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06/01/2000
Ligeti, Kurtag, Dillon, Dusapin, Sciarrino, Berio
Oeuvres pour alto seul
Garth Knox (alto)
Naïve, MO782082, 1CD, sortie en juin 2000
www.naive.fr
Après s'être brillamment distinguée dans le répertoire baroque avec des enregistrements de Jordi Savall ou des ensembles Doulce mémoire et Zefira, la jeune et dynamique maison d'édition française Naïve fait paraître une nouvelle collection de musique contemporaine. De même que le rachat d'Astrée lui a permis de mettre la main sur un catalogue baroque fournit, l'acquisition de Montaigne lui a apporté un ensemble conséquent d'enregistrements du vingtième siècle. Mais loin de se limiter à de simple rééditions, Naïve prend des risques et programme des nouveautés.
On pourra donc découvrir des quatuors de Roger Reynolds par le Quatuor Arditti (MO782083) et un austère volume consacré à des pièces pour alto seul jouées par le grand altiste Garth Knox (MO782082). De la mélancolique et superbe Sonate de Ligeti à la virtuose et très technique Sequenza de Berio en passant par l'elliptique Jelek de Kurtag ou le fuyant et protéiforme Inside de Dusapin, ce parcours explore toutes les facettes d'un instrument qui reste trop souvent dans l'ombre de ses partenaires, le violon et le violoncelle.
Mais on se précipitera surtout sur plusieurs rééditions marquantes. Marquantes au sens premier du terme, c'est à dire des expériences musicales qui modifient notre perception de la musique et dont on ressort avec quelques sueurs froides... Comment caractériser autrement Im Innersten (IIIe Quatuors) de Wolfgang Rihm qui vous prend à la gorge dès les premières mesures par ses accords exacerbés et terribles, pour ne plus vous lâcher ? D'une violence éruptive incessante contrainte par une rigueur formelle implacable, les trois quatuors de ce CD (MO782134), composés entre 1976 et 1988, brossent un tableau saisissant d'un des grands compositeurs de notre temps.
Moins anguleuses, moins brutales, mais pas moins dénuées de vitalité, les oeuvres de Pascal Dusapin fascinent également. Extenso, Apex, pour orchestre et son "operatorio" La Melancholia révèlent une écriture souveraine et captivante. Un volume (MO782124) où la sensualité et la beauté du geste musical ont toute leur place.
Toute autre est l'approche de Helmut Lachenmann. On évolue ici aux frontières du silence mais dans une tension permanente. Dans son quatuor, les archets effleurent les cordes des instruments sans quasiment produire de "son" mais seulement des frottements à la limite de l'audible, ce qui engendrent une atmosphère de ruine, lunaire et sombre, dans laquelle les rares moments où les instruments "sonnent" sont comme autant d'éclairs. Le procédé, véritable processus de déconstruction de l'écoute, est étendu ensuite à l'orchestre pour la seconde pièce de ce CD (MO782130), Suite de danse à partir de l'hymne allemand. Des formes classiques comme des valses, marches, gigues ou polkas sont "retournées comme des gants", disséquées, démontées en un jeu fascinant.
Luigi Nono (1924-1990) fait figure "d'ancien" et de déjà "classique" par rapport aux compositeurs précités. Un CD exceptionnel (MO782132) permet de se faire une idée du génie de ce compositeur essentiel du XXe siècle. On y trouve en effet l'opus 1 du compositeur, Variazioni canoniche (1950), déjà parfaitement abouti, qui propose un voyage fascinant à travers un univers presque classique, tonal mais dont l'atmosphère se raréfie progressivement pour devenir de plus en plus oppressante et imprévue... pour finalement revenir à la relative sérénité du début. Une expérience unique. L'une de ses dernières oeuvres, No hay caminos, hay que caminar... ("il n'y a pas de chemin, il n'y a que le cheminement") illustre la dernière manière de Nono : dépouillement, spatialisation du phénomène sonore, tension hallucinante... Des moments rares et inoubliables.
Philippe Herlin
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