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12/15/2013
Benjamin Britten : War Requiem, opus 66

Susan Gritton (soprano), John Mark Ainsley (ténor), Christopher Maltman (baryton), Trebles of the Choir of New College, Oxford, Chór Filharmonii Wroclawskiej, Gabrieli Consort, Gabrieli Young Singers’ Scheme, Chetham’s Chamber Choir, North East Youth Chorale, Taplow Youth Choir, Ulster Youth Chamber Choir, Agnieszka Franków-Zelazny (chef de chœur), Gabrieli Players, Jonathan Lo (assistant à la direction), Paul McCreesh (direction)
Enregistré à Watford, à Birmingham et à Oxford (5-9 janvier, 26 février et 15 mars 2013) – 84’05
Signum Records SIGCQ340 – Notice en anglais de Mervyn Cooke, traduite en polonais, et textes inclus avec traduction en polonais et (pour le latin) en anglais





Emily Magee (soprano), Mark Padmore (ténor), Christian Gerhaher (baryton), Tölzer Knabenchor, Ralf Ludewig (chef de chœur), Chor des Bayerischen Rundfunks, Michael Gläser (chef de chœur), Max Hanft (orgue), Symphonieorchester des Bayerischen Rundfunks, Mariss Jansons (direction)
Enregistré en public dans la salle philharmonique du Gasteig, Munich (13-15 mars 2013) – 86’31
BR KLASSIK 900120 – Notice en allemand de Wolfgang Stähr, traduite en anglais, et textes inclus avec traduction en allemand


Sélectionné par la rédaction





Le mois de novembre de cette année a marqué le centenaire de Benjamin Britten (1913-1976) et c’est pour célébrer cette occasion que Paul McCreesh et Mariss Jansons ont tous deux eu la bonne idée d’attirer l’attention sur l’une des œuvres les plus marquantes du compositeur, car le War Requiem («Requiem de guerre», 1961-1962) est incontestablement l’un des chefs-d’œuvre de son auteur et l’un des chefs-d’œuvre choraux du XXe siècle.


Il honore une commande de la ville de Coventry pour les cérémonies de la consécration, en 1962, de sa nouvelle cathédrale. Attenantes, se trouvent encore les ruines de l’ancienne cathédrale détruite lors d’un bombardement cataclysmique qui rasa la ville par une nuit de novembre un an après le début de la Seconde Guerre mondiale. Les circonstances de la création du Requiem étaient dramatiques, le souvenir de la guerre encore vif et douloureux. C’est un cri de souffrance et de révolte contre la barbarie de la guerre, une déploration et un grand appel à la paix, et la beauté et l’à-propos de l’œuvre, composée en un sens sur le vif, suffisent pour faire taire les reproches de surcharge émotionnelle et de manque de patriotisme, parfois adressés au compositeur pacifiste.


Britten garde intactes six séquences de la Missa pro defunctis – «Requiem æternam», «Dies iræ», «Offertorium», «Sanctus», «Agnus Dei», «Libera me» – mais il y insère presque comme des mises en exergue caustiques ou douloureuses neuf poèmes de Wilfred Owen, jeune poète anglo-gallois né en 1893, tombé à la guerre le 4 novembre 1918, dont les vers mettent l’accent sur la souffrance des hommes et un esprit de fraternité loin des conventions de mort glorieuse pour la patrie. L’impact des deux sources ainsi mêlées est profondément troublant, l’une servant de repoussoir à l’autre. La seule incursion, la seule phrase chantée en latin par le ténor, qui assume avec le baryton les poèmes d’Owen, vient à la fin de l’ «Agnus Dei»: c’est un «Dona nobis pacem» tout à fait symbolique.


Le Requiem, à grand effectif, est écrit pour trois groupes distincts à emplacement déterminé: au premier plan, la terre, l’humanité, les poèmes d’Owen avec deux solistes, ténor et baryton, et un orchestre de chambre de douze instrumentistes; au deuxième plan la liturgie, le rituel, le texte sacré avec une soprano, un chœur mixte et un orchestre symphonique; au troisième, un chœur de garçons avec accompagnement d’orgue, voix éthérées et pures, proches du céleste. Les interactions musicales et textuelles de ces trois groupes spatialisés contribuent à la force, à la beauté et à l’originalité de la composition. Mahler et Verdi peuvent venir à l’esprit, Ligeti aussi, ce dernier lors d’un impressionnant crescendo durant le «Sanctus», quand le chœur très divisé, posé sur un sable mouvant de cordes et cuivres graves, procède par strates superposées en léger tuilage comme des frottements irisés de milliers de battements d’aile. Britten garde cependant sa griffe spécifique, son traitement exemplaire des voix, dramatiquement nuancé, ses audaces – un intervalle anxiogène de triton récurrent, des mesures à cinq ou à sept temps et une percussion fournie aux sonorités fertiles parfois inspirées du gamelan. Les cuivres jacassent ou sonnent en fanfare d’apocalypse, les cordes fusent, tempêtent, grondent ou susurrent, les bois illuminent, stridents ou d’une douceur cristalline. Le contraste entre les deux groupes instrumentaux ajoute encore à la fine complexité de l’œuvre, l’orchestre de chambre individualisé, transparent et dur à l’échelle humaine, le grand orchestre d’une plénitude colorée douce ou dantesque.


