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11/18/2011 Johann Sebastian Bach : Variations Goldberg BWV 988
Blandine Rannou (clavecin)
Enregistré en l’Eglise évangélique allemande de Paris (novembre 2001) – 89’43
Album de deux disques Zig-Zag Territoires ZZT 111001 (distribué par Outhere)
Particulièrement riche et diversifiée, la discographie des Variations Goldberg est à la mesure de l’envergure de ce chef-d’œuvre, véritable Ancien Testament de l’instrument à clavier. Le recensement des forces en présence est en revanche plus étonnant, puisque l’on y constate une prépondérance du piano, instrument infidèle et musicologiquement incorrect mais aussi lieu d’une virtuosité très moderne que la difficulté digitale intrinsèque des Goldberg convoque immanquablement, De là provient sans doute la sur-représentation actuelle d’interprétations pianistiques parfois automatiques et creuses mais qui en général avancent à bon régime et font beaucoup d’effet. Avec dans le lot, heureusement, de vrais enregistrements pour l’île déserte : András Schiff (surtout sa seconde version), Murray Perahia, Glenn Gould (particulier mais incontournable, sans doute plus consensuel lors de sa seconde tentative)...
Paradoxalement, du côté des clavecinistes, l’héritage paraît non seulement moins abondant mais les références aussi plus difficiles à décanter. Peut-être parce qu’ici les diversités d’écoles, les particularités de chaque instrument voire les disparités des prises de son ne favorisent pas l’unanimité. Même aujourd’hui l’impasse sur Gustav Leonhardt reste difficile à faire, et pourtant... Ce clavecin gourmé, parfois sec de résonances et humainement bridé ne paraît guère de nature à faire le tour de la question. Les vertus cérébrales de l’austérité nordique, sans doute... Mais résumer Bach à cela paraît quand même difficile
Blandine Rannou va-t-elle réconcilier tout le monde ? Il y a dans cette nouvelle version trop d’options personnelles pour qu’on ne puisse pas lui opposer une observance du texte qui certes n’est jamais prise en défaut mais tire quand même beaucoup vers l’extrême. Objectivement, avouons même que si un pianiste se permettait de distendre à ce point ses phrasés dans les Variations Goldberg, on le classerait définitivement parmi les contorsionnistes qui ambitionnent surtout de se faire remarquer à tout prix. Mais chez Blandine Rannou le miracle de cette réinvention du texte à chaque mesure est qu’elle parvient toujours à convaincre. Ajoutons d’ailleurs que lors des reprises, régulièrement observées, l’interprète nous gratifie à chaque fois d’une vision encore différente, la comparaison entre la version A et la version B qui suit immédiatement s’avérant là encore riche d’enseignements. Somme toute voilà une interprète qui prend tous les risques mais gagne aussi ses paris, y compris celui d’inviter à de multiples réécoutes sans susciter de sentiment de lassitude auditive. Le charme sonore de l’instrument, idéalement capté, jusque dans un constant jeu de résonances qui permet à l’interprète de vraiment phraser sur la durée même des notes (un paradoxe apparent pour un instrument à sautereaux) n’y est pas pour rien, mais l’intelligence de l’interprète paraît aller bien au delà de ce confort auditif immédiat.
Des Variations Goldberg de référence au clavecin ? Le concept même est rendu absurde tant ici tout paraît particulier (y compris, d’emblée, la lenteur de l’Aria liminaire). Mais quel voyage, quelle richesse ! On est sûr, en tout cas, d’y revenir souvent. Et tous les pianistes devraient écouter un tel approfondissement, non pas pour le plagier mais pour au moins se nourrir de ces voies de réflexion royalement ouvertes.
En même temps que ces nouvelles Goldberg à ne pas manquer, l’éditeur republie en un seul coffret très économique tous les Bach précédemment enregistrés par Blandine Rannou : des Suites françaises, Suites anglaises et Toccatas de la même eau, même si l’interprète y apparaît moins affranchie d’une rhétorique saltatoire appliquée d’une façon peut-être trop systématique. A ce prix, il s’agit d’une véritable aubaine (5 CD ZZT111002).
Reste maintenant à Blandine Rannou à nous investir au disque le Bach le plus architectural, celui du Clavier bien tempéré ou de L’Art de la fugue, où l’on attend son inventivité avec impatience.
Laurent Barthel
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