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05/13/2013
«Ludwig van Beethoven. Complete Piano Sonatas, vol. V»
Ludwig van Beethoven : Sonates n° 7, opus 10 n° 3, n° 8, opus 13 «Pathétique», n° 19, opus 49 n° 1, n° 20, opus 49 n° 2, et n° 26, opus 81a «Les Adieux»

Timothy Ehlen (piano)
Enregistré en public au Krannert Center for the Performing Arts, Champaign (29 janvier 2011) – 75’10
Azica Records ACD-71277 – Notice de présentation en anglais





«Emil Gilels plays Beethoven. Historical recording 1980»
Ludwig van Beethoven : Sonates n° 7, opus 10 n° 3, n° 25, opus 79, et n° 26, opus 81a «Les Adieux» – 15 Variations mit einer Fuge, opus 35 «Variations Eroica»

Emil Gilels (piano)
Enregistré en public dans l’Ordenssaal, Ludwigsburger Schloss (21 septembre 1980) – 75’59
Hänssler Classics CD 94.221 – Notice de présentation en anglais et allemand





«Ludwig van Beethoven. Sonates vol. 3»
Ludwig van Beethoven : Sonates n° 1, opus 2 n° 1, n° 2, opus 2 n° 2, n° 3, opus 2 n° 3, n° 26, opus 81a «Les Adieux», n° 27, opus 90, n° 29, opus 106 «Grosse Sonate für das Hammerklavier», n° 30, opus 109, n° 31, opus 110, et n° 32, opus 111

François-Frédéric Guy (piano)
Enregistré en public à l’Arsenal de Metz (6 décembre 2011, 24 et 25 avril 2012) – 209’
Album de trois disques Zig-Zag Territoires ZZT318 (distribué par Outhere) – Notice de présentation en français, anglais et allemand





Ludwig van Beethoven : 33 Veränderungen über einen Walzer von Anton Diabelli, opus 120 «Variations Diabelli»
Jean-Claude Henriot (piano)
Enregistré dans la Sali koncertowej Polskiego Radia im. Witolda Lutoslawskiego, Varsovie (avril 2011) – 63’46
DUX 0835 – Notice de présentation en français, anglais et polonais





«The Koroliov Series. Vol. XIV»
Ludwig van Beethoven : Sonates n° 28, opus 101, et n° 29, opus 106 «Grosse Sonate für das Hammerklavier»

Evgeni Koroliov (piano)
Enregistré dans la Jesus-Christus-Kirche Dahlem, Berlin (2012) – 67’57
Tacet 206 – Notice de présentation en français, anglais et allemand







«A Single Breath. Beethoven’s Last Three Piano Sonatas»
Ludwig van Beethoven : Sonates n° 30, opus 109, n° 31, opus 110, et n° 32, opus 111

Beth Levin (piano)
Enregistré à Faust Harrison Pianos, New York (20 avril 2012) – 65’59
Navona Records NV5908 – Notice de présentation en anglais





Chroniques – plus ou moins ordinaires – de l’actualité beethovénienne. Comme pour Chopin, Liszt ou Schumann, le flux discographique des Sonates de Beethoven ne cesse de véhiculer son lot de rééditions, de (re)découvertes, de nouveautés – en concert comme en studio. Six albums viennent récemment de paraître, dont deux s’inscrivent dans le cadre d’une intégrale de ces Sonates. Commençons – pour cadrer les choses – par Emil Gilels (1916-1985), beethovénien incontestable dont sont restituées trois sonates captées lors d’un concert enregistré par la radio allemande en octobre 1980. La Septième Sonate a été gravée quelques jours après celle de l’intégrale inachevée de studio (DG, septembre 1980). Une approche sensiblement comparable à cette dernière (mais plus rapide d’une minute) comme à un livesoviétique (Brilliant) du 21 septembre 1980 (une minute moins rapide, cette fois-ci). Tout Gilels est là: une autorité immédiate, des dynamiques appuyées, claires et convaincantes, un Largo e mesto à l’émotion simple et directe – sans esbroufe ni sentimentalité. Peu de fautes, et de la grandeur – partout.


Six ans après la version DG, les Vingt-cinquième et Vingt-sixième Sonates réussissent toujours aussi bien au toucher de diamant d’Emil Gilels. La Sonate «Les Adieux» – une minute plus rapide qu’en 1974 – est tout aussi sculpturale, mais présente trop d’accrocs en concert (dans le redoutable dernier mouvement notamment) qui empêchent de préférer cette version à l’enregistrement officiel. D’une manière générale, le geste du pianiste d’Odessa pourra sembler trop carré. Car ce Beethoven-là ne rigole pas beaucoup... C’est d’ailleurs ce qui gêne dans des Variations Eroica rigoureuses... à l’excès (où Gilels s’emmêle les pinceaux dans certains accords). On mesure toutefois – à entendre le génie de la transition entre les septième et huitième variations – ce que ce piano a d’unique et d’impérissable.


Beaucoup plus périssable est le disque de Timothy Ehlen, enregistré (trente ans plus tard) lors d’une intégrale de concert à l’Université de l’Illinois et qui présente un programme assez proche. Le pianiste américain interprète les mêmes Septième et Vingt-sixième Sonates. L’absence de caractérisation et de style propre est ce qui frappe en premier lieu. Le dernier mouvement des «Adieux» bouscule lui aussi la régularité du mouvement de son poignet, mais c’est moins techniquement qu’interprétativement que cette exécution passe-partout – pas indigne mais ordinaire – n’intéresse pas. Pas de grandeur ni d’émotion dans l’Opus 81a. Pas de pathos ni de tenue dans l’Opus 10 n° 3. Une «Pathétique» encore adolescente. Un Opus 49 propret et qui s’éternise. Bref, un enregistrement fort accessoire d’une interprétation qui manque de consistance.