La version dramatique de Jansons est certainement plus proche de l’esprit et de la réalisation de la version mythique sous la direction du compositeur, qui réunit trois nations d’une portée symbolique par le choix des solistes: Galina Vichnevskaïa, Peter Pears et un Dietrich Fischer-Dieskau inoubliable. Paul McCreesh semble avoir souhaité atteindre une dimension plus classique, plus universelle, plus intemporelle, peut-être détachée d’événements précis, dans l’ensemble plus proche des climats du Requiem liturgique et, in fine, exprimant avec élégance un souhait d’apaisement. Il met à l’honneur sa collaboration fructueuse avec les formations musicales de la ville de Wroclaw, en particulier le Chœur philharmonique qu’il dirige avec art conjointement au Gabrieli Consort (le chœur de son Ensemble Gabrieli, fondé en 1982) et à de jeunes chanteurs britanniques, l’ensemble cumulant à cent quatre-vingt-quatre choristes. Pour l’occasion, il a étendu l’effectif des Gabrieli Players à cent trois musiciens.


Sans trahir les intentions profondes de Britten, il obtient de ces forces colossales une justesse des sentiments, une retenue empreinte de noblesse, qui tempère la véhémence parfois requise, et une clarté remarquable hormis les passages où le grand nombre de choristes épaissit le son de pupitres divisés à l’extrême. Enregistrées à part, les voix flûtées des garçons évoquent une lointaine sphère céleste. Les trois solistes sont de l’école anglaise, leur timbre clair et équilibré. La voix puissante ou désincarnée de la soprano Susan Gritton atteint une abstraction lumineuse qui sied aux textes liturgiques. La prestation intelligente et la présence de John Mark Ainsley, qui soigne la portée des poèmes par sa sensibilité au son et au sens des mots, excelle dans le délicat «Move him into the sun» intégré au «Dies iræ». Christopher Maltman, baryton pur au timbre généreux, apporte la touche d’humanité nécessaire. Soutenu par les cuivres du petit ensemble, il bouleverse dans le poème «Bugles sang, saddening the evening air», à la musique vraiment très belle.


Le choix de trois solistes de caractère, beaucoup plus contrastés, marque d’emblée la différence entre les deux versions. Mark Padmore n’est pas à son coup d’essai dans cette œuvre. Il interprète les poèmes d’Owen avec une conviction émouvante, un timbre riche et varié, des aigus d’une belle transparence, un fort vibrato, qui pourrait être gênant, soulignant les instants de désarroi. Le beau baryton profond de Christian Gerhaher, souple et sombre, colore les mots de mille nuances justes, tendues, éperdues ou de violence contenue. Le vibrato d’Emily Magee gêne par moments effectivement mais elle sait tirer parti de sa voix à la fois ronde et claire pour dramatiser avec discrétion le texte latin. Puissante dans le grave et le médium, elle file des aigus d’une pureté délectable.


L’urgence, la pénétration, la tension, la bonne mesure dramatique et la puissance apocalyptique de la direction de Mariss Jansons ne peuvent que convaincre. Il obtient un relief orchestral extraordinaire du pianissimo extrême au fortissimo assourdissant, sans jamais perdre de vue l’architecture de l’œuvre et en entretenant sans cesse l’attente. Les deux orchestres respirent avec les solistes et les chœurs à la microseconde avec une musicalité parfaite, la percussion «balinesque» du «Sanctus» au diapason exact de la soprano et des chœurs, ce qui n’est pas le cas de toutes les versions. Sa direction des chœurs, du murmure impalpable à la violence de l’éclat, est tout aussi précise et il en obtient des sonorités inouïes, le Chœur de garçons de Tölz d’une pureté immatérielle presque surnaturelle. A la fin du «Libera me» après le poème «Strange Friend» («Ami, je suis l’ennemi que tu as tué»), le ténor et le baryton bouleversants ici, tous les participants réunis en contrepoint dans un même élan font de la lente montée vers la lumière un moment de délivrance et de joie intense avant le recueillement absolu du «Requiescant in pace» final, preuve s’il en fallait que le Chœur et l’Orchestre symphonique de la Radio bavaroise ont trouvé avec leur chef principal le juste équilibre entre spiritualité et drame. On peut penser que la prise de son en direct sur trois soirs consécutifs ajoute à la vibrante présence de cette interprétation saisissante.


Ces deux versions, donnant le meilleur de deux mondes, ont déjà de quoi combler le mélomane, du raffinement anglo-polonais à la fidélité électrisante de la prestation bavaroise.


Le site du Chœur philharmonique de Wroclaw
Le site du Chœur de New College, Oxford
Le site des Gabrieli Consort and Players
Le site du Chœur de la Radio bavaroise
Le site du Chœur de garçons de Tölz
Le site de l’Orchestre symphonique de la Radio bavaroise


Christine Labroche

 

 

 

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