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08/06/2013
Antonio Vivaldi : Orlando furioso, RV 819 (1714)
Riccardo Novaro (Orlando), Romina Basso (Alcina), Gaëlle Arquez (Bradamante), Teodora Gheorghiu (Angelica), Delphine Galou (Medoro), David DQ Lee (Ruggiero), Roberta Mameli (Astolfo), Modo Antiquo, Federico Maria Sardelli (direction)
Enregistré au Teatro della Pergolla, Florence (juillet 2012) – 111’10
Coffret de deux disques Naïve OP 30540 – Notice (en français, anglais, italien et allemand) de Federico Maria Sardelli et Frédéric Delaméa et traduction des textes chantés





On connaissait l’existence des ovnis dans le domaine de l’astronomie et de la science-fiction; il faut désormais compter avec eux dans le répertoire de la musique baroque. Ainsi, qu’on se le dise, un ovni désigne un opéra de Vivaldi non identifié... Car, et Frédéric Delaméa ne dit pas autre chose dans la notice de ce coffret lorsqu’il évoque cet «Orlando misterioso», qu’entend-on ici?


Un petit retour historique est nécessaire pour essayer de comprendre le cheminement qui a abouti à cet opéra et, plus directement, à cet enregistrement.


Le 6 janvier 1713, Antonio Vivaldi (1678-1741) et son père, Giovanni Battista Vivaldi, deviennent tous deux impresarios du théâtre Sant’Angelo de Venise. Dix mois plus tard, le 7 novembre pour être précis (dans sa biographie consacrée à Vivaldi, Fayard, 2011, la musicologue Sylvie Mamy évoque le 9 novembre), y est donné Orlando furioso, opéra non pas de Vivaldi (son célèbre Orlando furioso, dans la version que nous connaissons, ne date que de 1727) mais d’un certain Giovanni Alberto Ristori. L’œuvre est triomphalement accueillie – plus de quarante représentations à la clé. Or, ainsi que le relève Delaméa, lorsqu’il est repris un an plus tard au début du mois de décembre 1714, c’est dans une version fortement révisée, la partition de l’opéra connaissant par ailleurs de fortes parentés stylistiques avec des pièces de Vivaldi de la même époque: faut-il penser, comme Frédéric Delaméa, que Ristori n’aurait alors été qu’un prête-nom au célèbre Prêtre roux, qui serait en fait le seul et véritable auteur de cet Orlando? Pour sa part, Federico Maria Sardelli estime également, dans la notice du présent coffret, que l’œuvre initiale de Ristori (qui est d’ailleurs aujourd’hui perdue) a été tellement remaniée par Vivaldi que cet Orlando est, au mieux, un opéra à part entière de Vivaldi, au pire un pasticcio de Ristori et de Vivaldi.


On ne se lancera pas dans le débat sur l’authenticité de l’œuvre, les deux auteurs de la notice étant des connaisseurs émérites des compositions d’Antonio Vivaldi, qui ont multiplié les recherches et les travaux et auxquels on peut accorder une légitime confiance dans leur volonté de trouver le ton «historiquement juste». On peut néanmoins être perplexe et ne pas adhérer pleinement à l’affirmation, quelque peu péremptoire à nos yeux, de Sardelli selon laquelle cet Orlando furioso de 1714 prend désormais «place de plein droit parmi les œuvres authentiques» de Vivaldi. En effet, si l’opéra de Ristori est perdu, et même si le manuscrit de l’Orlando existe et comporte de nombreux aménagements manuscrits effectués par Vivaldi (dont l’intégration de trois airs tirés de son opéra Ottone in villa), mais également des corrections de mains inconnues et du propre père de Vivaldi, comment peut-on être de ce fait certain des apports de celui-ci à la partition originelle? Rien n’est expliqué à ce sujet. En outre, comment interpréter le fait que cet Orlando ait suivi de seulement un mois un autre opéra de Vivaldi, sur le même thème, Orlando finto pazzo? N’aurait-il pu intégrer toutes ses nouvelles idées dans un seul et même opéra, plutôt que d’en composer un nouveau et d’en donner un presqu’entièrement remanié de sa main cinq semaines plus tard? De plus, est-ce convaincant de lire sous la plume de Sardelli que, l’Ouverture de cet Orlando ayant disparu, il a «choisi pour ouverture le Concerto RV 781, contemporain de cet Orlando furioso de 1714, probablement composé à l’origine pour un opéra mais rarement joué aujourd’hui»»? La concomitance chronologique justifie-t-elle cette décision? Enfin, si l’œuvre est authentique, comment expliquer les interrogations qui étreignent fortement plusieurs autres musicologues, dont Sylvie Mamy, qui nourrit les plus grands doutes à ce sujet?


