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07/26/2013 Béla Bartók : Concerto pour violon n° 2, sz. 112
Peter Eötvös : Seven
György Ligeti : Concerto pour violon (seconde version) (*)
Patricia Kopatchinskaja (violon), hr-Sinfonieorchester, Ensemble Modern (*), Peter Eötvös (direction)
Enregistré à Francfort (octobre 2011 [Ligeti] et juillet 2012) – 89’55
Double album Naïve V5285 – Notice de Max Nyffler en français, anglais et allemand
Sélectionné par la rédaction
C’est avec Peter Eötvös dans son double rôle de compositeur et de chef d’orchestre que Patricia Kopatchinskaja a conçu ce programme de concertos, cohérent et aventureux, qui comporte deux grands classiques hongrois du siècle dernier et le récent Seven de 2006. Sa forte personnalité marque chacun des trois concertos, reliant l’ensemble au-delà des origines communes. La violoniste moldave, certainement très sensible à la moindre trace hongroise, accentue les traits stylistiques possibles et confère à l’ensemble le feu rhapsodique et la mélancolie latente du caractère populaire, ce sans trahir la lettre des partitions.
L’intensité lyrique et passionnée de son interprétation du Second Concerto (1937-1938) de Béla Bartók, la virtuosité acrobatique de son jeu et sa détermination enflammée mettent sa vision à part. C’est enthousiasmant, mais quelqu’un qui aborde ce splendide Concerto pour la première fois serait peut-être plus proche d’une vérité bartókienne en optant pour une version plus classiquement expressionniste, nuancée entre retenue poétique et tension féroce, telle celle de Gil Shaham, avec l’Orchestre de Chicago et Pierre Boulez (Deutsche Grammophon), par exemple, parmi tant d’autres. Il n’empêche que Patricia Kopatchinskaja déploie une variété d’archet impressionnante, les sons amples ou amenuisés, rondes ou acides, chaque note distinctement égrenée hormis un portamento stylistiquement recherché à l’occasion. Peter Eötvös, au diapason, soigne les couleurs des blocs instrumentaux et mène son orchestre avec autorité, un peu en retrait, peut-être, par rapport à la soliste, favorisée par l’esthétique de la prise de son.
Encouragé par Saschko Gawriloff, György Ligeti entreprit son Concerto pour violon en 1990, le révisant extensivement en 1992. Peter Eötvös, à la tête de l’Ensemble Modern, créa cette version définitive la même année, avec Gawriloff au violon, et c’est encore l’Ensemble Modern dirigé par Eötvös qui soutient le violon de Patricia Kopatchinskaja. Elle le tient parmi les œuvres-phares violonistiques du XXe siècle et elle le sert bien. Le Concerto, micro-tonal, polyrythmique, polymétrique et à l’instrumentation étrangement innovatrice, présente un défi pour tous les musiciens, ce qui explique peut-être la rareté des exécutions et des gravures. Sans en émousser les aspérités, l’Ensemble Modern en épouse avec bonheur les variations sonores et les contrastes extrêmes à travers les cinq mouvements qui oscillent entre une douceur lumineuse par deux fois d’inspiration médiévale et l’agitation à tous points de vue instable d’un moto perpetuo horizontal et vertical, endiablé et hautement nuancé. Kopatchinskaja, d’une présence et d’une concentration sans faille, maîtrise avec passion les envols du violon, lyriques, querelleurs ou rebelles, dosant à la juste mesure le vibrato et les différentes caractéristiques sonores. La cadence éditée est celle de Gawriloff mais la violoniste moldave saisit la licence accordée par Ligeti pour exécuter avec brio la sienne propre, d’une virtuosité éblouissante pleinement en accord avec l’œuvre du maître hongrois, malgré l’effet inattendu de sa voix soudain à l’octave pendant quelques secondes.
L’Orchestre symphonique de la Radio de Francfort enchaîne le Concerto d’Eötvös, son chef, à celui de Bartók, dont il est certainement plus proche. Inspiré du désarroi ressenti suivant le désastre de la navette spatiale «Columbia», Seven porte le sous-titre «Memorial for the Columbia Astronauts» et le chiffre sept sert de base à l’architecture, à la structure rythmique et aux forces mises en oeuvre: quarante-neuf instrumentistes, répartis en sept groupes – flûte/cordes/bois, cuivres et bois/harpe amplifiée, guitare électrique et synthétiseur/percussion, le septième groupe composé de sept violons spatialisés, la soliste sur scène et les six autres à des points stratégiques de la salle. En deux parties égales, la seconde est d’un seul tenant alors que la première s’éclate en quatre volets avec cadence – les cadences évoquant les origines ou les personnalités des sept disparus. C’est un monologue expressif non sans interaction, imitation, reflet ou mise en relief, le violon au centre d’un univers orchestral mystérieux, chuchotant, scintillant, vibrant, mobile ou hostile, le sentiment de menace exacerbé lors de la seconde partie, plus violente, plus percussive, plus sombre, aux jaillissements inattendus de traits insolites. Bien entourée, Patricia Kopatchinskaja y insuffle une vie intense et l’œuvre dans son ensemble, à la fois novatrice et hors d’époque, se déverse en un flux d’énergie irisé ou haut en couleurs et plutôt convaincant.
Interprété avec beaucoup d’engagement, c’est un programme rare, complémentaire, équilibré et plein de caractère. La violoniste moldave y imprime sa forte volonté mais son entente et sa connivence avec Peter Eötvös canalisent l’ensemble vers la réussite. Recommandable.
Le site de Patricia Kopatchinskaja
Le site de Peter Eötvös
Le site de l’Orchestre symphonique de la Radio de Francfort
Le site de l’Ensemble Modern
Christine Labroche
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