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05/04/2011 Richard Wagner : Götterdämmerung
René Kollo (Siegfried), Hans Günter Nöcker (Gunther), Siegmund Nimsgern (Alberich), Matti Salminen (Hagen), Jeannine Altmeyer (Brünnhilde), Norma Sharp (Gutrune), Ortrun Wenkel (Waltraute), Anne Gjevang (Première Norne), Daphne Evangelatos (Deuxième Norne), Ruth Falcon (Troisième Norne), Lucia Popp (Woglinde), Uta Priew (Wellgunde), Hanna Schwarz (Flosshilde), Staatskapelle Dresden, Staatsopernchor Dresden, Männer des Staatsopernchores Leipzig Marek Janowski (direction)
Enregistré à la Lukaskirche de Leipzig (janvier, mars et avril 1983) – 254’32
Coffret de quatre disques Sony 88697856562 – Notice de présentation en français, anglais et allemand (pas de livret)
Initialement publié sous label Eurodisc, souvent réédité, désormais diffusé à prix doux sous étiquette Sony, ce dernier volet (1876) de la Tétralogie de Richard Wagner (1813-1883) n’est pas une mauvaise affaire. Certes, le Ring de studio enregistré au début des années 1980 par Marek Janowski a davantage marqué la discographie par l’excellence instrumentale que par la gloire vocale et l’inventivité de la baguette. Mais ce Crépuscule des dieux de 1983 – qui témoigne en effet du «crépuscule des voix» wagnériennes que la fin du siècle dernier exposa sous une lumière crue – réserve, à la réécoute, quelques bonnes surprises. Ainsi est-il difficile de ne pas succomber à la vocalité séductrice des Filles du Rhin (... avec rien moins que Lucia Popp en Woglinde!). On admire davantage encore les chœurs du deuxième acte, où l’union des forces de Leipzig et de Dresde conduit à un déchaînement exceptionnel de virtuosité.
Le reste de la distribution révèle davantage un problème de style qu’un déficit en voix. On serait presque tenté de qualifier le casting de «parsifalien»... tant Matti Salminen est définitivement un Gurnemanz et non pas un Hagen (manquant de barbarie sauvage et de noirceur, s’obligeant à enlaidir sa voix mais demeurant étonnement lyrique et clair de timbre) et tant l’impression laissée par Siegmund Nimsgern – aussi sonore qu’inquiétant – évoque Klingsor plutôt qu’Alberich. Franchement insipide, Hans Günter Nöcker confond, en revanche, Gunther avec Melot, alors que Norma Sharp et Ortrun Wenkel restent ordinaires et anonymes en Gutrune et Waltraute. Quant aux deux héros, ils sont moins décevants que dans notre souvenir. René Kollo et Jeannine Altmeyer arrivent même à faire illusion au premier acte, la première révélant davantage de défaillances vocales que le second (tout aussi engagé mais tellement plus musical). Si Brünnhilde est parfois à la peine dans les scènes au palais des Gibichungen, c’est le dernier acte qui expose le plus cruellement les stigmates du «crépuscule des voix». De son côté, René Kollo lutte élégamment – de sa voix trop claire – avec la tessiture et conserve une vaillance égale... sans parvenir à exalter l’héroïsme conquérant que demande le rôle. Le ténor allemand ne possède (malgré une prise de son flatteuse) ni la puissance requise ni la couleur mâle du tueur du dragon.
Surtout, cette réédition ne permet pas de briser l’impression de (relatif) gâchis orchestral que procure la direction très «premier degré» de Janowski, effectivement désolante de littéralité dans le prologue et dans le dernier acte. Imposant, le travail du chef est pourtant moins routinier que l’image qui lui colle à la peau, se faisant mobile et analytique, toujours respectueux de la partition, sachant même ménager quelques moments d’emballement (à la toute fin du premier acte, à la suite des appels de Hagen au deuxième) et dessiner de belles couleurs orchestrales (la noirceur de la «Marche funèbre», la mobilité du «Voyage de Siegfried sur le Rhin»). Mais, à côté des Krauss, Böhm et autres Boulez, il est indéniable que ce Crépuscule des dieux manque d’inspiration. Reste l’Orchestre de la Staatskapelle de Dresde – qui achevait, l’année précédente, son enregistrement irremplaçable de Tristan avec Carlos Kleiber et qui demeure le point fort de cette réédition. D’une souplesse inouïe, d’un raffinement extrême, sachant à la fois soulever la houle et créer nuit et brouillard, il s’impose comme une cure de jouvence tout autant que comme un élixir pour les oreilles.
Gilles d’Heyres
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