Bref, une fois nos éventuelles préventions sur l’authenticité de l’œuvre passées, écoutons-en les deux actes, le troisième étant perdu... Et là, avouons-le, on s’ennuie très vite et l’enthousiasme des partitions vivaldiennes ne reprendra jamais le dessus. Sur deux heures de musique, les presque quarante minutes de récitatifs paraissent bien longues, d’autant qu’elles hachent considérablement l’action, entrecoupant ainsi parfois de manière inopportune des airs qui, pour la plupart, durent à peine deux minutes. Quelle frustration pour l’auditeur d’entendre le très bel air «La fè, l’amor che ho in sen» (acte I, scène 3) ou le non moins séduisant duo «Sei mio Nume, se il mio bene» (acte II, scène 14) alors que le premier dépasse 1’30 de quelques secondes, le second ne faisant que 47 secondes! En outre, et contrairement à ce que l’on peut entendre dans maintes autres partitions du Prêtre roux, on est frappé par le manque d’imagination tant dans les mélodies chantées que dans l’accompagnement instrumental. Certes, quelques échanges entre la voix soliste et les deux hautbois («Amerò costante sempre» à la scène 13 de l’acte I ou «Ah fuggi rapido» au début de l’acte II, à la scène 3), ou entre un chanteur et une flûte piccolo (dans le cadre d’un récitatif, d’ailleurs, à la scène 12 de l’acte II) sont plaisants mais tellement classiques chez Vivaldi. Dans chaque air, la construction est d’une étonnante banalité, le thème étant déclamé avant d’être généralement repris une ou deux fois, précédant une conclusion sans surprise, accompagnée d’un léger ralenti qui n’est d’ailleurs pas toujours du meilleur effet.


Si, paradoxalement, Riccardo Novaro ne marque guère le rôle titre d’Orlando (il faut dire qu’avec un air dans le premier acte et deux dans le deuxième, les occasions de briller sont rares…), Romina Basso, grande habituée de ce répertoire, est une magnifique Alcina, notamment dans l’air «Se fedele serbi affetto» (acte I, scène 2), empressé et fier à la fois. Excellentes Gaëlle Arquez et Delphine Galou également, qui tiennent respectivement le rôle de Bradamante (écoutez l’air «Rivo che tumido», acte I, scène 4) et de Medoro («E’ la brama in chi ben ama» à la scène 9 de l’acte I). Sans être exceptionnel, le reste de la distribution est également de bon niveau, mais les parties qui lui sont confiées ne lui permettent guère de donner la pleine mesure de ses talents. Federico Maria Sardelli dirige son ensemble Modo Antiquo avec entrain et détermination mais, étonnamment, le plus convaincant restera finalement cette «Sinfonia» introductive qui, rappelons-le, est en réalité un concerto rapporté, dont on n’a aucune assurance qu’il aurait pu trouver sa place ici...


Loin d’atteindre les miracles de Tito Manlio, de La fida ninfa, d’Ercole sul Termodonte ou de L’oracolo in Messenia (certes un pasticcio lui aussi), ce nouvel opus de l’édition Vivaldi est donc une franche déception, comme l’avait d’ailleurs été auparavant Armida al campo d’Egitto. Comme quoi, et cela peut paraître rassurant, on a beau s’appeler Antonio Vivaldi, on ne compose pas seulement des chefs-d’œuvre...


Le site de Riccardo Novaro
Le site de Teodora Gheorghiu
Le site de David DQ Lee
Le site de Roberta Mameli
Le site de l’ensemble Modo Antiquo


Sébastien Gauthier

 

 

 

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