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10/21/2012 Ziad Kreidy : Les Avatars du piano
Editions Beauchesne, Collection L’Education musicale, 2012 – 75 pages, 14,50 €
Ziad Kreidy, musicien franco-libanais, est pianiste et chercheur en musicologie, chargé de cours à l’Université de Franche-Comté et professeur titulaire de culture musicale au Conservatoire à rayonnement départemental de Ville-d’Avray. Comme dans son riche ouvrage Takemitsu. A l’écoute de l’inaudible, Kreidy aborde son sujet – ici le thème inépuisable du piano moderne face à ses avatars, les pianos historiques ou pianos encore en pleine métamorphose – sous un angle juste mais encore peu ou pas du tout exploré. Résolument attaché au son, aux timbres et à la dynamique sonore du piano à travers les âges, il ouvre l’angle comme il ouvre son esprit et son oreille, son principe étant de ne jamais condamner mais au contraire de chercher à reconnaître les valeurs mécaniques ou techniques, les possibilités et impossibilités expressives et les qualités de couleur ou de résonance particulières, perdues, maintenues ou développées d’avatar en avatar jusqu’au Steinway de notre époque, qui s’offrent au compositeur comme à l’interprète à un point précis du temps, et déterminent de ce fait son approche de l’instrument.
Kreidy considère que «comme chacun sait, en art, il n’y a pas progrès mais changement», que «le moderne n’est pas supérieur à l’ancien, il est différent», qu’«il n’y a aucun gain qui ne se paie d’une perte» et que «chaque instrument, réussi à un moment de l’histoire, à commencer avec Cristofori, est indépassable et inégalable». Il s’efforce de le démontrer, grâce à sa pratique des différents instruments et à son examen minutieux, d’un côté, de la facture instrumentale et des transformations de la mécanique pure et, de l’autre, des partitions au travers non seulement des indications de pédale, de puissance et de techniques de jeu tout à fait révélatrices mais aussi de certains points stylistiques ou de traits pianistiques relevant de l’instrument à la disposition du compositeur et difficiles à réaliser, voire irréalisables, sur un piano moderne: ainsi du halo sonore si doux du jeu una corda à résonance sympathique d’un pianoforte Cristofori ou du double glissando de l’Alborada del gracioso de Ravel, conçu en 1904, ce dernier à cause de la lourdeur actuelle du clavier. Dans l’excellent chapitre «Résonances et équilibre des registres» fort utilement illustré d’extraits de partitions de Mozart, Beethoven, Schubert, Chopin, Schumann et Debussy, il démontre que, quel que soit le piano, la codification technique de la facture implique que «le pianiste n’a pas un pouvoir absolu sur son instrument, lequel affirme avec force ses particularités musicales» et que toute composition musicale est condamnée à se transformer avec le temps, les indications de nuances restant dépendantes de l’instrument historique ou moderne pour lequel elles ont été au départ conçues.
Bien que Kreidy puisse déplorer jusqu’à un certain point, non pas le son du piano moderne dont les qualités s’adaptent bien à nos salles actuelles, mais l’idéalisation dont est l’objet «ce monument, cette institution, cet objet massif et spectaculaire» (Boulez) et sa standardisation presque à outrance, la finalité de sa thèse n’est pas de recommander une interprétation systématique sur un instrument de l’époque de chaque composition mais de sensibiliser l’interprète aux esthétiques anciennes et aux raisons d’être du détail spécifique d’un texte musical touchant à la nature du piano alors en existence, ce dans le but «d’acquérir une connaissance plus juste des intentions des compositeurs du passé». Au-delà, il souhaite «inviter simplement le lecteur à voir les choses différemment». Ce court document sérieusement étayé est le résultat d’un travail de recherche mené sur plus de dix ans avec un essentiel esprit de synthèse et une pratique personnelle du piano à chaque stade de ses métamorphoses. Il ne peut et ne doit qu’attirer profitablement l’attention des pianistes en particulier et des musiciens et des mélomanes en général.
Le site de Ziad Kreidy
Christine Labroche
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