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06/15/2013 «Liszt Transcriptions»
Franz Liszt : Grandes études d’après Paganini n° 2, n° 3 et n° 6 – Liebestraum n° 3 – Grand Galop chromatique
Camille Saint-Saëns : Danse macabre (transcription: Liszt/adaptation: Horowitz)
Franz Schubert : Winterreise, D. 911: «Die Post» et «Der Lindenbaum» – Die schöne Müllerin, D. 795: «Das Wandern» – Ständchen, D. 889 – Erlkönig, D. 328 (transcriptions: Liszt)
Richard Wagner : Tristan und Isolde: «Isoldes Liebestod» – Der fliegende Höllander: «Spinnerlied» – Tannhäuser: «O du, mein holder Abendstern» (transcriptions: Liszt)
Niu Niu (piano)
Enregistré à The Friary, Liverpool (16-18 mars 2012) – 68’21
EMI 7 25332 2 – Notice de présentation en français, anglais et allemand
Ludwig van Beethoven : Symphonie n° 6 «Pastorale», opus 68 (transcription: Liszt)
Ashley Wass (pianoforte)
Enregistré au Great Chamber of Restoration House, Rochester (3-5 avril 2011) – 51’53
Orchid Classics ORC100024 – Notice de présentation en anglais
Franz Liszt : Am Grabe Richard Wagners – Valse oubliée n° 4 – R. W.–Venezia – Die Trauergondel, I et II – Bagatelle ohne Tonart – Sancta Dorothea
Richard Wagner : Der fliegende Höllander: «Spinnerlied» – Lohengrin: «Elsas Brautzug zum Münster» – Der Ring des Nibelungen: «Walhall» (transcriptions: Liszt)
Michele Campanella (piano)
Enregistré à la Villa Wahnfried, Bayreuth (date d’enregistrement non précisée) – 55’21
Acanta 233586 – Notice de présentation en anglais et en allemand
Franz Liszt : Etudes d’exécution transcendante
Aquiles Delle Vigne (piano)
Enregistré aux EMS Studios, Bruxelles (mars 1994) – 67’53
TwoPianists Records TP1039206 – Notice de présentation en anglais
Franz Liszt : Tarentelle – Rhapsodie espagnole – Nuages gris – Années de pèlerinage: «Vallée d’Obermann» et «Sonetto 104 del Petrarca» – Abschied – Cinq Chants populaires
Franz Schubert : Der Wanderer, D. 493 (transcription: Liszt)
Alain Bonardi : Tombeau de Nuages – Creusé vers l’étoile – Toute forme change
Emmanuelle Swiercz (piano)
Enregistré à l’Ircam, Paris (21-23 décembre 2010) – 78’
Intrada INTRA055 (distribué par Codaex) – Notice de présentation en français et en anglais
Cinq albums viennent enrichir à des degrés divers les chroniques lisztiennes du marché discographique. Honneur au benjamin avec le disque de Niu Niu (né en 1997) qu’EMI choisit de prendre sous son aile. Le pianiste chinois se lance dans le Liszt des Transcriptions – celles de Saint-Saëns, Paganini, Schubert et Wagner (voir la vidéo promotionnelle de l’album). Entre l’interview franchement «tarte à la crème» (... voire sans crème) qu’il nous a accordée (lire ici) et les aspects agaçants de la surmédiatisation qui le guette sous sa double casquette d’enfant prodige et d’artiste chinois, on abordait avec circonspection – voire méfiance – l’écoute de cet album au programme sans surprise. C’est donc avec un soulagement non dénué d’admiration que l’on découvre une remarquable finesse de doigté (un Grand Galop élégamment irrésistible, une merveille de «Campanella» – au milieu d’Etudes d’après Paganini assez bluffantes), un cantabile non sans beautés (Schubert), une gestion déjà mûre des tempos («Mort d’Isolde» et «Spinnerlied» de Wagner), bref une indéniable musicalité. L’ensemble reste néanmoins trop neutre de ton (une Danse macabre brillantissime mais qui passe à côté de la noirceur de l’œuvre, un Rêve d’amour prodigieusement ciselé mais qui tend à s’alanguir, un extrait de Tannhäuser qui manque de mobilité) pour captiver et convaincre de la densité de personnalité qui, sur la durée, fait les grands interprètes. Mais à cet âge-là... c’est en effet très prometteur! Un artiste à suivre.
