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11/07/2011 Wilhelm Furtwängler : Symphonie n° 2
Ludwig van Beethoven : Symphonie n° 1, opus 21
Radio-Sinfonieorchester Stuttgart, Wilhelm Furtwängler (direction)
Enregistré en public à Stuttgart (30 mars 1954) – 114’55
Hänssler 94.215 (distribué par Intégral)
Sélectionné par la rédaction
A la différence de Mahler et Bernstein, mais comme Klemperer, Kubelík et Martinon, Wilhelm Furtwängler reste avant tout comme l’un des plus grands chefs du siècle passé et non comme un compositeur. Pourtant, comme le rappelle la notice (en allemand et en anglais), cet élève de Rheinberger et von Schillings se considérait avant tout comme tel, tenant la direction d’orchestre pour une activité (matériellement) nécessaire mais chronophage (au détriment de sa fonction créatrice). Toutefois, bien que des éditeurs de disques se soient attachés à publier ses grandes pages de la maturité (Quintette avec piano, Concerto symphonique, Sonates pour violon et piano), et bien que des personnalités aussi importantes que Jochum, Keilberth, Sawallisch et Barenboim – ce dernier cherchant peut-être ainsi à parfaire son identification à l’un de ses modèles – aient dirigé et enregistré les deux dernières de ses trois Symphonies (la Troisième étant inachevée), la notoriété de Furtwängler demeure exclusivement celle de l’interprète et non du créateur.
Furtwängler a souvent donné sa Deuxième Symphonie (1945), qu’il a créée en février 1948, peu de temps après avoir eu l’autorisation de reprendre sa carrière de chef: plusieurs témoignages en ont donc été conservés, mais la plupart – Hambourg (octobre 1948), Francfort (décembre 1952) et Vienne (février 1953) – restent très difficiles d’accès, de telle sorte qu’il fallait jusqu’à présent compter exclusivement sur la version officielle en studio avec son Philharmonique de Berlin (Deutsche Grammophon, décembre 1951) ou ne pas avoir raté l’édition par le Südwestfunk du concert du 30 mars 1954 avec l’Orchestre radio-symphonique de Stuttgart (sa seule prestation avec cette formation fondée neuf ans plus tôt).
C’est cet enregistrement que publie Hänssler et qui s’impose sans peine, nonobstant une moins-value sonore, une mise en place moins nette et un orchestre pas aussi précis. En effet, malgré des tempi sensiblement équivalents, il se révèle d’un climat très différent, plus intense et vivant, flamboyant et vibrant, à la mesure de cette œuvre bouleversante, dans la descendance de Bruckner malgré ses proportions mahlériennes (plus d’une heure vingt, même si la partition indique seulement soixante-treize minutes), passionnément germanique et éperdument romantique, tour à tour mélancolique et triomphale, tendre et solennelle. «Anachronique», sans doute, en ce sens qu’elle est contemporaine de la Turangalîla-Symphonie de Messiaen et de la Deuxième Sonate pour piano de Boulez, mais d’un anachronisme d’ordre plus esthétique qu’historique, à la manière des Métamorphoses de R. Strauss avec lesquelles elle partage la nostalgie d’un monde perdu.
Les compléments sont moins essentiels, mais la Première Symphonie (1800) de Beethoven jouée durant le même concert – au programme ainsi exactement identique à celui de la dernière apparition publique du chef, quelques mois plus tard à Berlin – n’est pas si incongrue que cela, en ce qu’elle peut être entendue comme un alpha de la symphonie allemande dont l’oméga serait celle de Furtwängler. On a perdu l’habitude d’une subjectivité aussi folle et d’une allure aussi lente, avec notamment un Andante cantabile con moto étiré au-delà du raisonnable, mais une baguette aussi visionnaire – qui de nos jours probablement, choquerait ou prêterait à sourire – possède un puissant pouvoir évocateur de ces temps héroïques.
Enfin, les sept minutes d’entretien avec Hans Müller-Kray (1908-1969), directeur musical à Stuttgart de 1948 à sa mort, sont d’un intérêt assez anecdotique, qu’il s’agisse du compositeur, qui explique comment il trouve le temps d’écrire, ou du chef, qui narre avec humour ses expériences face aux différents orchestres avec lesquels il est amené à travailler.
Simon Corley
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