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10/28/2012 Serge Rachmaninov : Sonates pour piano n° 1, opus 28, et n° 2, opus 36 Nikolaï Lugansky (piano)
Enregistré au Potton Hall (mai 2012) – 60’07
Naïve Ambroisie AM 208 – Notice de présentation en français et en anglais
Must de ConcertoNet
Son dernier disque (des Liszt d’anthologie chez Ambroisie) nous incitait à croire que Nikolaï Lugansky (né en 1972) était entré dans l’étape de maturité de son art de l’interprétation. Cet album Rachmaninov – qui se place, par son foisonnement lyrique continu, dans une étonnante filiation lisztienne – le confirme indubitablement.
De la même manière que seuls les authentiques brucknériens parviennent à habiter les longueurs du maître de Saint-Florian (que tant d’autres conduisent dans des tunnels d’ennui), Lugansky donne à Rachmaninov sa juste pulsation, son influx naturel, réussissant à captiver de bout en bout dans la Première Sonate (1907) – d’ordinaire si peu structurée et presque rebutante. Tout paraît limpide dans le doigté fluide et clair du pianiste russe, d’une puissance sans ostentation. Evidence des tempos, dosage inouï des nuances, émotion sans affectation: Lugansky offre une renaissance à cette partition – où de petites voix (celles de Faust, Marguerite et Méphisto) auxquelles on ne prêtait qu’une attention accessoire nous touchent au-delà de toute raison dans l’Allegro moderato, nous rassérènent et nous bercent dans le Lento, rehaussent l’intensité des accords titanesques de l’Allegro molto.
La Seconde Sonate (1913) ne souffre pas, du coup, de la comparaison – bien qu’elle reste plus attachante que son aînée par la subtilité des lignes mélodiques et la concentration du geste (même dans sa version d’origine – celle que retient globalement Nikolaï Lugansky mais à laquelle il apporte «quelques modifications significatives, en utilisant ici et là des variations des deux versions» de 1913 et 1931, choisies «en fonction de ses préférences et de ses goûts»). L’interprète déploie les mêmes trésors d’objectivité et de subtilité. Chassée l’image d’un Rachmaninov guimauve, expulsée la sentimentalité de bas étage, proscrite la vulgarité de l’ostentation. D’une sonorité idéalement moelleuse et d’un tumulte contenu (sans bavardage superflu), l’abattage des poignets n’en est pas moins d’une force intimidante. Bref, Lugansky nous livre Rachmaninov tel qu’on devrait toujours l’entendre.
Gilles d’Heyres
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