Si le piano Timothy Ehlen se caractérise par la transparence de la personnalité là où celui d’Emil Gilels respirait l’évidence, les disques de Jean-Claude Henriot (né en 1948) et de Beth Levin (née en 1950) présentent un Beethoven hautement personnel et engagé – mais qui ne convainc pas. Celui du pianiste français fait réagir. Il aborde les Variations Diabelli en plus d’une heure – contre 54 minutes pour Kovacevich I (Philips), 51 minutes pour Kovacevich II (Onyx) et Serkin (Sony), 50 minutes pour Richter (Praga) et même 45 minutes pour Pludermacher (Lyrinx). Rappelant le geste décalé de Piotr Anderszewski (Virgin) – une version très appréciée en son temps mais qu’on juge par trop iconoclaste –, le disque d’Henriot est celui d’un artiste qui a pensé son Beethoven toute une vie durant et qui cherche à en restituer l’essence. Mais à ce tempo-là, la première variation n’est plus une marche mais une sieste. La neuvième est d’un statisme qui en devient ridicule. La treizième d’un maniérisme jamais entendu. Toute fantaisie mozartienne est même absente de la vingt-deuxième variation... Bref, la mayonnaise ne prend pas.


Quant à la pianiste américaine Beth Levin, c’est le Beethoven des trois dernières Sonates qu’elle cherche à interpréter... d’«un seul souffle». Interpréter voire sur-interpréter. L’Opus 109 met à mal l’instrument – à force d’y affirmer les accords – et dévoile à l’excès le message en le dénudant autant. Le dernier mouvement se met trop lentement en place et l’éloquence du début devient véhémence et même violence, effaçant les contrastes de nuances au détriment de la douceur et de la tendresse. Une vision jusqu’au-boutiste, où l’expression s’embrouille un peu (avec quelques passages précipités ou manquant de précision digitale). Si l’Arioso de l’Opus 110 révèle à quel point Beth Levin a médité et compris le message beethovénien (mettant l’essentiel en avant), le Maestoso de l’Opus 111 ne tient pas toutes ses promesses – affecté par trop de maniérisme dans l’expression des sentiments sous-jacents, par trop d’instabilité (dans les tempos comme dans rythmes) et pas assez de naturel. La pianiste paraît même se laisser emporter par ses sentiments dans l’Arietta, brisant le flux mélodique. Un piano brut et authentique, qui révèle d’incontestables affinités beethovéniennes – mais qui arbore une éloquence vraiment étouffante.


A l’inverse, Evgeni Koroliov (né en 1949) domine son Beethoven jusqu’à la dernière note et dans la moindre barre de mesure. Ce faisant, l’Opus 101 est plus impeccablement construit qu’émotionnellement réussi. Notamment son dernier mouvement qui, à force de s’emballer dans un respect exceptionnel des valeurs rythmiques – on croirait entendre du Bach –, en vient à manquer de fantaisie, de tendresse et de vie. La «Hammerklavier» gagne beaucoup à être appréhendée de la sorte – quelle rigueur (et quelle vigueur) dans la fugue finale! Mais là où Gilels abordait l’Everest par la même face monolithique et tranchante (... sans oublier de briser le verglas aux moments décisifs), Koroliov empêche par trop les larmes de couler. Impressionnant mais pas émouvant.


On saluera, pour finir, la conclusion de l’intégrale de François-Frédéric Guy (né en 1969) – des performances de concert –, dont Zig-Zag publie le troisième et dernier volume (lire nos comptes rendus des premier et deuxième volumes). Un album dont l’intérêt s’amenuise au fur et à mesure de l’écoute. Très attachant, l’Opus 2 est rempli de vivacité et de fraîcheur – avec en particulier une Deuxième Sonate spécialement réussie (bondissante et presque volage!) alors que la Troisième met plus de temps à trouver le ton approprié, y compris dans un Adagio (plus de 9 minutes) trop contemplatif voire vide de sens. Les Vingt-sixième et Vingt-septième Sonates gagnent, elles aussi, beaucoup d’éclat par cette approche enlevée et joyeuse – les «Adieux» n’oubliant jamais de sourire – et s’accordent superbement au toucher alerte et libre de François-Frédéric Guy. Une liberté qui se perd quelque peu dans l’immensité de l’architecture de la «Hammerklavier» – au ton sévère et parfois hésitant. Cohérentes et spontanées, légères et maîtrisées, les trois dernières Sonates manquent pour le coup de noirceur et de gravité, de lenteur et de poids, de caractère aussi. Toutefois, comme on le relevait lors des précédents disques de l’intégrale de François-Frédéric Guy, ce Beethoven «à la française» prolonge, une douzaine d’années après, le geste admirable de Georges Pludermacher, lui aussi capté sur le vif (Transart). Un Beethoven serein et doux, frais et indépendant, éloquent mais sans pathos, d’une fluidité instinctive au risque de l’instabilité. D’une évidente intégrité.


Gilles d’Heyres

 

 

 

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