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03/08/2013 Claude Debussy : Quatuor, opus 10
Camille Saint-Saëns : Quatuor n° 1, opus 112
Maurice Ravel : Quatuor
Quatuor Modigliani: Philippe Bernhard, Loïc Rio (violon), Laurent Marfaing (alto), François Kieffer (violoncelle)
Enregistré en l’abbaye de l’Epau, Yvré-l’Evêque (avril et septembre 2012) – 84’45
Album de deux disques Mirare MIR 188 (distribué par Harmonia mundi) – Notice en français, anglais et allemand de Jean-Michel Molkhou
Sélectionné par la rédaction
Le Quatuor Modigliani célèbre à la fois son dixième anniversaire, le centenaire du Quatuor de Ravel et l’esprit de la musique française cristallisé en une décennie. Clarté, finesse, précision et engagement sont les maîtres mots de leur superbe interprétation de trois grands quatuors français: le Quatuor (1892) du jeune Debussy, le Quatuor (1902-1903/1910) d’un tout aussi jeune Ravel et, marquant sa différence entre les deux, le Premier Quatuor (1899) que Saint-Saëns jugea bon de «tricoter» à soixante-quatre ans avec une maîtrise éblouissante.
«Vague, flottante et incohérente» furent les termes du jugement porté sur l’œuvre de Debussy alors que c’est tout le contraire qu’il fallait entendre. L’interprétation des Modigliani en est également l’exact contraire. L’extraordinaire clarté des lignes, la précision sensible de chaque instrument selon son rôle, le soin porté au moindre détail, le vif allant comme la finesse expressive, l’élégance et le raffinement sonore font de chaque instant des trois œuvres une aventure à la fois nouvelle et fidèle. Tout est en place. L’exigence et la vibrante présence de cette formation équilibrée les placent parmi les meilleurs des jeunes quatuors talentueux en France actuellement.
Les Quatuors de Debussy et de Ravel sont souvent au programme des récitals et dans la discothèque des mélomanes, mais les Modigliani apportent à la partition de Debussy l’expressivité qui convient avec une touche d’urgence, d’acuité et de scintillant éclat tout à fait à propos, la douceur de l’Andantino poignante mais aux attaques franches, la montée en puissance dessinée en arche parfaite. Une même clarté illumine le Quatuor de Ravel. L’Allegro moderato devient d’une intensité frémissante à la limite du postromantique, alors que la piquante allure du deuxième mouvement se double d’un balancement souple et élégant de part et d’autre d’une partie centrale qui est un modèle de grâce. La maîtrise et la musicalité intactes, la suite reste sans réelle surprise par rapport à d’autres interprétations bien que le mouvement conclusif rappelle par moments la ferveur initiale.
La chronologie est respectée, le Quatuor de Saint-Saêns, beaucoup plus rarement entendue, s’insérant entre les deux «incontournables». L’équilibre du récital n’en est que plus heureux. Les quatre musiciens abordent l’œuvre dans un esprit beethovénien, imposé, peut-être par la perfection de la forme et la luminosité de la beauté créative. Parallèlement aux thèmes spécifiques et tout en gardant leur caractère propre, les quatre mouvements solidement bâtis partagent un même motif aux développements inventifs. Le motif s’entend dès la surprenante introduction en sourdine de l’Allegro, mouvement véloce, souvent ardent, mais d’un raffinement rare bien mis en valeur par les interprètes avant les vifs tournoiements et les décalages syncopés du brillant Scherzo qu’ils attaquent avec la même verve que l’étincelante tornade finale. Entre les deux, presque concertant comme le Finale, (le Quatuor est dédié à Ysaÿe), le Molto adagio file un émouvant chant fluide d’un recueillement profond, momentanément interrompu par le délicieux fugato du Trio. C’est un bonheur d’entendre la partition si bien défendue grâce aux qualités et à l’engagement convaincu du Quatuor Modigliani, qui l’interprète avec une fine expressivité mais avec toute la rigueur et la retenue nécessaires.
C’est une réussite. Ce beau récital bénéficie, de surcroît, d’une prise de son chambriste d’une bonne définition ample et claire. Le programme, rare grâce à la présence du Premier Quatuor de Saint-Saëns, ne peut manquer d’attirer les mélomanes et la prestation en général en fait une excellente entrée en matière pour qui ne connaîtrait ou ne posséderait pas encore les prodigieux Quatuors uniques de Debussy et de Ravel.
Le site du Quatuor Modigliani
Christine Labroche
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