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09/15/2012 «Beethoven Complete Piano Sonatas»
Ludwig van Beethoven : Sonates n° 1, opus 2 n° 1, n° 2, opus 2 n° 2, n° 3, opus 2 n° 3, n° 4, opus 7, n° 5, opus 10 n° 1, n° 6, opus 10 n° 2, n° 7, opus 10 n° 3, n° 8, opus 13, n° 9, opus 14 n° 1, n° 10, opus 14 n° 2, n° 15, opus 28, n° 16, opus 31 n° 1, n° 17, opus 31 n° 2, n° 18, opus 31 n° 3, n° 21, opus 53, n° 22, opus 54, n° 23, opus 57, n° 24, opus 78, n° 25, opus 79, n° 26, opus 81a, n° 27, opus 90, n° 28, opus 101, n° 29, opus 106, n° 30, opus 109, n° 31, opus 110, et n° 32, opus 111
HJ Lim (piano)
Enregistré au Faller Hall, La Chaux-de-Fonds (juillet et août 2011) – 535’
Coffret de huit disques EMI 4 64952 2 – Notice de présentation en français, anglais et allemand
Qu’un éditeur aussi éminent qu’EMI décide de publier – d’un seul coup d’un seul – une intégrale en studio des Sonates de Beethoven, en la confiant non pas à l’une des stars du clavier, mais à une jeune pianiste d’origine sud-coréenne (et formée en France), voilà qui attire nécessairement l’attention.
Hyun-Jung – HJ – Lim s’en explique dans l’entretien qu’elle a accordé à ConcertoNet (lire ici). Organisée autour de huit thématiques distinctes, cette intégrale est d’ailleurs abondamment commentée par sa volubile interprète dans les notices de chaque disque (... des textes remplis de pertinence, assurément – qui contrastent avec la paresse de tant de publications récentes, souvent vides de toutes précisions quant à la nature et au sens des options artistiques retenues!). Des vidéos de présentation, mises en ligne par son éditeur (voir ici et ici), permettent également d’appréhender la démarche de cette jeune pianiste qui fait le choix – plutôt que de les enregistrer patiemment les unes après les autres – de mettre en correspondance toutes les Sonates ensemble.
Pas «toutes» à dire vrai, mais trente Sonates de Beethoven – HJ Lim renonçant à l’Opus 49 («... pièces pédagogiques composées en vue d’exercer les élèves et publiées contre la volonté du compositeur, elles ont été écrites bien avant la "sonate, opus 2 n° 1 en fa mineur" que Beethoven publia comme étant sa vraie sonate numéro un, et en effet, on y reconnaît puissamment la signature beethovénienne, j’ai préféré respecter l’intention de ce dernier en les mettant à l’écart de grand cycle»). L’ensemble présente toutefois une belle cohérence et offre une habile «visite guidée» des thématiques principales, des techniques communes et des styles dominants de ces partitions composées en l’espace de moins de trente ans (de 1795 à 1822).
Sur le plan interprétatif, le moins que l’on puisse dire est que HJ Lim ne reste pas passive face au texte. Sa liberté d’interprétation – il faut préciser qu’elle a Cortot pour modèle – s’exprime principalement dans le tempo, lequel connaît souvent des fulgurances remplies d’une véhémence toute beethovénienne: la Pathétique (1799), La Tempête (1802), l’Aurore (1803) ou, plus encore, la Hammerklavier (1818) – qui ouvre le coffret – en sont probablement les meilleurs exemples. D’une manière générale, cette intégrale ne s’alanguit guère dans des postures contemplatives ou recueillies, la rapidité ou l’allant de certaines pièces ne manquant pas de bouleverser les habitudes – comme dans la Pastorale (1801) ou l’Adagio sostenuto de la Clair de lune (1801), un choix pleinement assumé par la pianiste.
Ainsi qu’on peut s’en rendre compte dans le dernier mouvement des Adieux (1810), le jeu se fait volontiers rhapsodique, les «yoyos» du flux narratif n’empêchant (généralement) pas de rehausser le message interprétatif – comme dans l’Adagio grazioso de l’Opus 31 n° 1 (1802), piquant et pétillant, ou dans l’Opus 31 n° 3 (1802), enlevée, bousculée mais pas survolée, remplie d’humour et de sourires. Vivacité et fraîcheur parcourent des disques entiers, à l’image du «thème 5» (curieusement baptisé «Extremes in collision»... et qu’on aurait tout aussi bien fait d’appeler «Opus 10» puisqu’il réunit les Cinquième, Sixième et Septième Sonates).
Alors, pourquoi garde-t-on le sentiment de «rester sur sa faim», d’écouter cette interprétation avec un intérêt très fort... mais sans jamais y discerner le génie, y sentir le souffle de l’évidence, y connaître le besoin urgent de la réécoute – celui que procurent les grands disques (comme ceux de Stephen Kovacevich, également chez EMI)? On peut certes évoquer le systématisme de l’approche, la précipitation parfois (qui nuit à l’articulation), une légèreté un peu futile ou creuse – telle cette «Marche funèbre» de l’Opus 26 (1801) sèche comme de la paille, dure comme du bois, ou cette Appassionata déterminée mais à la prosodie bien trop heurtée. On peut aussi regretter l’intérêt plus grand que HJ Lim porte au Beethoven juvénile – plutôt qu’à celui de la maturité: même l’Opus 101 (1816) respire la jeunesse insouciante... et jamais l’ambigüité (également absente des dernières sonates, ce qui est plus problématique).
Mais on aura beau pointer telle ou telle faiblesse, la raison véritable à l’absence de «coup de cœur» pour ce coffret réside – bien entendu – dans la nature du regard que l’on porte sur cet Himalaya du piano moderne (dont HJ Lim paraît oublier la face sombre) et dans l’attachement que l’on persiste à avoir pour des approches plus denses (Backhaus, Gulda, Brendel, Richter...) et plus «métaphysiques» (Arrau, Gilels, Kempff, Nat...). On n’en ressent pas moins la sincérité de la démarche de cette pianiste qui mérite qu’on parle d’elle et qu’on salue sa performance.
Le site de HJ Lim
Gilles d’Heyres
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