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03/03/2014 Wolfgang Amadeus Mozart : Concertos pour piano n° 25, en ut majeur, K. 503, et n° 20, en ré mineur, K. 466
Martha Argerich (piano), Orchestra Mozart, Claudio Abbado (direction)
Enregistré en public au Centre de la culture et des congrès de Lucerne (16 et 18 mars 2013) – 61’44
Deutsche Grammophon 479 1033 – Notice (en anglais, allemand, français et italien) de Julia Spinola
Sélectionné par la rédaction
Ce n’est pas sans émotion que l’on écoute ce disque qui restera donc comme l’un des derniers enregistrements de Claudio Abbado, disparu le 20 janvier dernier dans sa chère ville de Bologne (voir ici). Il s’agit en l’occurrence d’extraits de deux concerts donnés lors du Festival de Pâques de Lucerne par Abbado et son Orchestra Mozart, respectivement les 16 et 18 mars 2013, au Centre de la culture et des congrès (KKL) de Lucerne. Outre le Vingt-cinquième Concerto de Mozart, le premier concert affichait deux ouvertures de Beethoven (Léonore III et Coriolan) ainsi que la Trente-troisième Symphonie; le second programmait donc le Vingtième Concerto de Mozart, ainsi que des extraits de Rosamonde de Schubert et deux œuvres de Beethoven (l’ouverture Léonore II et la Quatrième Symphonie). Précisons en outre que ces deux concerts précédaient une brève tournée européenne de l’Orchestre Mozart qui les conduisit ensuite à Zaragoza et Madrid (les 22, 24 et 25 mars), puis à Budapest (le 27 mars).
Abbado avait déjà dirigé et enregistré ces mêmes concertos de Mozart avec Maria João Pires pour le Vingt-cinquième (l’enregistrement ayant été réalisé le 22 septembre 2011 en public, lors d’un concert donné par l’Orchestra Mozart au Théâtre Manzoni de Bolzano), Friedrich Gulda et Rudolf Serkin (pour les deux concertos, le premier avec les Wiener Philharmoniker, le second avec le London Symphony Orchestra). Quant à Martha Argerich, elle a également fréquenté ces deux concertos au point de les avoir également tous deux enregistré (le Vingtième pour Teldec sous la direction d’Alexandre Rabinovitch, le Vingt-cinquième chez EMI, témoignage d’un concert donné à Amsterdam en mai 1978 sous la baguette de Szymon Goldberg).
Bénéficier aujourd’hui de cette collaboration mozartienne entre deux monstres sacrés de la musique classique qui se connaissaient depuis plus de quarante ans s’avérait donc inespéré, ce disque permettant de garder en mémoire un moment unique comme on a également pu le vivre, dans Beethoven cette fois-ci, lors du dernier concert parisien qu’ils ont donné ensemble en avril 2013 salle Pleyel. Pour toutes ces raisons aussi, porter un jugement objectif sur ce disque revêt quelque difficulté puisque la passion que l’on peut éprouver à l’égard des interprètes et la dimension testamentaire de ces concerts pourraient en fausser l’approche.
La direction d’Abbado séduit immédiatement: allégement du discours, sens du phrasé, poésie des transitions... Tout y est, servi par un excellent Orchestra Mozart où (notamment dans le deuxième mouvement du Vingt-cinquième Concerto) se distingue une petite harmonie de très grande classe. Pour qui en douterait, il suffit d’écouter l’attaque orchestrale du troisième mouvement (Allegretto) de ce même concerto ou l’introduction du premier mouvement du Vingtième, qui se caractérise davantage par une certaine sérénité que par la noirceur à laquelle on est généralement habitué. Quant au jeu d’Argerich, il se révèle plein de subtilité: un léger ralenti à la fin de la première phrase du premier mouvement du Vingtième, un toucher extrêmement volontaire dans le mouvement conclusif du Vingt-cinquième, qui tend d’ailleurs davantage vers Beethoven que vers Mozart, une constante dynamique dans les nuances... La simplicité du toucher s’impose avec une telle évidence dans la célèbre Romance du Vingtième que chef et soliste, reléguant le sombre caractère de la tonalité de ré mineur, préfèrent nous rappeler l’homme espiègle et encore jeune qu’était Mozart lorsqu’il composa ce concerto en février 1786. On soulignera également les superbes échanges entre soliste et bois, notamment dans le mouvement conclusif du Vingtième (les cordes à partir de 0’30 à la suite de l’entrée tout en puissance de la pianiste argentine) et dans le premier mouvement du Vingt-cinquième, qui cisèlent ainsi une véritable dentelle musicale.
Bref, pour Abbado, pour Argerich, pour Mozart, ce disque s’impose, certes comme une vision assez classique de ces deux concertos, mais avant tout comme un magnifique témoignage de deux immenses artistes, cette fois-ci bel et bien pour l’Histoire.
Sébastien Gauthier
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