De vingt ans son aîné, Ashley Wass (né en 1977) s’attaque aux monstrueuses transcriptions des Symphonies de Beethoven, offrant de la «Pastorale» une interprétation violentée. La recherche de puissance orchestrale pourrait être grisante. Elle bute cependant sur un instrument abominable (un Girikowsky des années 1820) – plus proche de la guimbarde, de la vielle à roue, du luth, de la cithare ou du synthétiseur... que du piano ou même du pianoforte. Sur une telle casserole (... la comparaison avec la récente version Martynov est cruelle), l’interprétation semble souvent raide et laborieuse. Dommage, car le flux lyrique suit une progression inéluctable dans le premier mouvement – réussissant à faire oublier la partition originale. Le deuxième mouvement, par contre, gagne en effets comiques ce qu’il perd en variété de timbres... Déluré, le troisième aurait mieux fait d’explorer plus assurément la trajectoire ludique sur laquelle il s’engageait. On est moins choqué par le quatrième mouvement, qui joue à fond la carte de l’illustration et de la mise en images – dans une tempête haute en couleur. On s’ennuie, en revanche, dans le dernier mouvement.
On bute également – mais dans une mesure considérablement moindre – sur l’instrument utilisé par Michele Campanella (né en 1947) dans la réédition de son enregistrement bayreuthien (réalisé dans les années 1980), qui offre un habile programme thématique dont le support est le Steinway de Wagner lui-même (celui de 1876). Liszt ayant souvent joué sur cet instrument à la villa Wahnfried, écouter les brefs arrangements pour piano du Ring, de Lohengrin et du Vaisseau fantôme (écrits à Weimar respectivement en 1880, 1852 et 1860) n’est pas sans charme... D’autant que la performance interprétative est de bonne tenue – sobrement dynamique, dignement articulée, convenablement déclamée. Mais le résultat sonore manque – dans les dernières pièces, surtout – de la richesse orchestrale (pour l’acoustique générale), de la profondeur (pour la résonnance d’ensemble) et de la précision anguleuse (pour l’articulation des marteaux et des touches) qui captivent et fascinent dans les versions les plus abouties (chez Pollini, Brendel ou Zimerman, par exemple).
Autre réédition, celle du disque d’Aquiles Delle Vigne, enregistré en 1994 par cet élève de Cziffra et d’Arrau – auxquels il emprunte puissance et profondeur de toucher. Le pianiste argentin gravit sans encombres les redoutables Etudes d’exécution transcendante sur un superbe Bösendorfer Imperial – à l’exception de «Feux follets», joués sur Steinway. Le Bösendorfer fait briller les décibels et exploser les accords (... sauf peut-être dans les aigus de l’«Allegro agitato», un peu clochetés voire mirlitonés). Cette interprétation toute en puissance («Molto vivace») est pleine d’éloquence et d’expressivité («Ricordanza», où coule une pluie d’ivoire d’une belle intensité)... au prix toutefois d’une ligne de chant plutôt heurtée («Prélude», «Mazeppa») – jusqu’à l’étouffement («Eroica»). On continuera donc de préférer Arrau, Ovchinnikov ou Cziffra, mais l’album tient la route.
Un mot enfin sur le disque d’Emmanuelle Swiercz, dont le Liszt fin et maîtrisé a pour défaut une occasionnelle tendance à l’alanguissement et à la contemplation – qui n’est pas toujours du meilleur effet. Ainsi la Tarentelle et la Rhapsodie espagnole se meuvent avec trop de lenteur pour assumer pleinement la richesse de doigté, le toucher finement délié et la déclamation subtile (qui illuminent en revanche un magnifique Wanderer d’après Schubert). Si le «Sonnet 104» présente une éloquence sobre, une beauté calme – d’une délicatesse un peu froide néanmoins –, les Chants populaires agressent. Quant au jeu perlé de «Vallée d’Obermann», il sonne de manière plutôt ordinaire. Et Nuages gris n’a pas la profondeur nécessaire. Surtout, on reste sur sa faim face aux trois brèves compositions d’Alain Bonardi (né en 1966) qui émaillent ce programme lisztien. Le compositeur français entendait proposer «des compositions en commentaire d’œuvres de Liszt», soit trois créations «après une lecture de Liszt» – «voyage dans l’espace géographique... dans le temps... dans l’acoustique du piano et conception de la composition comme déplacement dans l’espace du clavier». Ces onze petites minutes de musique contemplative défilent néanmoins sans convaincre.
Le site d’Ashley Wass
Le site d’Alain Bonardi
Gilles d’Heyres
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