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09/20/2013 Roberto Gerhard : Quatuors à cordes n° 1 et n° 2 – Chaconne
Quatuor Arditti: Irvine Arditti, Ashot Sarkissjan (violon), Ralf Ehlers (alto), Lucas Fels (violoncelle)
Enregistré à l’Auditorium de Barcelone (16-19 mai 2011) – 54’33
aeon AECD 1225 (distribué par Outhere) – Notice en anglais et français de Malcolm MacDonald
Sélectionné par la rédaction
Malgré l’éclipse qui a longtemps écarté sa musique des salles de concert, l’œuvre de Roberto Gerhard (1896-1970), éminent symphoniste catalan, exilé en Angleterre à partir de 1939, attire de plus en plus l’attention des musiciens. Après des études de piano avec Granados et de composition avec Felipe Pedrell (1841-1922) à Barcelone puis avec Schönberg de 1923 à 1928 à Vienne, son écriture révèle une intégration raisonnée et une synthèse réfléchie des principes de ses aînés si différents, évoluant vers un style personnel aux discrètes résurgences espagnoles «où le sérialisme lui-même se dissout» en un splendide «continuum de couleur et de rythme librement associés», comme l’exprime si justement Malcolm MacDonald, écrivain et critique musical, auteur de l’excellente notice qui accompagne le récital du Quatuor Arditti. Son œuvre, même au plus radical, déferle avec une force mordante, une chaleur lumineuse ou des frémissements crépusculaires, la puissance de geste et d’expression sous-tendue d’une dense charge émotionnelle.
Gerhard composa pour le quatuor à cordes à deux moments distincts de son existence. Les trois premiers (et un fragment resté sous forme d’ébauche) datent des années 1920. Deux d’entre eux sont perdus. Le compositeur supprima le troisième pour l’intégrer à son Concertino pour orchestre à cordes de 1927-1928. A la suite des intégrales pour la même formation de Dusapin, Harvey et Harrison Birtwistle produites par aeon, la quatrième intégrale que présente le Quatuor Arditti ne se compose donc que des deux Quatuors numérotés, écrits le premier en 1950 et 1955, le second en 1961, soit une prestation de moins de quarante minutes. Irvine Arditti propose en complément l’éloquente Chaconne qui date de la même époque (1959) et mériterait sa place dans le grand répertoire pour violon seul. L’œuvre se pose non sur un ostinato mais sur la permutation obstinée d’une série dodécaphonique. Le thème exposé dans un Risoluto initial donne lieu à onze variations qui alternent la grâce et l’audace, le mystère et la clarté, l’ombre et la lumière vive. L’écriture en est rigoureuse mais l’impact d’une élégance expressive. Arditti en offre une interprétation intense et belle, la variété d’archet techniquement et stylistiquement impressionnante.
Le Premier Quatuor, de forme classique en quatre mouvements, peut évoquer une lointaine parenté avec les Troisième et Quatrième Quatuors de Schönberg. La polyphonie complexe inspirée relève des techniques dodécaphoniques ou hexacordales élaborées par le compositeur, les traits rythmiques et percussifs peut-être davantage de son héritage espagnol. Les deux thèmes du deuxième mouvement, l’un aux étirements gracieux et l’autre d’une mobilité véloce, se font le reflet des deux thèmes du mouvement d’ouverture, l’un mélodique et l’autre d’une énergie rythmique remarquable. Ce mouvement perpétuel se fond en un tapis sonore sur lequel se posent les longues lignes raffinées, lyriques et douloureuses, du Grave, alors que pour le finale, il devient léger et dansant, contrastant avec les fortes couleurs des athlétiques traits percussifs qui dominent. Dynamiques et précis mais néanmoins sensibles au supplément d’âme indéniable de la partition, les Arditti déploient une riche palette sonore, démonstrative mais sans la dureté abrasive qui parfois les caractérise.
Ces mêmes qualités leur servent au décuple pour le Second Quatuor, où leur grande maîtrise technique devient essentielle. En un seul mouvement, il enchaîne sept volets fondés sur des séries de hauteurs et de rythmes où abondent des sons nouveaux, naturels d’allure, dans un double continuum de statisme mélodique et d’agitation rythmique aux attaques qui fusent. Les pizzicati foisonnent, passant sans cesse du classique au bartókien, des sonorités inventives entre les deux. Les expériences que menait Gerhard en musique électronique ont certainement influencé son écriture en stimulant son imagination instrumentale car, en plus des multiples effets, y compris des tenues d’accord et des glissandi harmoniques inouïs, la partition semble écrite pour un seul instrument à seize cordes, défi relevé avec brio par les Arditti, dont la musicalité et le phrasé partagé révèlent les beautés expressives d’une composition qui mériterait plus souvent les honneurs de l’affiche.
Il existe une seule autre version des Quatuors de Roberto Gerhard, enregistrée en 1999 par le Quatuor Kreutzer (Métier MSV CD92032). Les Kreutzer n’atteignent pas l’équilibre de l’interprétation du Quatuor Arditti. Si leur prestation du Premier Quatuor convient malgré un certain manque de relief, pour le Second, ils accentuent les effets et les dynamiques, dramatisant les nuances au point que la cohésion de l’ensemble peut en souffrir alors que la cohésion architecturale reste le point fort des seize cordes des Arditti, bien servis par une prise de son claire et spatialisée qui met en valeur la netteté rythmique et le remarquable relief des textures qu’ils obtiennent.
Le «site officiel» de Roberto Gerhard
Le site du Quatuor Arditti
Christine Labroche
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