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05/19/2013 Piotr Ilitch Tchaïkovski : Concerto pour piano n° 1, opus 23 [1]
Johannes Brahms : Concerto pour piano n° 2, opus 83 [2]
Géza Anda (piano), Kölner Rundfunk-Sinfonie-Orchester, Georg Solti [1], Otto Klemperer [2]
Enregistré dans la Saal 1, Funkhaus, Cologne (5 avril 1954 [2] et 2 juin 1958 [1]) – 77’55
ICA Classics ICAC 5092 – Notice de présentation en français, anglais et allemand
Sélectionné par la rédaction
Ludwig van Beethoven : Sonate n° 3, opus 2 n° 3
Maurice Ravel : Valses nobles et sentimentales
Frédéric Chopin : Nocturne n° 8, opus 27 n° 2 – Ballade n° 1, opus 23 – Andante spianato et Grande Polonaise brillante, opus 22 (*)
Arthur Rubinstein (piano)
Enregistré en public au Concert Hall, Broadcasting House, Londres (6 octobre 1959 [*] et 17 mars 1963) – 65’59
ICA Classics ICAC 5095 – Notice de présentation en français, anglais et allemand
S’intéressant aux grands artistes du XXe siècle, ICA Classics continue de farfouiller dans les archives radios et publie des bandes de la BBC de Londres et de la WDR de Cologne.
Les premières permettent d’entendre Arthur Rubinstein (1887-1982) dans un répertoire familier. Reportés pour la première fois en CD, ces enregistrements du tournant des années soixante – qui pâtissent d’un spectre sonore bien étroit – n’apprennent rien de neuf sur l’art du pianiste polonais. Ainsi de la Troisième Sonate de Beethoven, où l’Allegro assai terminal – qui s’anime et bondit avec pétulance – manque indubitablement d’épaisseur, dont les deux premiers mouvements se parent d’élégance, de pudeur et de sobriété – mais n’offrent que des couleurs monochromes, une rythmique qui s’embourbe quelque peu dans l’ennui... et aucun des abîmes creusés par Sviatoslav Richter dans l’exceptionnelle pépite dénichée récemment par le même éditeur (lire ici). Quant aux Valses nobles et sentimentales de Ravel, elles n’envoûtent qu’à moitié – le «Presque lent dans un sentiment intime» devenant presque somnolent... –, bien que l’«Epilogue» parvienne à distiller des vapeurs poétiques (quasi debussystes), particulièrement attachantes. Reste Chopin, où l’autorité naturelle de Rubinstein confère un charme inimitable au Nocturne en ré bémol majeur – le pianiste retenant le tempo davantage qu’à l’accoutumée –, une élégance certaine à la Première Ballade – malgré la précarité de la prise de son – et une véritable grâce à l’Andante spianato et Grande Polonaise brillante.
Autrement plus essentiel est le disque consacré au pianiste hongrois – trop tôt disparu – Géza Anda (1921-1976), dans des œuvres concertantes – un répertoire où il excelle – enregistrées dans les années cinquante avec l’Orchestre symphonique de la Radio de Cologne. Remastérisation d’une bande déjà publiée, le Second Concerto de Brahms avec Otto Klemperer (1885-1973) respire un parfum d’évidence et d’inéluctabilité. Malgré un orchestre assez raide (y compris le violoncelle de l’Andante), Klemperer parvient à y concilier densité et lisibilité – dans les cordes notamment – grâce à des tempos rapides et souples. Quant à Anda, il désépaissit un propos à la fois nerveux et clair, solide mais pas rocailleux – avec une poigne d’un brio sensationnel et une indescriptible capacité à délivrer un message expressif et touchant. Dans la notice, Bryce Morrison souligne ainsi, à juste titre, que «nous sommes aujourd’hui peut-être plus que jamais en quête de musiciens qui se distinguent par leur individualité. Ce terme n’est pas synonyme d’une approche résolument "différente" ou idiosyncratique qui placerait l’artiste au-dessus du compositeur; il s’agit plutôt d’un équilibre subtil entre création et recréation. En ce sens, Géza Anda, dont la mort prématurée priva le monde d’une voix et d’une présence hors du commun, fut toujours fidèle aux partitions, tant dans l’esprit que dans la lettre, mais en ajoutant systématiquement à ses interprétations une touche personnelle».
Le vrai «coup de cœur» de cette parution se niche néanmoins dans un Premier Concerto de Tchaïkovski où Anda fait équipe avec son compatriote Georg Solti (1912-1997). Un enregistrement placardé (sur la couverture de l’album) d’un «electrifying» qui peine à décrire la foudre qui s’abat sur l’auditeur... Dans un son métallique et plutôt opaque (quoique parfaitement homogène) et malgré un orchestre sans grand charme, la baguette vif-argent de Georg Solti – tendue comme un fil de fer – respire à peine mais s’emballe franchement, sans jamais haleter. L’Allegro non troppo e molto maestoso est conçu comme une folle cavalcade – aux déchaînements dignes du Lac des cygnes. Les pas de deux de l’Andantino semplice déploient une verve raffinée, alors que l’Allegro con fuoco assume pleinement sa musculature galbée. Au centre de ce ballet symphonique – à l’exaltation électrique et franchement contagieuse –, le soliste hongrois s’investit tel le Prince Siegfried, tour à tour gracieux et combattif, viril et tendre, empressé et placide. Du grand piano, capable des emballements les plus soudains (à 7’30 dans le premier mouvement!), de la puissance la plus déchaînée (c’est dans ces moments-là que Solti donne toute la mesure de son génie) comme de la finesse la plus mozartienne. Si délicat à enchaîner à celui qui précède, le passionnant deuxième mouvement dévoile l’absolue concentration d’un pianiste capable de s’investir dans un style subitement très différent – sans rien perdre en vivacité ou en éloquence. Et dans l’Allegretto grazioso, le poignet garde une solidité à toute épreuve: l’investissement épate, la justesse de la sonorité impressionne, les coups de patte assomment. Bref, un témoignage majeur de l’art de Géza Anda comme de celui de Georg Solti.
Gilles d’Heyres
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