renforce les caractéristiques bringuebalantes de l’instrument.


Retour enfin, avec Gerald Finley (né en 1960), à la version habituelle pour baryton. Le chanteur canadien l’enregistre avec l’expérimenté Julius Drake (né en 1959) au piano – les partenaires ayant déjà éprouvé la partition en concert. On y retrouve d’ailleurs le «climat lourd de sens» ressenti sur scène («davantage homme mature posé et résigné que jeune homme fébrile et insoumis, le voyageur empreint de gravité de Gerald Finley se montre digne dans la douleur»). Si la prononciation reste très soignée et la voix d’un grain riche – bel alliage de chaleur grave (la caresse de «Im Dorfe») et de maturité du timbre (qui colore notamment «Das Wirtshaus») –, l’interprétation demeure plutôt terne (à l’inverse, dans un style très proche, de la version de Thomas Hampson chez EMI).


Alors que «Die Wetterfahne» offre de beaux aigus, «Gute Nacht» expose des graves un peu faiblards, si bien que «Gefrorne Tränen» présente une insistance presque agressive. Tandis que «Erstarrung» se caractérise par une vraie douleur dans la révolte, «Der Lindenbaum» dégage une fausse douceur dans la lamentation et quelques intonations douteuses. On relève, dans «Die Nebensonnen» tout comme dans «Frühlingstraum», cette même tendance de Gerald Finley à attaquer les notes un tantinet en dessous et l’on aimerait, dans «Irrlicht» ou dans «Rast», plus de virtuosité vocale. Au total, une version de moins en moins captivante au fil des épisodes, portée par un chant à la neutralité grandissante (déjà dans «Wasserflut», très clairement dans «Letzte Hoffnung»), jusqu’à «Der Leiermann» dont on sent la placidité assumée. Si l’on ne doute pas du choix délibéré de plonger progressivement l’œuvre dans une douceur fantomatique synonyme d’abattement, on regrette que «Der greise Kopf» et «Der Wegweiser» s’empâtent (malgré une beauté de timbre qui colore également «Das Wirtshaus»), que «Die Krähe» n’inquiète pas, que «Im Dorfe» soit si apathique ou encore que la colère de «Der stürmische Morgen» paraisse un peu fausse. Quant au pianiste anglais, il prend son temps (le disque durant près de 75 minutes) jusqu’à paraître éteint (même dans la première partie du cycle). Une pudeur volontaire, que l’animation de «Letzte Hoffnung», «Der Lindenbaum» ou «Rückblick» fait regretter d’être aussi omniprésente.


Le site de Christoph Prégardien
Le site de Michael Gees
Le site de Gerald Finley
Le site de Julius Drake


Gilles d’Heyres

 

 

 

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