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03/26/2012 Iannis Xenakis : Zyia – Six Chansons grecques (*) – Psappha – Persephassa
Angelica Cathariou (mezzo-soprano), Cécile Daroux (flûte), Daniel Ciampolini (percussion), Nikolaos Samaltanos (*), Dimitri Vassilakis (piano)
Enregistré à Paris en l’église Saint-Marcel (Zyia, Chansons), à l’IRCAM (Psappha) et au Studio du Midi (Persephassa) (juillet 2010) – 62’14
Saphir Productions LVC 1168 – Notice en français et en anglais de Christophe Sirodeau et Daniel Ciampolini
Pour marquer d’une pierre blanche l’année 2011, dix ans après la disparition de Iannis Xenakis, la mezzo-soprano Angelica Cathariou et quatre musiciens, condisciples pendant un temps au CNSM de Paris, se sont réunis autour d’un programme monographique de pièces jamais encore enregistrées ou jamais encore dans cette version précise. Les deux premières pièces révèlent un jeune Xenakis sans doute moins connu, les deux dernières se trouvent, dans leur version initiale, parmi les pièces les plus largement appréciées de leur auteur.
Psappha (1975) pour un seul percussionniste, est ici dans la version électro-acoustique de Daniel Ciampolini mise au point avec l’assistance de Frédéric Voisin et Frédéric Prin, réalisateurs en informatique musicale à l’IRCAM. Elaborée en 1995 et créée en 1997 avec l’accord du compositeur, cette version respecte d’une nouvelle façon ses instructions qui, hormis les spécifications de registre et les précisions peau ou métal, laissent au percussionniste le soin de choisir ses instruments pour un propos qui prime «le rythme pur, le timbre lui étant subordonné» (Xenakis). L’avantage de l’électro-acoustique, c’est de davantage spatialiser les sons, cela surtout au concert grâce à six haut-parleurs placés autour de l’auditoire. La qualité de l’interprétation permet à la pièce enregistrée de garder néanmoins une grande part de sa séduction, le caractère dynamique des silences intact.
Composée en 1969 pour six percussionnistes entourant le public, Persephassa dans la version de 1971 est pour un seul interprète en direct et cinq fois en rerecording et ce sont de nouveau les haut-parleurs qui la spatialisent. Cette pièce d’envergure doit sa célébrité immédiate à la maîtrise légendaire des Percussions de Strasbourg mais si, pour les deux versions, le concert est préférable, Daniel Ciampolini seul reste ici tout à fait convaincant. L’enjeu lors de Persephassa est son contrepoint rythmique décalé qui peut devenir envoûtant pendant les accélérations finales; la précision du geste instrumental en met en valeur toute la finesse.
Les titres des deux œuvres tissent aussitôt les liens recherchés avec la Grèce antique. Zyia (1952) signifie le couple en grec archaïque et tisse des liens avec la Grèce par l’essence modale de ses sonorités. Le couple en question, c’est le duo flûte et piano, l’instrument mélodique associé à l’instrument rythmique de la musique démotique, et les deux constants pour les deux versions. Cécile Daroux et Dimitri Vassilakis, les deux instrumentistes à la création tardive de la version pour soprano, chœur d’hommes, flûte et piano en 1994, ont enregistré en 2003 la version alternative sans chœur d’hommes mais toujours avec une soprano alors que la tessiture de la partition se destinerait plutôt à la mezzo-soprano que nous trouvons ici. Effectivement, le timbre plus sombre d’Angelica Cathariou apporte une gravité bienvenue tout en restant d’une belle transparence dans l’aigu, et convient tout à fait bien aux paroles, de Xenakis lui-même, qui terminent sur une note de défiance et d’espoir. La prestation convaincue des trois musiciens fait ressortir le détail de la complexité texturale et la beauté des alliances de timbres de cette partition finement affirmée et en somme assez aventureuse.
Ecrites en 1951, également avant l’engagement de Xenakis dans la musique stochastique, les Six Chansons grecques pour piano semblent relever plus directement de la tradition grecque mais ces six miniatures charmantes et parfumées se révèlent d’un raffinement harmonique plein de promesse qui peut aussi bien remettre en mémoire les danses de son aîné Nikos Skalkottas que certains des Mikrokosmos de Béla Bartók. La délicatesse et la limpidité de la première et de la quatrième, les voix tissées de la mélancolique troisième ou la cinquième sur un mode plus hymnique sont bien mis en relief par l’eau claire du petit torrent de «J’avais un amour autrefois», en deuxième position, qui joue sur la résonance et se termine sur un rythme martelé sur une note. Le contraste est encore plus grande avec la dernière, la danse «Sousta», vive et emportée, souvent dissonante, l’entremêlement de lignes vocales et rythmiques différenciées, les clusters et le style percussif annonciateurs d’un Xenakis à venir.
L’enregistrement est dédié à la mémoire de Cécile Daroux, trop tôt disparue en 2011.
Le site d’Angelica Cathariou
Le site de Daniel Ciampolini
Christine Labroche
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