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02/07/2012 Johann Sebastian Bach : Johannes-Passion, BWV 245
Hans Jörg Mammel (L’Evangéliste), Matthias Vieweg (Jésus), Maria Keohane, Helena Ek (sopranos), Carlos Mena, Jan Börner (altos), Jan Kobow (ténor), Stephan MacLeod (basse), Ricercar Consort, Philippe Pierlot (direction)
Enregistré dans la salle philharmonique de Liège (27-30 septembre 2010) – 114’
Album de deux disques Mirare MIR 136 (distribué par Harmonia mundi) – Notice trilingue (français, anglais et allemand) de Carsten Hinrichs et traduction trilingue des textes chantés
Le drame apparaît dès les premières notes... Pourquoi en serait-il autrement d’ailleurs puisque, on le sait, la Passion narre les souffrances, les supplices, les sarcasmes et la douleur qu’a subis le Christ avant de mourir? Johann Sebastian Bach (1685-1750) a composé à cet effet deux grandes fresques chorales, la Passion selon saint Matthieu (créée vraisemblablement en avril 1727 mais remaniée par la suite) et, donc, la Passion selon saint Jean. Ecrite en 1724, elle a également fait l’objet de plusieurs modifications dont la présente version porte quelques traces puisque l’air «Himmel resse, Welt erbebe» (confié à la basse) et le choral «Christe, du Lamm Gottes» datent pour leur part de 1725.
Face à une discographie pléthorique (d’Erich Kleiber en septembre 1938 à Konrad Junghänel en mai 2011) dominée notamment par les versions de Nikolaus Harnoncourt (celle de novembre 1993 et non la pionnière de 1965), Philippe Herreweghe (en avril 1987, sa version plus tardive d’avril 2001 étant consacrée à la version de la Passion datant de 1725) et le toujours d’actualité Frans Brüggen (sa version de février 1992 étant d’une ferveur peu commune), c’est au tour de Philippe Pierlot et de son Ricercar Consort de se lancer dans l’aventure. Après un très bel enregistrement du Magnificat, voici une non moins convaincante version de la Passion selon saint Jean.
Reprenant (comme dans son Magnificat) les préceptes de Joshua Rifkin qui, en 1981, avait proclamé que, vraisemblablement, Johann Sebastian Bach demandait à être interprété avec une seule voix par partie vocale («One voice per part»), Philippe Pierlot dirige un ensemble réduit: vingt-trois instrumentistes et huit chanteurs, à raison de deux par partie. Une stricte orthodoxie aurait-elle justifié qu’un seul chanteur se vît confier chaque partie? Rien n’est moins sûr car la recherche musicologique montre que, notamment pour la Passion selon saint Jean (mais c’est également le cas par exemple, pour la Messe en si mineur), la pratique de l’époque pouvait confier une partie à une voix (ce sont les quatre solistes ou concertistes) et une partie à une autre voix qui n’intervenait que lors des tutti et non lors des soli: ce sont les ripienistes qui se trouvaient d’ailleurs dans un chœur séparé des solistes! Sans en rajouter à la complexité, rappelons néanmoins que le célèbre Mémorandum critique que Bach a publié le 23 août 1730 sur l’organisation de la musique à Leipzig précise par ailleurs que les concertistes peuvent être plus nombreux (notamment pour chanter les chœurs) et que les ripienistes doivent être «au moins» huit, ce nombre fixant donc plus un plancher qu’un plafond. La question des effectifs requis pour cette œuvre demeure donc incertaine et même si la controverse est passionnante, ce qui importe, convenons-en, c’est que l’interprétation soit bonne.
Du strict point de vue instrumental, le résultat est superbe. Même si les flûtes adoptent un jeu un peu raide lorsqu’elles accompagnent la soprano dans «Ich folge dir gleichfalls», chaque intervention est un régal, qui culmine dans l’air d’alto «Von den Stricken meiner Sünden» où le hautbois est à pleurer. Les ensembles nécessités par les parties de chœurs sont également exceptionnels: qu’il s’agisse du chœur d’entrée «Herr, unser Herrscher» ou des chœurs «O hilf, Christe, Gottes Sohn» et «Ruht wohl, ihr heiligen Gebeine» dans la seconde partie, les voix s’avèrent extrêmement convaincantes. Au-delà de cette excellente impression d’ensemble, on peut néanmoins regretter un manque de volume évident: il suffit, pour s’en convaincre, d’écouter le chœur «Herr, unser Herrscher» dans la version Harnoncourt précitée où, doublée par une houle de cordes, la multiplicité des intervenants est de nature à considérablement renforcer le dramatisme de la situation. Cela manque un peu ici...
Très bien captés par les micros de Mirare, ce sont surtout les solistes qui font de cette version une incontestable réussite. A tout seigneur tout honneur, Stephan MacLeod, qui chante à la fois les rôles de Pierre et de Pilate, est tout simplement parfait: son duo avec la soprano (l’air «Himmel reisse, Welt erbebe») est d’une stupéfiante théâtralité (écoutez à ce moment les accents confiés aux violoncelles!) tandis que, par contraste, son air «Betrachte, meine Seel, mit ängstlichem Vergnügen» au début de la seconde partie révèle à la fois beaucoup de plainte et de douceur. Dans son rôle central d’Evangéliste, Hans Jörg Mammel est également excellent. Que ce soit dans ses récitatifs, extrêmement vivants, ou dans son air «Ach, mein Sinn» (dans la première partie), il prouve une fois encore ses affinités avec l’œuvre de Johann Sebastian Bach. Jan Kobow s’avère moyennement convaincant, notamment dans un «Erwäge, wie sein blutgefärbter Rücken» assez tendu (en dépit d’un bel accompagnement instrumental); il en va de même pour Maria Keohane dans le passage «Ich folge dir gleichfalls», ses aigus ayant quelque peu du mal à s’épanouir. Quant à Carlos Mena, il déploie une très belle voix, notamment dans un superbe «Von den Stricken meiner Sünden» (au sein de la première partie).
En définitive, et sans pour autant atteindre le sommet du Magnificat que l’on a déjà signalé, voici une superbe version de la Passion selon saint Jean qui se situe parmi les plus recommandables de ces dernières années.
Le site du Ricercar Consort
Le site de Maria Keohane
Le site de Helena Ek
Le site de Matthias Vieweg
Le site de Hans Jörg Mammel
Le site de Stephan MacLeod
Sébastien Gauthier
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