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03/15/2013 Charles-Valentin Alkan : Nocturne, opus 22 – Troisième Recueil de chants: «Barcarolle», opus 65 n° 6 – 25 Préludes: «Chanson de la folle au bord de la mer», opus 31 n° 8 – Grande Sonate, opus 33 – Esquisses (Première Suite): «La Vision», «Les Cloches» et «Les Soupirs», opus 63 n° 1, n° 4 et n° 11 Pascal Amoyel (piano)
Enregistré à Metz (26-28 mai 2012) – 67’27
La dolce volta LDV 11 (distribué par Harmonia mundi)
Must de ConcertoNet
Le bicentenaire d’Alkan – ce n’est pas une surprise – ne donne pas lieu à des célébrations aussi éclatantes que celui de Verdi ou Wagner: Pascal Amoyel (né en 1971) s’emploie à y remédier, lui qui a enregistré dès 2001 avec Emmanuelle Bertrand sa Sonate de concert (Harmonia mundi), couplée à de rares pages pour violoncelle et piano de Liszt, dont il a par ailleurs réalisé en 2007 chez Calliope une belle version des Harmonies poétiques et religieuses, rééditée voici quelques mois par La dolce volta. Et c’est pour ce jeune et stimulant éditeur, déjà salué à de nombreuses reprises dans nos colonnes, qu’il présente aujourd’hui un album monographique qui s’impose d’ores et déjà comme à thésauriser au titre de cette «année Alkan».
Le choix du programme mérite d’abord d’être salué. Ainsi qu’il s’en explique dans la notice (en français, anglais, japonais et allemand) en forme de questions/réponses avec Rodolphe Bruneau-Boulmier et dans l’entretien qu’il a par ailleurs accordé à notre site, Pascal Amoyel a judicieusement équilibré les trois quarts d’heure de la Grande Sonate (1847), qu’un compositeur de 34 ans dédie à son père en y évoquant successivement les «quatre âges de la vie», par des pages souvent moins connues mais de portée plus immédiatement poétique et de dimensions beaucoup plus modestes, voire très brèves pour ce qui est de trois des Esquisses (1861), bagatelles beethovéniennes sous-titrées 48 Motifs en 4 Suites. Ces pièces ne sont en rien négligeables, tant s’en faut: Amoyel le prouve avec maestria: ce n’est pas seulement par leurs titres que le Nocturne opus 22 (1844) et la «Barcarolle», dernière des six pièces de la Troisième Recueil de chants (1861), se réclament de Chopin. Son interprétation met admirablement en valeur ces affinités, tout en démontrant qu’Alkan n’est pas un simple épigone talentueux – «Soupirs» (extrait des Esquisses) anticipe sur la délicatesse d’un Fauré ou la subtilité d’un Chabrier – mais que sa musique frappe par son caractère hors norme, très habité, presque visionnaire comme le sera celle de Scriabine, à l’image du Huitième («Chanson de la folle au bord de la mer») des Vingt-cinq Préludes (1846).
Mentionner quelques autres immenses musiciens ne tient donc ni de l’admiration béate – dans les propos qu’il nous a tenus, Amoyel ne dissimule d’ailleurs pas que l’inspiration d’Alkan peut se révéler inégale («on a l’impression d’un compositeur qui lutte, parfois sans vaincre») – ni d’une comparaison risquant de tourner au combat du pot de terre contre le pot de fer. Mais comment ne pas penser à Beethoven dans les proportions de la Grande Sonate, à l’échelle de celles de la Hammerklavier (dont le premier mouvement semble inspirer l’élan de «20 ans»), mais aussi dans des réminiscences thématiques (la «Marche funèbre» de l’Héroïque dans «50 ans. Prométhée enchaîné») ou dans cette manière d’opposer fortement les registres grave et aigu («Chanson de la folle au bord de la mer»)? Typiquement romantique, la démarche programmatique de la Grande Sonate – comme dans la Sinfonia domestica de R. Strauss, «40 ans. Un heureux ménage» permet de faire connaissance avec toute la famille – est celle d’un «Berlioz du piano» (Hans von Bülow), mais l’ambition instrumentale, comme s’il s’agissait de faire sonner le clavier comme un orchestre symphonique, les enchaînements harmoniques et le non-conformisme du discours rappellent également l’auteur de la Fantastique: il faut oser, en ce milieu de XIXe siècle, débuter une œuvre par un premier mouvement évoluant de ré à si majeur pour la conclure dans les tréfonds funèbres d’un sol dièse mineur et, comme la Pathétique de Tchaïkovski, dans un tempo noté «Extrêmement lent».
Toutefois, si l’osmose entre Alkan et Amoyel semble aussi parfaite, bien au-delà, évidemment, de la seule technique – aussi mise à contribution soit-elle dans ces partitions d’une redoutable difficulté d’exécution – et de la qualité de la prise de son, c’est peut-être parce que le rapprochement avec Liszt, auquel le pianiste français voue «un amour inconditionnel», ne cesse de venir à l’esprit: même parcours de vie, depuis les salons jusqu’au retrait du monde, même synthèse de virtuosité et d’élévation spirituelle – «30 ans. Quasi-Faust», outre une dénomination on ne peut plus lisztienne, a peu à envier à une pièce telle que «Bénédiction de Dieu dans la solitude». Mais quand bien même il juge, non sans raisons, leurs musiques «assez différentes», Amoyel apparaît incontestablement comme un interprète tout aussi privilégié d’Alkan que de Liszt.
Le site de Pascal Amoyel
Simon Corley
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