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11/21/2011 Gioacchino Rossini : Guillaume Tell
Gerald Finley (Guillaume Tell), Marie-Nicole Lemieux (Hedwige), Elena Xanthoudakis (Jimmy), Malin Byström (Mathilde), John Osborn (Arnold Melcthal), Frédéric Caton (Melcthal), Matthew Rose (Walter Furst), Carlo Cigni (Gesler), Carlo Bosi (Rodolphe), Celso Albelo (Ruodi, Un pêcheur), Dawid Kimberg (Leuthold, Un vacher), Davide Malvestio (Un chasseur), Coro e Orchestra dell’Accademia Nazionale di Santa Cecilia, Antonio Pappano (direction)
Enregistré en public à Rome (16, 18 et 20 octobre, 18, 20 et 21 décembre 2010) – 188’15
Coffret de trois disques EMI 50999 0 28826 2 8 – Notice et livret trilingues
Rappelons-le : même si quelques tournures, quelques vocalises rappellent l’opéra italien, Guillaume Tell, créé en 1829, reste un opéra français, précurseur quasi immédiat, comme La Muette de Portici d’Auber un an et demi auparavant, du « grand opéra historique », avec ses ballets et ses chœurs. Merci donc à EMI de nous l’avoir rendu dans sa langue, presque quarante ans après la version Gardelli (1973). Très attendue, elle avait déçu : Gedda venait trop tard, Caballé y paressait, Bacquier n’avait pas le style. Comme le live viennois de Fabio Luisi (1998) – affecté de nombreuses coupures – ne satisfaisait guère même s’il affichait Hampson, Sabbatini et Gustafson, on se rabattait plutôt sur les versions italiennes : Pavarotti, Freni et Milnes, dirigés en studio par Riccardo Chaillly (1979), ou Merritt, Studer et Zancanaro, captés sur le vif à la Scala sous la baguette de Riccardo Muti (1988). Cette version de concert romaine, même bienvenue, ne change pas vraiment la donne.
Bienvenue, oui, d’autant plus qu’elle s’appuie sur l’édition critique. Antonio Pappano a hissé l’Orchestre de l’Académie Sainte-Cécile à un niveau incontestable d’excellence depuis qu’il en a pris la direction en 2005 : la qualité des pupitres, l’homogénéité du son n’appellent que des éloges. Elles sont précieuses pour Guillaume Tell, dont Rossini a particulièrement soigné l’orchestre – remarquables solistes romains. L’opéra dure longtemps – Pappano n’omet pas les ballets, alors qu’il ne retient pas le Trio et la Prière du dernier acte. On y trouve une grande diversité d’atmosphères : le bruit des armes, le grondement de la révolte alternent avec l’évocation de la nature, les tableaux bucoliques. De ce point de vue, le chef ne peut que satisfaire, qui fait tout pour éviter une lecture séquentielle et donner une unité à la partition. On lui sait gré aussi de peaufiner la pâte orchestrale, de restituer les détails de l’instrumentation. Il échappe également à ces lourdeurs dont ses interprétations se trouvent souvent entachées. Le chœur, personnage essentiel de Guillaume Tell, paysans, soldats ou conjurés, n’appelle pas moins d’éloges – superbe Chœur tyrolien à l’acte III.
Cela, pourtant, languit parfois et l’approche semble plus symphonique que théâtrale : il y a des versions de concert qui donnent davantage l’illusion de la scène. N’en accusons pas le seul chef : les voix ont leur part de responsabilité. Le grand opéra fait souffler le vent de l’histoire et des passions : ce n’est pas vraiment le cas ici. Gedda et Bacquier, malgré leurs lacunes ou leurs défauts, étaient des tempéraments : on n’entend ici que des chanteurs. Or Guillaume, et Arnold, tout épris qu’il soit de la sœur de l’assassin de son père, sont des meneurs d’hommes, prêts au sacrifice, ils ont l’étoffe des héros. John Osborn manque de vaillance, d’éclat, beaucoup plus à l’aise dans les passages élégiaques. Cela dit, la voix, si l’on veut bien passer sur un timbre peu amène, est fort bien conduite, le ténor recourant parfois au registre de tête pour les notes les plus aiguës – ce que faisait Adolphe Nourrit, le créateur du rôle, qui avait sans doute une voix plus centrale et plus brillante. Ainsi « Asile héréditaire » passe mieux que « Amis, amis, secondez ma vengeance », même si les contre-ut ne le mettent pas en difficulté. Gerald Finley impose un Guillaume plein de noblesse, à la ligne élégante, phrasant impeccablement son « Sois immobile », assez terne dans l’aigu cependant, mais lui aussi manque d’étoffe pour le héros libérateur. Les francophones se réjouiront de la qualité de son articulation – quand on chante Golaud… Tout le contraire de la Mathilde de Malin Byström, dont la duchesse Hélène des Vêpres siciliennes, à Genève en mai dernier, n’avait pas non plus convaincu. La voix n’est pas toujours très stable, le chant est appliqué, surtout dans la vocalise : « Sombre forêt », pas assez construit sur le souffle, paraît quelconque. Les rôles secondaires vont du meilleur au moins bon : Hedwige investie de Marie-Nicole Lemieux, Melchtal digne de Frédéric Caton, Pêcheur coincé de Celso Albelo.
Ce Guillaume Tell nous laisse donc à la fois contents et frustrés. On continue de rêver à ce qu’étaient l’Arnold de Nourrit, le Guillaume de Henri-Bernard Dabadie, la Mathilde de Laure Cinti-Damoreau. Malgré l’édition critique, malgré le français, il ne nous empêchera pas de revenir à la version italienne de Riccardo Muti...
Didier van Moere
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