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03/02/2014 Richard Strauss : Die Frau ohne Schatten, opus 65
Avgust Amonov (L’Empereur), Mlada Khudoley (L’Impératrice), Olga Savova (La Nourrice), Edem Umerov (Barak), Olga Sergeyeva (La Teinturière), Chœurs et Orchestre du Théâtre Mariinsky, Valery Gergiev (direction musicale), Jonathan Kent (mise en scène), Paul Brown (décors, costumes), Tim Mitchell (lumières), Henning Kasten (réalisation)
Enregistré au Théâtre Mariinsky de Saint-Pétersbourg (5 et 6 décembre 2011) – 201’
Album de deux DVD Mariinsky MAR0543 (ou Blu-ray MAR0544) – Pas de livret – Sous-titres en anglais, allemand, français, espagnol et russe
La Femme sans ombre (Die Frau ohne Schatten, ou «Frosch», raccourci bien pratique) est l’opéra le plus ambitieux de Richard Strauss et Hugo von Hofmannsthal, dont la discographie riche et luxueuse se réfère à la seconde génération d’interprètes après sa création en 1919, géographiquement très localisée aux scènes germanophones, Vienne et Munich principalement. La vidéo a longtemps été réduite à la somptueuse et musicalement (pour la vidéo) inégalée de Wolfgang Sawallisch réalisée pour Munich et mise en scène par le japonais Ennosuke Ichikawa, heureusement filmée lors d’une tournée au Japon en 1992 (Arthaus Musik) et qui alignait une somptueuse distribution, bien que d’une ère postérieure aux superbes interprètes des années 1980. Peter Seiffert, Luana DeVol, Alan Titus, Janis Martin et Marjana Lipovsek, c’était encore un luxe et un style fort appréciables et quoique, beaucoup plus prudente et analytique que les grandes lectures de Böhm et Karajan, celle de Sawallisch avec toujours un pied dans la tradition, une nouvelle façon d’entendre cette œuvre si foisonnante. La version dirigée un peu trop roidement en 1992 par Georg Solti au Festival de Salzbourg (Decca) réalisée par Götz Friedrich avec un cast aussi luxueux – Studer, T. Moser, Hale, Marton, Lipovsek, Terfel – en est une très bonne alternative avec une symbolique visuelle plus pesante.
Les plus débrouillards ont pu se procurer par les circuits non officiels l’enregistrement pour la télévision de la fameuse production parisienne de 1972 signée Nikolaus Lehnhoff (juste avant l’ère Liebermann) filmée – hélas! – un peu tardivement à la reprise de 1980 (après Liebermann) sans Böhm mais avec Dohnányi, sans Christa Ludwig mais avec Gwyneth Jones. Avec Kolo, Behrens, Dunn, Grundheber, Berry, c’était encore un luxe formidable, la suite de la grande tradition mais tout à fait la fin d’une génération ayant servi l’œuvre sous les baguettes des derniers géants des scènes munichoise et viennoise.
Puis pendant assez longtemps rien de vraiment significatif. Récemment, Opus Arte a édité une production controversée du festival de Salzbourg 2011 sous la direction de Christian Thielemann, réalisée par Christof Loy de telle façon que l’on y assiste à la reconstitution de l’enregistrement en studio dans la Sofiensaal à Vienne en 1955 de la fameuse version de Karl Böhm, la toute première en microsillon de l’histoire de cet opéra. Curieusement, vue grâce à la loupe sur les acteurs que permet le DVD et au sous-titrage, si cette mise en scène ne propose aucune clé pour comprendre un opéra que l’on a trop souvent comparé par simplification à La Flûte enchantée de Mozart, que plus d’un siècle et l’émergence de la psychologie séparent, elle facilite beaucoup la lisibilité d’une action assez touffue plus par son abondance verbale que par la complexité des situations. Vocalement, on tombe encore un cran plus bas autant pour le style que pour les moyens et il n’y a guère à sauver de cette distribution salzbourgeoise que l’Impératrice d’Anne Schwanewilms, tout à fait exceptionnelle, et, d’une certaine façon, la direction contrastée de Thielemann à la tête des Wiener Philharmoniker.
Voici donc paraître sous le propre label du Théâtre Mariinsky le DVD d’une production réalisée en 2009 par Jonathan Kent et le designer Paul Brown, filmée en 2011 sous la direction de Valery Gergiev, chantée par une distribution locale sans aucun outsider à la troupe du théâtre. Que l’on n’attende pas de cette réalisation de résoudre les problèmes que pose la symbolique de l’œuvre. Son esthétique est assez déroutante, pas tant pour le domaine des esprits, avec des costumes Asie centrale qui ne sont pas hors de propos et absolument aucune direction d’acteurs, que par le monde des humains, où les machines à laver, les téléviseurs, les costumes si peu poétiques, la vulgarité et pour le coup une direction d’acteurs trop compliquée éloignent trop du propos et ne clarifient en rien l’action. A tous les étages, il y a trop d’écart entre ce que l’on voit et ce que nous disent les sous-titres.
La distribution est scindée en deux avec un Barak (Elem Umerov) et une Teinturière (Olga Sergeva) qui avec des moyens considérables n’ont ni le phrasé, ni la couleur qui conviennent à l’humanité de leurs rôles respectifs. Avgust Amonov (L’Empereur) et surtout Mlada Khulodey (L’Impératrice) ont des voix plus appropriées: beaucoup de vaillance pour lui et pour elle les aigus et l’endurance des grands rôles straussiens. Superbe aussi la Nourrice d’Olga Savova, à l’abatage surhumain. Le plus impressionnant, et qui fait le prix de ce DVD, est la somptuosité de l’Orchestre du Mariinsky, dont ce n’est pas vraiment le répertoire le plus courant, et la direction de Valery Gergiev, rutilante, précise, passionnée et superbement dramatique. Peut-être verra t-on paraître bientôt la dernière très spectaculaire production de Krzysztof Warlikowski, créée à Munich en décembre dernier sous la direction de Kirill Petrenko, assez décoiffante si l’on en juge par les images que l’on peut voir sur YouTube?
Olivier Brunel
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