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07/20/2011 Richard Wagner : Tannhäuser
Stig Andersen (Tannhäuser), Tina Kiberg (Elisabeth), Susanne Resmark (Venus), Tommi Hakala (Wolfram), Stephen Milling (Hermann), Peter Lodahl (Walther), Kjeld Christoffersen (Biterolf), Peter Arnoldsson (Heinrich), Jens Bruno Hansen (Reinmar), Ioannis Marinos (Ein Knabe), Det Kongelige Kapel og Det Kongelige Operakor, Friedemann Layer (direction), Kasper Holten (mise en scène), Uffe Borgwardt (réalisation)
Enregistré en public au Det Kongelige Teater, Copenhague (décembre 2009) – 200’
2 DVD Decca 0743390 (distribué par Universal) – Notice de présentation en français, anglais, allemand et danois – Format : 16/9. Region code : 0 (worldwide)
Après un Ring largement diffusé, Decca continue de faire confiance aux productions wagnériennes de l’Opéra royal danois et de Kasper Holten, un metteur en scène que l’on connaît également pour ses lectures straussiennes (lire les chroniques de La Femme sans ombre et du Chevalier à la rose). La parution de ce Tannhäuser filmé fin 2009 à Copenhague se présente comme une approche efficace d’un chef-d’œuvre à la genèse complexe et à la représentation délicate. Kasper Holten arrête un «synopsis subjectif» aux termes duquel «la pièce est en fait l’esprit de Tannhäuser» et où «l’espace change suivant la transformation de son monde intérieur». En phase avec l’analyse de David Trippett dans la notice, la mise en scène considère «le thème de la madone et de la putain [comme] une critique de l’orthodoxie socio-catholique: le Venusberg, qui soutient les arts (le monde esthétique qui s’oppose aux codes contraignants de la Thuringe aristocratique), conduit à la disgrâce sociale, au bannissement et finalement à la damnation à travers la sensualité immorale […]. La rédemption (c’est-à-dire la liberté artistique) est expressément refusée à Tannhäuser par l’autorité pontificale […] et la déclaration plus générale de Wagner sur l’art à l’époque [de] la défaite de Napoléon est sombre: l’artiste peut stagner – insatisfait par l’assouvissement des sens – en dehors de la civilisation normative; il peut résider dans l’ordre du monde, en s’y soumettant au prix de son intégrité créatrice; ou il peut vivre en exclu en marge de la société». Pour en rendre compte, Kasper Holten fait le choix du décor unique, situant l’action dans une grande demeure où s’entremêlent les escaliers de la conscience bourgeoise, et insiste tout autant sur l’artiste que sur le père de famille, Tannhäuser demeurant au centre de toute la représentation. Celle-ci paraît se dérouler autant dans l’imagination d’un protagoniste en mal d’évasion et d’inspiration que dans la réalité d’un adultère et d’une autodestruction.
On regrette donc qu’une réalisation technique – décevante sinon ratée – nous prive d’apprécier l’efficacité – simple mais crédible – de ce théâtre en escaliers. Abusant des gros plans, l’image déroute – à commencer par des caméras latérales vraiment trop proches des chanteurs (filmés par Uffe Borgwardt). Brute de décoffrage, sans finesse ni velours, la prise de son ne parvient pas à dominer les aléas du direct, échouant à gommer les bruits du public, les distorsions de résonnance dans la salle tout comme le manque d’homogénéité de la projection vocale lors les déplacements sur scène. Tout cela empêche notamment de juger équitablement d’un orchestre lointain – qui semble «faire le job» sans s’impliquer outre-mesure, aux cordes trop timides pour Wagner et à la justesse pas tout à fait impeccable – et d’une direction routinière (Friedemann Layer) et insuffisamment attentive à la précision des attaques ainsi qu’à la coordination avec le plateau.
La distribution est solide sans être marquante, à l’image d’un Stephen Milling efficace – bien que plus Fafner que Landgrave – ou d’un Tommi Hakala à la technique assurée mais dont l’interprétation virile et sobre (à son meilleur au dernier acte) est par trop appliquée pour parvenir à émouvoir dans Wolfram – par-delà un grain de voix sans beauté particulière. De même, le Tannhäuser de Stig Andersen est celui d’un acteur convaincant comme d’un chanteur aux grandes qualités de justesse, à la voix puissante et solide, mais qui manque d’assise – la fatigue amplifiant certains défauts (vibrato étranglé, aigus parfois poussifs voire beuglards). Du côté des interprètes féminines, on apprécie davantage la Vénus de Susanne Resmark – sans charisme mais à l’instrument idéal pour le rôle (une belle technique, des aigus perçants et vénéneux malgré quelques soucis de justesse et une intonation nasale) – que l’Elisabeth digne mais anonyme – à la voix sans charme ni nuances – de Tina Kiberg, dans un rôle où l’on attend une émotion, une fragilité et une finesse bien supérieures.
Gilles d’Heyres
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