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04/02/2012 Harrison Birtwistle: String Quartet: The Tree of Strings – Nine Movements for String Quartet
Quatuor Arditti: Irvine Arditti, Ashot Sarkissjan (violon), Ralf Ehlers (alto), Lucas Fels (violoncelle)
Enregistré au Studio Stalberger Strasse, Cologne (15 et 16 avril [String Quartet], 18 et 19 mai 2010) – 59’27
Aeon AECD 1217 (distribué par Outhere) – Notice en anglais et en français de John Fallas
Le Quatuor Arditti fut fondé par Irvine Arditti en 1974 en partie dans le but de promouvoir la musique contemporaine. Son activité et sa conviction dans ce domaine sont telles que de nombreux compositeurs lui ont confié la création d’une ou plusieurs œuvres pour cette formation – Dusapin, Ferneyhough, Harvey et Rihm, parmi d’autres. En 1996, Sir Harrison Birtwistle confia au Quatuor Arditti la création de Neuf Mouvements pour quatuor à cordes et, en 2008, celle d’un Quatuor à cordes, premier du nom, suivi de son titre imagé. Entre 1996 et 2006, hormis Arditti lui-même, les membres du Quatuor ont progressivement été renouvelés mais c’est le quatuor tel qu’il est depuis 2006 qui présente ici, enregistrés pour la première fois, le Quatuor «The Tree of Strings» (2007) et les Nine Movements for String Quartet (1991-1996) isolés de Pulse Shadows, œuvre à laquelle ils étaient tout d’abord intégrés.
Pulse Shadows comporte les Neuf Mouvements en une alternance avec neuf mélodies pour soprano, quatuor à cordes et ensemble composées entre 1989 et 1996. Les deux cycles restent indépendants, ne partageant ni thème ni motif, mais le lien fort entre les deux, c’est l’inspiration qui émane de la poésie de Paul Celan, les mélodies directement des poèmes mis en musique, les Neuf Mouvements plus personnellement de l’impact sur le compositeur de la vie et de la pensée du poète. Trois «Frieze» s’entrelacent à cinq «Fantasia», puis, seul mouvement à porter un titre, «Todesfuge», la quatrième «Frieze», vient en conclusion à l’ensemble, en une éloquente référence à l’un des poèmes les plus célèbres du poète. Le langage relève de l’esthétique moderniste, souvent accusé par le peu de vibrato des cordes, mais la charge est émotionnelle, une émotion sombre et dure, Celan oblige, éclairée d’instants d’une douceur plus lyrique principalement en début ou au cours des «Fantasia». Ces cinq mouvements sont à tempo varié, leur climat changeant au gré du vent qui pourchasse les nuages d’un ciel tumultueux, non sans soleil. Rapides et agités, les mouvements «Frieze», plus incisifs et tranchants, gardent le même tempo d’un bout à l’autre. La tension est grande, «Todesfuge» à la limite d’une danse macabre contrariée par les rythmes heurtés d’un désarroi extrême. Chaque élément de cet ensemble complexe parfaitement en place, l’interprétation des Arditti est précise et sans concession – aucun angle n’est arrondi, aucun cri adouci, à l’image même, peut-être, de la terrible intransigeance des poèmes si douloureux de Celan.
En janvier 2007, Birtwistle offrit à la Cité de la musique un avant-goût de sa deuxième œuvre pour quatuor encore inachevée, The Tree of Strings, qui fut créée à Witten en avril de la même année, les interprètes en étant à chaque fois les Arditti. Le titre est emprunté au poète écossais Sorley MacLean (1911-1996) aux côtés de qui le compositeur passa de longs mois autrefois au cœur de la beauté sauvage de l’ile de Raasay, au large de Skye. L’arbre des cordes évoque sans doute la harpe celte et ses connotations musicales, mais, si l’on peut se souvenir à ce propos de la présence fréquente de la harpe dans l’œuvre de Birtwistle, l’accent se concentre sur le potentiel du quatuor à cordes (sans le pousser à ses limites), à travers lequel filtrent une suite d’impressions sombres et fugitives et une profondeur de sentiment qui peut évoquer la condition humaine, sinon la pensée et le style musical du poète et le potentiel souvent entravé des gens de l’île, annoncés d’emblée par le titre pour qui connaît l’île ou le poème éponyme. Stylistiquement fondée sur la convergence et la divergence des voix toujours mobiles, l’œuvre est en un seul mouvement aux événements enchaînés qui procède par cycles, chacun naissant tout doucement dans une suite de phrases aux sons irisés ou lyriques pour s’animer et s’agiter petit à petit à travers pizzicati et traits d’archet fermes ou rageurs, toujours ressentis. La riche voix du violoncelle leur lien unificateur, les quatre instruments se superposent en courtes cellules contrastées puis en lignes mélodiques ou polyrythmiques qui fusent et s’étiolent ou s’étirent à l’occasion vers une douceur apaisante. La maîtrise des Arditti préserve toute la cohérence et la clarté instrumentale de cette partition ardue et complexe. Leur interprétation expressionniste mais expressive et sensible en transmet avec force les fines émotions tout en révélant la beauté sonore de ce langage parfois âpre qui sait se faire si doux.
Pour l’instant, le Quatuor Arditti reste l’interprète unique de ces deux pièces d’envergure. C’est à la fois un privilège et une responsabilité bien assumée. Ils bénéficient d’une prise de son ample d’une présence vive qui préserve l’intimité des quatre voix, et, quoiqu’un peu dur, d’un équilibre spectral tout à fait convenable.
Le site du Quatuor Arditti
Christine Labroche
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