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04/01/1999

Claudio Arrau (I)
Albeniz : Iberia, livre 1 ; Bach : Fantaisie chromatique et fugue ; Balakirev : Islamey ; Brahms : Variations sur un thème de Paganini, Concerto pour piano n°1* ; Liszt : Rhapsodie espagnole, Bénédiction de Dieu dans la solitude ; Les jeux d'eau à la Villa d'Este ; Chasse-neige
*Royal Concertgebouw, Bernard Haitink
Philips 456 706-2 (2 CD), Collection " Grands pianistes du XXe siècle "

Claudio Arrau (II)
Beethoven : Concerto pour piano n°5*, Sonate " Waldstein ", Andante favori WoO 57 ; Chopin : Fantaisie ; Liszt : Sonate ; Schumann : Fantaisie
*Staatskapelle Dresden, Sir Colin Davis
Philips 456 709-2 (2CD), Collection " Grands pianistes du XXe siècle "

Sviatoslav Richter (II)
Beethoven : Sonate en La m " Marche funèbre ", Sonate " La tempête ", Sonate " Appassionata ", Sonates op. 109, 110, 111, Rondo en Si m pour piano et orchestre*, Andante favori
*Wiener Symphoniker, Kurt Sanderling
Philips 456 949-2 (2 CD), Collection " Grands pianistes du XXe siècle "


Les deux monstres sacrés du piano terrestre

Claudio Arrau et Sviatoslav Richter sont assurément les deux pianistes favoris de la critique parisienne. Tous deux ont joué jusqu'à un âge très avancé. Tous deux ont un jeu puissant, une profondeur de son qui témoigne d'un bonne assise dans le clavier. C'est que l'on peut appeler un jeu terrestre, utilisant toute la puissance potentielle du clavier. La sortie simultanée de ces deux compilations nous rappelle cependant à quel point les deux pianistes appréhendaient le piano de manière différente.

Avant même qu'il ne se produise en occident, Richter était avant tout réputé pour sa puissance. Mais contrairement à celle d'Arrau, toute en rondeur - et dont le jeu pourrait se rapprocher de celui du Concertgebouw d'Amsterdam - la puissance de Richter sait être violente, voire même brutale. Le style d'Arrau se caractérise également par une certaine lenteur des tempi, et la volonté de toujours contrôler ses doigts et sa sonorité. Les pièces de virtuosité recueillies dans le premier volume qui lui est consacré (Islamey de Balakirev, la Rhapsodie espagnole de Liszt, ou encore les Variations Paganini de Brahms) sont ainsi très articulées et aussi peu démonstratives que possible (mais même relativement lentement, il est difficile de jouer ces pièces sans une certaine virtuosité). Arrau est tout sauf fougueux, et on pourrait même trouver sa manière de jouer par trop bonhomme ou professorale (le premier mouvement de la Waldstein est d'une lenteur incroyable) si ses interprétations ne donnaient l'impression d'un équilibre structural parfait, qui plairait sans aucun doute aux compositeurs. Les enregistrements d'Arrau sont en effet assez peu subjectifs, et ils nous donnent à imaginer un homme extrêmement scrupuleux plutôt que fiévreux, un horloger suisse, maniaque de l'ordre et du travail bien fait, jusque dans les moindres détails (ce que la biographie du pianiste chilien dément peut-être). Tout est toujours bien à sa place, bien maîtrisé. L'égalité de son intonation et de sa sonorité sont particulièrement remarquables. Mais il faut ajouter que la musicalité est toujours au rendez-vous. Si l'Arrau de vieillesse est en général le plus admiré (tout comme on parle du vieux Richter), ces deux volumes montrent à quel point son jeu a peu évolué : il n'y pas de grande différence de style entre le jeune Arrau (premier volume) et le vieil Arrau (second volume), la supériorité du vieil Arrau venant plus des progrès de la prise de son, de son répertoire (plus intéressant) et des nouveaux goûts de la critique et du public (accordant une plus grande importance à la "propreté"). Le second volume de l'édition est ainsi légèrement supérieur au premier (encore que les Brahms du premier volume datent des années 1970).

Richter est au contraire un homme blessé, violent, qui partage cependant avec Arrau une très haute vision de son art. Beethoven fait partie de ses compositeurs de prédilection. Rassemblant quelques unes des plus belles sonates de Beethoven, y compris les trois dernières, dans des enregistrements effectués dans les années 1960 et 90 (pour les trois dernières), ce volume de l'édition est très recommandé (étant donnée la discographie prolifique et souvent pirate du pianiste russe). Les tempi des dernières sonates sont assez (voire très) lents - tandis que les enregistrements des années 1960 sont plutôt caractérisés par la fougue et par une variation incessante du tempo. Mais contrairement à Arrau, qui joue tout plus lent, Richter étire les passages lents sans ralentir les passages plus rapides (l'Appassionata va ainsi rarement aussi vite dans les passages rapides !). Sa sonorité n'est pas du tout épaisse, au contraire, et l'on est frappé par sa constante intériorité, par sa manière de jouer à fleur de touches. Cela ne l'empêche pas, parfois, d'opposer avec une certaine brutalité les forte et les pianissimo. Richter n'est pas homme à arrondir les angles, et ses forte sont à la fois pleins et incisifs. C'est une autre type de profondeur, correspondant à un jeu volcanique - les passages aériens prenant appui sur une ébullition permanente du sous-sol. Mais on reste loin du déploiement gratuit de puissance non habitée, comme on peut parfois la trouver chez de jeunes pianistes dotés de bons doigts. Les mouvements lents sont d'une intériorité et d'une profondeur presque suffocantes. Il faut entendre le troisième mouvement de l'Opus 110 ou le second de l'Opus 111, ce sont les plus beaux du disque. C'est le témoignage d'un homme qui a connu la vie et a aimé la musique.


Stéphan Vincent-Lancrin

 

 

 

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