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01/06/2014
Magnus Lindberg : Trio pour clarinette, violoncelle et piano – Santa Fe Project pour violoncelle et piano – Partia pour violoncelle seul – Dos Coyotes pour violoncelle et piano
Kari Kriikku (clarinette), Anssi Karttunen (violoncelle), Magnus Lindberg (piano)
Enregistré à la Salle Järvenpää, Helsinki (5-8 septembre 2011) – 60’24
Ondine ODE 1199-2 – Notice (en finnois et en anglais) de Kimmo Korhonen
Si, comme il dit volontiers lui-même, l’«instrument préféré» de Magnus Lindberg (né en 1958) «est l’orchestre» et que les compositions pour orchestre charpentent effectivement son œuvre, la musique de chambre le traverse des années 1970 à nos jours, à commencer par des pièces pour l’Ensemble Toimii («Ça marche!»), fondé par Lindberg en 1980, ou pour les instruments de ses membres, seuls ou en petite formation, et parfois avec électronique. Kari Kriikku, Anssi Karttunen et le compositeur lui-même, trois des membres d’origine de Toimii, inactif en tant que tel depuis 2003, interprètent les quatre pièces de cette récente parution.
Les constantes des compositions de Lindberg, quelle qu’en soit l’époque, quel qu’en soit le genre, en restent l’architecture solide, la richesse de l’inventivité sonore, l’envergure, l’originalité, l’énergie dynamique et structurale, une exploitation personnelle du mécanisme de tension et de détente et la virtuosité instrumentale jusques au cœur de l’orchestre. Les expériences expérimentales et les alliances de sons naturels et instrumentaux des débuts – on pense à l’étonnant Action - Situation - Signification de 1982 pour Toimii (avec bande) – évoluent vers la liberté, l’énergie brute et les transformations rythmiques et harmoniques de Kraft (1983-1985) et la complexité rationnelle mais captivante de Twine pour piano (1988), puis vers une vision orchestrale moins massive, moins pugnace, dont la limpidité et le relief produisent en 1995 la force expressive d’Aura - in memoriam Witold Lutoslawski, nouveau chef-d’œuvre d’une richesse prodigieuse, influencé par le courant spectral, cinquième d’une suite de pièces orchestrales d’exception à laquelle Feria met fin en 1997, tout en ouvrant la possibilité d’une quatrième voie où abondent la musique de chambre, et les concertos auparavant plus rares.
C’est à cette quatrième manière qu’appartiennent les œuvres de ce disque, toutes écrites depuis 2001. Selon la métaphore du compositeur, il ne taille plus à même le roc mais façonne l’argile. Cependant, si la matière paraît plus ductile, la rigueur structurale et la logique harmonique ne sont pas moins grandes. La différence de surface vient peut-être du fait que, comme son amie et consœur Kaija Saariaho, il aime à «penser la complexité de la musique davantage du point de vue de sa perception». Partia (variante de «partita») pour violoncelle seul (2001) assoit jusqu’à une certaine continuité musicale à travers les siècles – on pense aux précurseurs de Bach, on pense à Berio – d’abord par la forme et ensuite par la virtuosité exigée – la variété d’archet et les techniques de jeu qui ne posent aucun problème au grand violoncelliste qu’est Anssi Kartunnen, bien apprécié des compositeurs et créateur de nombreuses œuvres contemporaines. Sa musicalité et sa fougue animent cette belle suite vitale et généreuse qui invente ou explore les textures instrumentales à travers la «Sinfonia» initiale, la «Corante», l’«Aria», la «Boria», le «Double» (menuet) et la «Giga» finale, non apparentés aux rythmes de danse mais pleins de caractère.
Le lancinant Dos Coyotes (2002) est un arrangement en quatre parties de Coyote Blues (1993), conçu au début pour voix et ensemble mais finalisé pour quatorze instrumentistes uniquement, sans ligne soliste proprement dite. Le caractère néanmoins vocal de la pièce a certainement facilité l’adaptation pour violoncelle et piano, à laquelle Anssi Karttunen, violoncelliste éloquent, a participé. Le violoncelle chante mais se mêle intimement au chant du piano, les mélismes, les glissandi, les hoquets et les brefs motifs figurés partagés. La complicité des deux musiciens est une évidence et «Dos Coyotes» est le surnom qu’ils s’attribuent par la suite, en tournée internationale ensemble. C’est pendant une série de concerts aux Etats-Unis que Lindberg honore une commande des festivals de Santa Fe et de La Jolla pour une pièce de concert initialement intitulée «Konzertstück» pour devenir, à sa création en 2006, The Santa Fe Project, qui exige maîtrise et musicalité de ses interprètes. Plus soyeux, plus mélodique, les lignes des deux instruments étant plus distinctes, la partition se déploie de manière à la fois plus concentrée et plus épanouie, l’intensité et l’agitation rythmée augmentant à travers les trois volets enchaînés avant le calme serein de la brève conclusion.
Le fin clarinettiste Kari Kriikku se joint à eux pour le Trio de 2008, pièce développée en trois mouvements qui empruntent leurs titres au poète finlandais Gunnar Björling, ici donnés en version anglaise, «Sound big, sound», «Like the tranquility we seek», «Crash wave, crash». Chromatique sans dissonance et d’une séduisante opulence, l’œuvre rayonne d’une plénitude musicale heureuse, les mots de Björling, détachés des poèmes, nettement inspirateurs de la grande variété de dynamiques, de fluctuations, de respirations, de souffles, de couleurs et de climats. La prestation engagée des trois amis rend amplement justice à une écriture sans réelle surprise mais néanmoins peu banale.
Les mélomanes qui regrettent le Lindberg intransigeant de Kraft ou d’Engine, voire celui plus coloriste du plus sensuel Arena, ne pourront tourner le dos à l’intense vitalité de ces quatre œuvres peut-être plus convenues mais dont l’originalité ne fait aucun doute. Elles bénéficient d’une belle prise de son qui les met pleinement en valeur.
La page de Magnus Lindberg sur le site d’Ondine
Le site d’Anssi Kartunnen
Le site de Kari Kriikku
Christine Labroche
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